Les "Pourquoi" du golf. Les gauchers représentent 12 % de la population mondiale. Pourtant, seuls environ 5 % des golfeurs de haut niveau jouent à gauche, alors que dans d’autres sports, la proportion peut largement dépasser le quart. Le golf se serait-il mis en tête de contrarier les gauchers ? Explications.
Un univers aussi foisonnant que celui du jeu de golf recèle inévitablement des paradoxes, et celui-ci tient une place dans les premiers rangs : même à 200 ou 300 mètres de distance, il est possible de dire, d’un simple coup d’œil, si un joueur est droitier ou gaucher. Pour autant, la part de gauchers parmi les golfeurs est nettement plus faible que dans la population générale. Une rareté parfois même transformée en fierté, en témoigne le surnom de "Lefty" accolé à Phil Mickelson, ou le pseudonyme "robinlefty" arboré par le Français Robin Sciot-Siegrist sur son compte Instagram.
Petite expérience : prenez le top 100 mondial messieurs à cette date de fin novembre 2024, et comptez le nombre de gauchers. Vous constaterez qu’il y en a quatre, le mieux classé étant l’Écossais Robert McIntyre, 15e. Une proportion légèrement inférieure au chiffre communément admis de 5 % pour ce qui est de l’ensemble du golf de haut niveau. Mais même avec 5 %, le compte n’y est pas. Tous les chercheurs sont d’accord : les gauchers représentent a minima 10 % de la population mondiale, le chiffre le plus communément admis étant de 12 %.
Ainsi, si l’on reprend, à la même date, notre petite expérience du top 100 mondial, chez les messieurs du tennis, on compte cinq gauchers… uniquement dans le top 50. Pour ce qui est du top 100, cela monte à 13. Autrement dit, dans une proportion comparable à ce que constate l’humanité en général. Mais dans d’autres sports, le nombre de ceux qui jouent "de l’autre main" crève allègrement le plafond. Une étude de la Royal Society, publiée en 2017, montre que la part des gauchers à haut niveau peut atteindre 25 % et même au-delà dans des sports tels que l’escrime, le base-ball, le tennis de table ou encore le cricket. Les chercheurs ont ainsi calculé que, dans ces disciplines où le temps de réaction est un facteur important, la proportion de gauchers dans le haut niveau augmente en moyenne d’un facteur 2,6 par rapport à la population globale.
Le saviez-vous ? Les golfeurs gauchers ont leur propre association
Oui, il existe une Association française des golfeurs gauchers (AFGG). Cette structure, qui a été créée en 2005, compte une base de données de plusieurs centaines de joueurs et joueuses à travers l'Hexagone, et une centaine de membres actifs. Comme elle l'explique sur son site web : « Le fait d’être gaucher et les désagréments que cela peut générer dans un monde de droitiers sont autant de raisons d’affirmer son identité latérale et de se fédérer ».
L'association organise chaque année un Championnat de France, dont la première édition, en 2005 à Cheverny, avait justement donné naissance à l'AFGG. Comme 24 de ses homologues de par le monde, elle est membre de l'Association mondiale des golfeurs gauchers qui, elle, préside à l'organisation du Championnat du monde de la catégorie. Des Mondiaux qui s'étaient notamment déroulés en France, en 2022.
Or donc, au golf, les gauchers culminent péniblement à 5 %. Et une première explication à ce chiffre réside dans les deux principales raisons avancées par les scientifiques quant à leur surreprésentation dans les disciplines citées plus haut. Tout d’abord, pour une question de chemin nerveux plus court depuis l’hémisphère droit de leur cerveau, les gauchers ont naturellement un temps de réaction un peu moins long que leurs homologues droitiers. Une différence minime, de l’ordre de 6 millisecondes sur un temps de réaction total de 100 millisecondes, mais suffisante pour noter certaines disproportions dans la densité du haut niveau.
Ensuite, ces sports proposent des confrontations directes : un lanceur vous envoie la balle au cricket ou au base-ball, un autre joueur vous la renvoie au tennis de table, un autre combattant armé vous fait face à l’escrime. Dans ce contexte, le gaucher, habitué à affronter des droitiers, aura plus d’automatismes que le droitier, mal accoutumé à en découdre avec des gauchers. Le golf étant un sport qui ne sollicite pas de temps de réaction rapide, et où les pratiquants ne sont pas en confrontation directe, il n’y a donc aucune raison pour qu’il compte plus de gauchers que dans la population générale. Très bien… mais alors pourquoi y en a-t-il moins ?
D’ailleurs, on dit "gaucher"… mais est-ce le bon terme ? Dans un sport qui se joue toujours avec les deux mains, est-on vraiment obligé de jouer d’un côté parce qu’on écrit d’une main plutôt que de l’autre ? Après tout, Phil Mickelson lui-même fournit un contre-exemple : il note sa carte de score en tenant son crayon dans la main droite. L’inverse existe aussi : des gauchers d’écriture vont parfois se détendre le week-end en jouant une partie de golf tout ce qu’il y a de plus droitière.
En la matière, l’histoire de Jake Knapp est éclairante. L’Américain est actuellement 83e au classement mondial. Depuis tout petit, il a une propension naturelle à se servir de sa main gauche. Et pourtant, il ne fait pas partie des quatre mousquetaires gauchers du top 100 mondial. La raison ? le matériel. Dès son plus jeune âge, comme il le narrait en février dernier à Golfweek, le petit Jake attrapait les clubs de son grand frère… pour s’en servir en se positionnant à droite de sa balle, et en tapant avec le dos du club. Sauf que son père mit tout de suite le holà : pas question de remettre la main au porte-monnaie pour acheter une nouvelle série de clubs. Il jouera avec les clubs devenus trop petits pour son frère, un point c’est tout. Résultat : tout son apprentissage du jeu s’est fait comme celui d’un droitier. Ce qui ne l’a pas empêché d’en faire une réussite.
Car la principale spécificité du golf pour gauchers est bien là : les clubs doivent être prévus pour cela. Raquette de tennis ou de ping-pong, batte de base-ball ou de cricket, épée munie d’une poignée droite… autant d’outils empoignables indifféremment de l’une des deux mains. Sauf que dans le cas d’un club de golf, la tête doit être conçue et fabriquée en miroir. Et les gants tissés pour couvrir les mains droites. Le tout pour espérer satisfaire un petit 5 % de la clientèle. Une galère de fabricant, qui se transforme forcément en galère pour le joueur.
Ce dernier, s’il a pu trouver tout son équipement, n’a pas terminé son parcours du combattant : il lui faut trouver un enseignant prêt à construire et accompagner un swing qui est totalement en miroir de ce qu’il a l’habitude d’observer. Il lui faudra également mener toute une existence à base de transbahutage du baquet censé recueillir les balles au practice, d’invitation polie à rejoindre l’autre flanc de la butte de départ pour ses partenaires de jeu pendant qu’il tape son drive, sans parler du fait d’entendre ad nauseam la remarque drolatique : « Ah, tu joues à l’envers ? ». Sur une planète golf où ils ont tant de contraintes sans avantage réel dans le jeu pour les contrebalancer, les gauchers sont d’autant plus ce qu’ils sont par ailleurs : de vaillants et quotidiens lutteurs minoritaires dans un monde de droitiers.