La grande finale de l’Alps Tour, circuit européen de troisième division, débute ce jeudi en Italie. Cette saison, certains parmi les meilleurs amateurs français y ont joué et brillé. Analyse en compagnie du directeur fédéral de la performance, Jean-Luc Cayla.
Certains des meilleurs amateurs français ont évolué majoritairement sur l’Alps Tour ces deux dernières saisons. Quelles étaient les raisons de ce choix ?
Notre objectif est très simple : nous voulons former des sportifs de très haut niveau. Cela veut dire essayer de les faire progresser dans tous les domaines possibles par rapport au jeu, mais également à ce qu’est le haut niveau. Ce n’est pas seulement une question de technique, mais également une question de confrontation aux autres et à différents types de parcours. Si on entraîne des joueurs sur des parcours faciles avec des greens mous, ils vont être performants dessus, mais dès qu’ils joueront sur des circuits professionnels avec des greens durs, ils seront en difficulté. Voilà pour le principe. Mais le problème, lorsqu’on est amateur, c’est qu’on a parfois du mal à avoir des invitations pour participer à des tournois professionnels. Encore plus lors de l’année marquée par le Covid. Nous avons donc pris la décision de leur faire passer les cartes, mais dans une perspective de formation, pas dans une perspective de les faire devenir des professionnels de l’Alps Tour. L’idée est de jouer sur l’Alps Tour quand il y a une place au calendrier, mais de privilégier les grands tournois amateurs (British Amateur, championnats d’Europe, etc.). Mais toujours dans une optique de formation. Même chose, dernièrement, au Cazoo Open de France. Nous avons invité six amateurs : les trois joueurs des Mondiaux (Julien Sale, Tom Vaillant et Martin Couvra), Oihan Guillamoundeguy qui était joueur réserve, le champion de France Nathan Legendre, et Hugo Le Goff, qui a 14 ans et qui est donc en formation. Évidemment, quand on donne à Hugo une invitation, on ne s’attend pas à ce qu’il soit directement dans le top 10. Mais on le met tout de suite dans les conditions du haut niveau pour que, lorsqu’il sera prêt sur le plan de la maturité golfique, il le soit aussi sur le plan de l’expérience. Si on ne fait pas ça, on prend l’habitude de se mettre dans des conditions confortables où on va beaucoup gagner, et d’un seul coup ça va être dur. Il faut donc savoir gérer les deux : être capable d’aller sur des tournois pour les gagner, et aller sur d’autres pour apprendre.
L’an dernier, Paul Margolis a obtenu sa carte sur le Challenge Tour via l’Alps Tour où il a joué comme amateur. Cette année, Julien Sale et Tom Vaillant sont en passe de faire la même chose. Quelle analyse faites-vous de ces résultats ?
Il ne faut pas se tromper : notre finalité n’est pas d’avoir des résultats sur l’Alps Tour pour accéder au Challenge Tour. Nous, notre projet, c’est de former des joueurs pour qu’ils soient dans le top 20 mondial. Des joueurs qui voudraient juste faire des tournois de l’Alps Tour, ce n’est pas ce que nous voulons. L’objectif est d’aller bien au-delà. L’idéal, pour nous, c’est par exemple le parcours qu’a pu faire une Pauline Roussin-Bouchard : un très bon classement mondial amateur (elle a été n° 1 mondiale, ndlr), et une présence immédiate dans les plus gros tournois et sur le LPGA Tour. C’est aussi ce qu’a fait Agathe Laisné. Si nos joueurs parviennent à remplir les objectifs que nous avons fixés, cela signifie que des circuits comme l’Alps Tour ou le Challenge Tour, ils doivent y faire un passage éclair. Une saison, pas beaucoup plus. Quand on regarde le top 20 mondial actuel, ce sont des joueurs qui sont rentrés dans le top 100 mondial en trois ans de professionnalisme environ.
Il faut donc attendre quelques années pour voir les résultats concrets ?
J’ai compilé les statistiques sur le top 20 mondial professionnel depuis 2019. Il ne faut pas se leurrer : c’est un sport à maturité précoce. La vitesse d’entrée dans le top 100 mondial après le passage professionnel, c’est 1,6 an chez les femmes, et 3,1 ans chez les hommes. Cela veut dire que les premières années sont primordiales. On voit également que ces joueurs et ces joueuses participent tout de suite aux gros circuits, et avec des résultats significatifs. Par ailleurs, 92 % des joueurs qui ont été dans le top 20 mondial professionnel ont été dans le top 20 mondial amateur. 79 % ont été dans le top 10, et 77 % dans le top 5. Donc l’objectif, pour toutes ces raisons, c’est d’aller dans le top 20 amateur. Tous ceux qui ont été dans le top 20 mondial ces trois dernières années, dès leurs trois premières années, ils ont tout de suite joué les gros tournois, et été présents sur les gros circuits. Chez les Européens, tous ceux qui ne vont pas en fac U.S. jouent beaucoup de tournois du DP World Tour. Ils sont très peu à avoir joué sur le Challenge Tour.
Certains des meilleurs amateurs français choisissent, également, de faire des cursus en université américaine pour continuer de se former au haut niveau. Dans cette optique, le cheminement par l’Alps Tour et le Challenge Tour constitue-t-il une voie supplémentaire ?
Lorsque je regarde tous ceux qui ont été dans le top 20 pro depuis 2019, 70 % ont été en université américaine. Ceux qui n’ont sont pas allés, en majorité, ce sont les Anglais et les Japonais. Quand on regarde les non-Américains au classement mondial pro, plus ils sont bien classés, plus ils ont été en fac U.S. Qu’est-ce que je conclus de ça ? Que les universités américaines sont très intéressantes pour former des joueurs de haut niveau, mais à plusieurs conditions. Tout d’abord, qu’ils soient dans une bonne fac et une bonne conférence. Ensuite, qu’ils soient prêts. Car là-bas, en fonction des universités, ils ne sont pas toujours entraînés de la même manière, avec le même degré d’autonomie. S’ils sont dans une fac très forte, il ne faut pas qu’ils soient sixième ou septième dans la hiérarchie, sinon ils ne jouent pas (les tournois universitaires américains se jouent généralement par équipes de cinq, ndlr). Donc les facs américaines, à mon sens, c’est très bien mais pour les meilleurs, ceux qui sont prêts tout de suite, et un peu moins pour les autres. Si on reprend les classements lors du lancement du projet Mondiaux, il y a deux ans, Martin Couvra était 669e au WAGR, Tom Vaillant 357e, et Oihan Guillamoundeguy 425e. Donc on avait des joueurs pour qui la question de partir en fac U.S. s'est posée : ils n’auraient pas eu des bonnes facs, ou ils n’auraient peut-être pas beaucoup joué. Donc le choix a été fait de les préparer, et on a fait le choix d’une stratégie un peu "commando", en les envoyant jouer un maximum de tournois pros, sur l’Alps Tour mais aussi sur le Challenge Tour et le DP World Tour, puisqu’on vient de leur faire jouer le Cazoo Open de France. Et là, effectivement, ça leur a permis de beaucoup progresser (Tom Vaillant est actuellement 59e mondial amateur, ndlr), ça a été efficace, et les entraîneurs ont été très bons. Maintenant, imaginons que demain, on ait un joueur de 18 ans qui soit dans le top 50 mondial amateur, est-ce qu’on lui conseille d’aller en fac U.S. ou pas ? Moi, je lui conseillerais de le faire, car là-bas, il va trouver tout ce qu’il lui faut pour son adaptation finale. Donc aujourd’hui on a ces deux voies. Ceux qui sont un peu moins prêts, qui ont un peu plus besoin d’être accompagnés, peut-être que de passer un peu plus de temps en Europe, c’est une voie intéressante à explorer. Typiquement, pour des joueurs comme Julien Sale, Tom Vaillant, Martin Couvra ou Oihan Guillamoundeguy, toute l’expérience qu’ils ont pu prendre sur l’Alps Tour, c’est très intéressant pour eux en termes de formation. Maintenant, on espère qu'ils poursuivront leur progression derrière.