Pourquoi les golfeurs ne portent-ils qu’un seul gant ?

C’est n’importe quoi. Non mais c’est vrai, à un moment il faut arriver à se mettre à la place du profane. S’il est du genre à appeler un chat un chat, il ne peut se dire qu’une seule chose : c’est n’importe quoi. Dans le cas heureux où le golfeur serait parvenu, sans avoir à déployer de trésors de persuasion, à lui faire avaler que le golf est un sport, il doit enchaîner en expliquant que, malgré le fait qu’il tienne le club avec ses deux mains, il ne porte un gant que sur une seule (bigre !). Qui se trouve être sa main faible (caramba !). Et encore, ça ne concerne pas tous les coups et toutes les situations de jeu (allô, la Terre ?). Et qu’en plus, il y a des joueurs qui n’en portent jamais, d’autres qui le portent tout le temps, d’autres encore qui en portent deux, soit par temps de pluie soit par tous les temps, mais dans ces cas-là ce ne sont pas les mêmes gants (kamoulox !).

Tâchons de remettre un peu d’ordre dans tout cela. Le cas le plus courant est de voir les golfeurs taper leurs longs coups en portant un gant en cuir blanc sur la main positionnée le plus haut sur le manche du club. Étant donné que la majorité d’entre eux sont droitiers, l’accessoire sera donc porté sur la main gauche (et inversement, sur la main droite pour la minorité gauchère).

Le port du gant par les golfeurs est apparu dès le XIX^e siècle. À l’époque, les manches des clubs étant recouverts de cuir à l’endroit où viennent se poser les mains. Les méfaits de l’usure progressive du matériau et de la transpiration des mains étaient vite perceptibles. En sport automobile, on parlerait sans hésiter d'adhérence précaire. Cet impératif a donc essentiellement présidé à l’apparition du gant.

Oui, du gant. Car déjà, à l’époque, la tendance était à couvrir une seule main. Avec deux raisons avancées. La première, purement physique : la main gauche d’un droitier a une surface de contact avec le grip plus grande que sa voisine d’en-dessous. Faites l’expérience chez vous, attrapez un club, et constatez : votre main gauche tient le club quelque part entre la paume et la base des doigts. Votre main droite, en revanche, le positionne plutôt au creux des doigts, sur la phalange du milieu. Une configuration qui favorise l’apparition d’ampoules ou autres irritations sur la main gauche en priorité.

La seconde raison est plus folklorique, et par extension moins vérifiable dans notre XXI^e siècle. Le fait de laisser la main droite à l’air libre aurait été pensé, à l’époque, pour lui permettre de saisir nourriture, boissons, produits tabagiques divers, sans souiller la surface du gant. Il aurait même permis de serrer la main des dames sans avoir à opérer, en faisant patienter l’interlocutrice, un effeuillage manuel. Folklorique, on vous dit.

Néanmoins, l’usage est demeuré majoritaire jusqu’à notre époque. La plupart des joueurs et joueuses de haut niveau évoluent sur le parcours en se couvrant la main faible d’un gant lorsqu’ils tapent un plein coup, de bois ou de fer. Et généralement, ils l’ôtent pour exécuter des coups plus en toucher, comme les approches ou les putts. Dans cette configuration classique, le golfeur le plus connu de la planète peut être cité en exemple : depuis le début de sa carrière il y a une trentaine d’année, Tiger Woods enfile un gant à la main gauche à chaque coup au long jeu, et le retire tout de suite après.

Seulement, dans le domaine, il existe mille et une exceptions. Le grand Jack Nicklaus, aujourd’hui encore, n’aurait pas idée d’ôter son gant pour putter (et avec 18 victoires en Majeurs, il a dû lui arriver de putter correctement). Depuis plusieurs années, le Finlandais Mikko Korhonen s’est fait une réputation sur le DP World Tour : celle d’avoir la main gauche couverte de blanc du tee du 1 au green du 18.

L’exact inverse existe aussi. Fred Couples, vainqueur du Masters en 1992, a fait l’entièreté de sa carrière sur le PGA Tour en ne mettant jamais de gant. Pour ce qui le concerne, ce choix remonte à sa jeunesse à Seattle, ville réputée comme la plus pluvieuse des États-Unis. Fatigué de devoir changer de gant chaque fois que le précédent prenait l’eau, il aurait décidé de s’en passer. En contrepartie, il n’exécute jamais un coup sans que son caddie n’ait soigneusement essuyé son grip, même par temps sec. Autre vainqueur de Majeur sans gant, celui de l’U.S. Open 2009. Seulement, dans son cas, son propre nom est ironique : Lucas Glover.

Chez les Français, Julien Quesne, vainqueur sur le circuit européen, a longtemps servi d’exemple de réussite à haut niveau sans jamais porter de gant. Victor Perez a aussi eu sa phase à mains nues, même s’il est revenu vers la couverture de main gauche depuis. Bref, porter ou ne pas porter de gant n’est pas un paramètre pour la réussite à haut niveau.

À l’opposé, porter deux gants au lieu d’un seul ne l’est pas plus. L’Anglais Aaron Rai s’est rendu reconnaissable ces dernières années, en ayant les deux mains couvertes au grand jeu, avec des gants noirs qui plus est. Même chose pour la Suédoise Louise Rydqvist, championne du monde amateur par équipes avec la Suède il y a deux ans en France, et lauréate cette année du Championnat d’Europe amateur dames.

Celui qui a poussé le concept le plus loin est sans doute l’Américain Tommy Gainey. Quoi que vous fassiez, quel que soit le coup de golf que vous lui donniez à jouer, il ne se départira jamais de ses deux gants. Fort logiquement, l’homme aux 240 départs et une victoire sur le PGA Tour y a gagné un surnom : Tommy "Two Gloves" (Tommy "Deux Gants").

Les deux gants peuvent aussi, parfois, faire des apparitions opportunistes. Ces dernières années, les fabricants ont mis au point des accessoires particuliers pour la pluie, dont l’adhérence s’accroît avec l’humidité. Si le temps tourne, certains se tournent donc vers les deux gants.

Mais alors, pour quelqu’un qui joue au golf en 2024, qu’est-ce qui est le mieux ? Un gant ? Deux ? Zéro ? Que dit la science ? Alerte, grosse déception en approche : pas grand-chose. Oui, si vous avez des ampoules à force de jouer sans gant, il vous est conseillé de vous en procurer un. Si votre club, ripant hors de vos mains, exécute un vol plus prononcé que celui de votre balle, également. Mais pour le reste, tout est susceptible de fonctionner. Pour faire votre choix, comme pour beaucoup d’autres choses au jeu de golf, le meilleur conseil est celui-ci : faites de la manière qui vous procure les meilleures sensations.

D’accord, mais il demeure une dernière question : si toutes les méthodes peuvent marcher, pourquoi le gant unique est-il aussi majoritaire ? Sans doute, en partie, par perpétuation de la tradition. Ou alors parce que le golf est l’une des rares disciplines sur terre où les gants ne se vendent pas par paires.