Les "pourquoi" du golf. Qui a eu, un jour, l’idée saugrenue de parsemer les parcours de golf de trous pleins de sables, et cela où qu’on se trouve dans le monde ? Les pionniers écossais ? Pas si sûr…
Blasphème. Outrageuse impiété. Langue mue par le diable, celle d’un golfeur qui s’agite pour dire du mal de l’Écosse. Enfin quoi, le berceau de notre jeu, celui qui l’a vu apparaître avant de couvrir le monde de parcours, celui où, encore aujourd’hui, on se rend en pèlerinage, espérant une photo sur le Swilken Bridge de St Andrews comme d’autres espèrent tirer la lumière du Saint-Sépulcre, on se mettrait à le maudire au prétexte qu’un bunker nous fait des misères ? Tout ça parce que ces trous pleins de sable servaient d’obstacles sur les landes littorales de la rugueuse Calédonie ? Mais au juste, s’il y a des bunkers sur les parcours de golf, est-ce la faute de l’Écosse… ou des Écossais ? On ne serait pas au premier exemple de blâme porté par la terre promise plutôt que par ses prophètes. Mais une question bouscule plus encore nos certitudes : et si ni l’une ni les autres n’étaient responsables ? Si la présence de bunkers n’était ni la faute de l’Écosse, ni la faute des Écossais ?
Retour, comme souvent dans ce genre d’histoire, aux origines. Le Royal & Ancient Golf Club, basé à St Andrews, a été formellement créé le 14 mai 1754 (sous un autre nom à l’époque, avant de prendre celui qu’on lui connaît aujourd’hui). Certes, il ne s’agit ni du premier club de golfeurs à avoir vu le jour, ni du plus ancien club encore debout qui dédie une partie de ses activités au golf. Mais par commodité, prenons-le comme point de départ. À cette époque, le golf se pratique en disposant quelques repères sur les étendues herbeuses de la côte est de l’Écosse (appelées "links", d’où le nom donné à ce type de parcours), et en y creusant des trous pour en faire les cibles. Pas d’histoires de roughs, de greens, d’obstacles ni même d’aires de départ, le premier coup du trou suivant devant être tapé dans un rayon d’une longueur de club du trou précédent.
La même année, le club édicte sa première version des règles du jeu de golf. Là encore, il ne s’agit pas des premières. On dispose de la trace écrite des règles rédigées ailleurs en Écosse par les golfeurs de Leith, dix ans auparavant. Mais peu importe la différence entre les deux (qui ne porte de toute façon que sur quelques passages mineurs). L’important pour notre histoire est ceci : il n’y est nulle part question de bunkers. Pas même de sable.
Non pas que le sable ne soit pas présent, bien au contraire. Sur les links de St Andrews, il est le substrat obligatoire, littoral oblige. Mais attention, à ce stade, une distinction est impérative entre historicité et légende urbaine. L'histoire la plus communément entendue veut que les bunkers soient les héritiers des trous utilisés voire creusés par les moutons paissant sur ces étendues herbeuses, afin d'y trouver un abri. Ceci étant dû au fait que le golf était, à ses origines, un sport pratiqué par des bergers. C’est vrai pour les moutons. Beaucoup moins voire pas du tout pour les bergers. La nature et ses éléments (rarement inoffensifs sur cette parcelle du monde) façonnent mécaniquement des dépressions sur ce genre de terrain, mettant au jour le sable et offrant quelques abris. Et nos amis ovins avaient tôt fait d’en profiter, d’autant plus appréciés sur les parcours qu’ils y officiaient au ministère de la tondeuse. En revanche, les joueurs n’étaient pas leurs bergers. Les 22 membres fondateurs du Royal & Ancient Golf Club, à cette époque, se nommaient eux-mêmes « Noblemen and Gentlemen ». Le golf était affaire de classes aisées.
Il y avait donc des trous ensablés disséminés sur le parcours de St Andrews. Parfois, il fallait même composer avec le Swilken Burn, petit cours côtier (le genre que les locaux nomment tous "Burn") qui, aujourd’hui, traverse les trous 1 et 18 de l’Old Course. Mais si les règles éditées par le club local en 1754 prévoyaient la procédure en cas de balle reposant dans de l’eau, le sable n’était mentionné nulle part. Alors le mot bunker, pensez-vous donc…
Combien de temps a-t-il fallu attendre avant que le terme ne fasse son entrée dans les règles officielles du jeu de golf ? 58 ans. Jusqu’en 1812, précisément. Pour ce qui est de son étymologie précise, on ne sait pas exactement. Le terme vieilli écossais du XVIe siècle "bonkar" est parfois avancé, mais des origines scandinaves ou flamandes sont aussi évoquées.
À cette même époque, la définition de plusieurs aires différentes sur le parcours commence à prendre de l’ampleur. Les premiers âges du golf vivaient en effet jusque-là avec l’idée que le parcours, lui-même, dans sa globalité, était l’obstacle faisant face au joueur. Nul besoin de le compartimenter, juste de fixer ses frontières externes. Sauf que malgré l’absence de définition juridique, la réalité du terrain faisait que certaines parcelles, façonnées par la nature, promettaient une plus grande punition au joueur imprudent qui s’y aventurait. Et que les tracés s’y adaptaient peu à peu, afin que ces obstacles soient judicieusement placés (ça ne vous rappelle rien d'actuel ?).
Au fil du temps, le concept d’obstacle ("hazard", en anglais, qui vient bel et bien du français "hasard") rejoint les livres de règles. Il faut dire que les parcours commencent alors à se multiplier, y compris à l’intérieur des terres, donnant naissance à un tout nouveau métier : architecte de golf. Or, un architecte veut principalement deux choses : que le fruit de son dessin soit agréable à l’œil, et agréable à jouer (quel que soit ce que recouvre le terme "agréable"). Pour pimenter le jeu, il peut user d’obstacles pénalisant les mauvais coups, mais ajoutant une valeur esthétique au tracé. Et cela, les premiers parcours l’ont façonné naturellement : les bunkers ensablés, et les obstacles d’eau. Il n’y a pas de sable dans la région ? On en amènera. Il n’y a pas d’eau ici ? On creusera une mare. Ou bien on agrandira la parcelle jusqu’aux bords de ce petit lac.
Les vrais responsables, finalement, ce sont eux : les architectes qui, génération après génération, décidèrent de perpétuer la présence de trous ensablés pour en faire des obstacles. Méritent-ils pour autant le dépôt de plainte la prochaine fois que vous sortez d’un bunker à votre troisième essai ? Eux qui ont doté les parcours des seuls éléments rompant avec leur verte monochromie. Eux qui ont permis de repérer les terrains de golf plus facilement vu du ciel. Eux qui ont laissé libre cours à leur inventivité, en accordant parfois la forme d’un bunker au logo d’un club. Eux grâce à qui nous pouvons assister à tant de jolis coups de la part des joueurs et joueuses professionnels, admirables de doigté dans le sable (vidéo ci-dessous). Eux grâce à qui les profanes du golf connaissent au moins un terme du jargon. Le golf est né sans les bunkers. Mais enlevez-les tous aujourd’hui. Est-ce toujours du golf ?