Pourquoi prend-on le par comme référence ?

Les "Pourquoi" du golf. Dans cette série, nous vous emmenons explorer les questions simples en apparence, mais souvent complexes en réalité, qui entourent le golf. Dans ce deuxième épisode : pourquoi basons-nous aujourd'hui tous nos scores sur le par ?

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William LECOQ
Publié le 9 février 2024 4 mn
Publié le 9 février 2024 4 mn

Le 17 octobre 1860, sur le parcours écossais de Prestwick (12 trous à l’époque), Willie Park Sr., un joueur de Musselburgh, remporte ce qui allait rester dans l’histoire comme la première édition de The Open Championship, sur le score de 174. Bon, d’accord, mais ça fait combien ? Ben, 174. Deux coups d’avance sur son dauphin, le célèbre greenkeeper local Old Tom Morris. On a compris, 174 coups au total, mais ça fait combien par rapport au par ? Ah, ça… impossible de le savoir.

Le par a commencé à la bourse

Dans ce milieu du XIXe siècle, la notion de "par" n’existe pas. Pas dans le golf, en tout cas. Car dans d’autres domaines, comme sur les marchés boursiers, les Britanniques ont, depuis longtemps, pris l’habitude de donner à un titre une valeur de référence, à laquelle ils donnent le nom de "par". Le mot lui-même, selon l’Oxford English Dictionary (le Petit Larousse d’Outre-Manche), est apparu au XVIe siècle, et provient du latin qui signifie "égal", ou "égalité". Soit une action semble un peu surcotée, auquel cas les boursicoteurs la disent "over par", soit son prix est sous-évalué, et elle se retrouve "under par" ou "sub-par".

Revenons à Prestwick, cette fois en 1870, alors que The Open Championship n’est encore allé visiter aucun autre parcours depuis sa création. A.H. Doleman, un auteur spécialisé dans le golf, demande alors à deux joueurs professionnels, David Strath et James Anderson, quel score permettrait à son auteur de remporter le tournoi. Les deux joueurs répondent que selon eux, en jouant sans erreur, les 12 trous peuvent être bouclés en 49 coups. Ni une ni deux, 49 devient aussi tôt le "par" à Prestwick, tel qu’édicté par Doleman, qui reprend à son compte le jargon boursier.

Tout cela, toutefois, reste totalement officieux, en plus de sentir bon l’arbitraire. Car après tout, pourquoi 49 coups, et pas un autre nombre ? Pourquoi pas 48, pour un quatre coups par trou beaucoup plus harmonieux ? De fait, le chemin pour que le par devienne l’étalon golfique universel est encore très long. Et embouteillé, par-dessus le marché. Car du côté de l’Angleterre, alors que le XIXe siècle touche gentiment à sa fin, l’idée d’avoir un score standard a germé dans d’autres têtes.

L'aventure du bogey

En 1890, un dirigeant du Coventry Golf Club, près de Birmingham, nommé Hugh Rotherham, émet l’idée de décider d’un score standard sur chaque trou d’un parcours, basé sur le nombre de coups attendu d’un joueur chevronné. Il lui donne le nom de "ground score", autrement dit, "score de base". L’idée fait peu à peu son chemin, et débouche sur la côte est de l’Angleterre, au Great Yarmouth Club, qui devient le berceau d’un nouveau système : le bogey.

Pourquoi s’appelle-t-il bogey ? C’est une question pour un autre épisode (petite mise en bouche : il s'agit probablement d'une histoire de music hall). Pour l’heure, il faut surtout retenir ceci : ce bogey-là n’est pas notre bogey d’aujourd’hui. Ce dernier est venu plus tard, justement lorsque le par a été instauré, pour désigner un trou joué un coup au-dessus. Mais pour l’heure, donc au tournant du siècle, le bogey n’est ni plus ni moins que le par. Non pas qu'il affiche les mêmes chiffres et les mêmes valeurs, mais c'est lui qui remplit le rôle, en Grande-Bretagne et en Irlande, de score standard, défini cette fois sur chaque trou. Mais évidemment, comme chaque club décide, l’arbitraire a encore une belle place.

Et le par débarqua d'Amérique

En 1911, l’USGA, l’organe régulateur du jeu aux États-Unis, établit le premier système basé sur la longueur des trous pour déterminer le score standard. Ça y est, le par est né. Du moins sous sa forme moderne, en 3, 4 ou 5 (et même 6 dans les règles de l’USGA), et avec ce nom-là. Le principe de base est simple : vous prenez un joueur chevronné, vous voyez de combien de coups il a besoin pour couvrir la distance du tee au green, vous ajoutez deux pour lui permettre de prendre ses deux putts, et vous avez votre par.

Les distances recommandées pour déterminer le par

Depuis 1911 et la décision de l'USGA, le par est déterminé essentiellement (mais pas seulement) par la distance totale du trou. À l'époque, les longueurs sont les suivantes : 

  • Par 3 jusqu'à 225 yards
  • Par 4 de 225 à 425 yards
  • Par 5 au-delà de 425 yards

Avec l'évolution du jeu et des techniques, ces distances ont été, bien sûr, plusieurs fois réévaluées. En 2024, en France, elles figurent au sein de recommandations (oui, ce sont bien des recommandations, d'où le fait qu'elles se chevauchent) formulées par le Royal & Ancient :

  • Par 3 jusqu'à 235 m pour les hommes et 200 m pour les femmes
  • Par 4 de 220 à 450 pour les hommes et de 185 à 385 m pour les femmes
  • Par 5 à partir de 415 m pour les hommes et 350 m pour les femmes

Sauf qu’au Royaume-Uni, à ce moment-là, on en est encore au système bogey, décidé par chacun sur son propre parcours. Donc non seulement la comparaison des performances est difficile voire impossible, mais en plus, avec les progrès du jeu, les professionnels réalisent désormais des scores nettement meilleurs que le bogey. Pire : les Américains, peut-être un tantinet taquins, ont justement repris le terme bogey pour désigner un score un coup au-dessus de leur par.

Il faut donc tout harmoniser, processus mis entre parenthèses par la Première guerre mondiale, mais finalement parachevé en 1925, lorsqu’un comité regroupant toutes les instances du jeu de golf sur les îles britanniques crée le Scratch score standard (le fameux SSS), qui entérine le par comme étant l’étalon des scores de golf. Ainsi en 1927, Bobby Jones, remporte à St Andrews son deuxième Open Championship avec un score de 285… soit sept coups sous le par. Alors ça y est, l’histoire est terminée ? Pas tout à fait.

1960 : l'année où le par a gagné le Masters

Car si le par est entré dans le golf, il doit maintenant entrer dans le siècle. Et notamment dans le développement des médias audiovisuels de masse, radio puis télévision, pour qui le golf commence à peupler quelques belles heures d’antenne, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis. Seulement, si l’on peut désormais avoir une idée précise du niveau de jeu quelque soit le parcours, le réflexe n’est pas encore de se référer au par pour communiquer des scores au grand public.

À ce titre, la diffusion télévisuelle du Masters est un exemple parlant. Elle débute outre-Atlantique en 1956, déjà sur CBS, qui demeure à ce jour le diffuseur historique de l’épreuve géorgienne. Au passage, songez qu’à l’époque, on parle d’une grosse production sur un tournoi de golf lorsqu’une chaîne parvient à positionner six caméras fixes sur les quatre derniers trous, et qu’elle assure une heure entière de direct le dernier jour.

Bref, CBS a pris l’habitude de montrer, à l’écran, les scores totaux des joueurs. En nombre de coups. Y compris lorsqu’ils sont encore sur le parcours, ce qui oblige le spectateur à de la gymnastique calculatoire. Un homme va particulièrement saisir le problème : Franck Chirkinian. À 33 ans seulement, en 1959, il se voit confier par CBS la production de sa retransmission du Masters. Et dès l’année suivante, il décide de ce qui nous paraît aujourd’hui naturel mais était, à l’époque, une innovation : montrer les scores des joueurs par rapport au par, avec des signes + et -.

Ainsi, la page de leaderboard, squelette de toute retransmission de golf aujourd’hui, était née. Et le par y est devenu l’inévitable repère. Tout cela 100 ans après Prestwick et le premier Open. Quelle histoire…


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