Spécialiste en psychologie comportementale, Julien Fichot-Lefort, 49 ans, intervient régulièrement en formation auprès des coachs des équipes de France, et lors des journées DTN auprès des entraîneurs de clubs. Cet ancien préparateur mental sur le Tour européen livre sa vision de la relation entraîneur-joueur, avec comme credo la nécessité pour le premier d'individualiser son discours pour amener le second vers la performance maximale.
Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Je suis psychologue du sport et ancien sportif de haut niveau. J'ai été en équipe de France junior de judo, ce qui m'a permis d'appréhender par moi-même cet univers. J'ai fait principalement mes études à l'Insep, et je travaille depuis une vingtaine d'années sur les facteurs de la performance, notamment la dimension psychologique. Je suis en parallèle consultant en ressources humaines, et à ce titre je travaille sur la relation entre les managers et les salariés. Donc ça fait longtemps que je m'intéresse à la relation entre les individus, les modes de fonctionnement et les personnalités de chacun.
Comment en êtes-vous venu à travailler dans l'univers du golf ?
Complètement par hasard ! Venant du judo, je reconnais que je n'avais pas une image très sportive du golf, par méconnaissance. Or, il se trouve que la dimension mentale dans le golf est certainement un peu plus prégnante que dans d'autres sports. Si on questionne une personne lambda sur la représentation qu'elle a du golf, elle va probablement nous parler très vite de la concentration que demande cette discipline. Le golf a une dimension mentale plus évidente que d'autres sports. À la fin de mes études, je n'étais pas un spécialiste de la performance, mais plutôt des périodes de blessure, du dopage, et de la reconversion des sportifs de haut niveau, qui étaient mes sujets de recherche. J'ai fait pendant quelques années de consultations dans un centre de médecine du sport avec des athlètes blessés, qui petit à petit ont guéri et m'ont demandé de les accompagner sur la performance. Et le premier sport dans lequel j'ai exercé en tant que psychologue du sport, spécifiquement dans le domaine de la performance, c'est le golf. Celui qui a joué un rôle très important pour me faire rentrer dans ce milieu est Patrice Amadieu, du temps où il était responsable de l'académie Leadbetter à Montpellier-Massane. Lorsqu'il m'a sollicité, il y a une vingtaine d'années, il n'y avait pas beaucoup d'intervenants comme moi sur la dimension mentale. Il m'a offert la possibilité de travailler dans ce milieu, en me laissant beaucoup de liberté, et je lui en suis encore aujourd'hui très reconnaissant. J'ai appris à découvrir ce sport que je connaissais mal, et j'ai eu des confirmations que les golfeurs ne travaillaient pas tous de la même manière dans leur approche de l'entraînement et de la compétition. Et j'ai eu la chance de pouvoir travailler avec Raphaël Jacquelin dès ma deuxième année dans le golf. C'était une énorme opportunité, et je l'ai accompagné durant sept ans, avec beaucoup de bons résultats qui m'ont aidé à légitimer la qualité de notre travail. Derrière, j'ai travaillé avec plusieurs autres joueurs professionnels comme François Delamontagne, Jean-François Lucquin ou Alexandre Kaleka, sur des périodes assez longues. En réalité, j'ai découvert le golf à l'envers dans le sens où j'ai d'abord commencé à bosser sur le Tour européen, pour venir ensuite sur le haut niveau amateur !
À titre personnel, vous êtes-vous mis au golf ?
Je me suis mis au golf tout de suite, par goût du challenge et désir de mieux comprendre la discipline. C'est quelque chose que j'ai fait dans tous les sports dans lesquels j'ai travaillé, pour avoir un minimum de ressenti et affiner ma compréhension. C'est important à mes yeux, et j'ai tendance à penser qu'on ne peut pas être un bon intervenant dans un sport si on n'a pas une très bonne connaissance de l'activité. Et particulièrement pour le golf, qui est une discipline unique en son genre. C'est en effet à la fois une confrontation contre le parcours et contre des adversaires ; c'est aussi un sport dans lequel l'effort est réparti sur plusieurs jours, avec une performance qui dure de 4 à 5 heures par jour. Il y a très peu de sports, en réalité, dont le résultat découle de 16 à 20 heures de concentration ! Et on met quand même beaucoup moins de temps quand on vient de l'extérieur à comprendre ce qui se passe sur un terrain de basket que sur un parcours de golf, car l'un est normé et l'autre nettement moins. C'est la particularité du golf que de devoir s'adapter chaque semaine à des parcours différents, à des types d'herbe différents, à des greens différents, à des conditions climatiques différentes... En tant qu'intervenant en préparation mentale ou psychologie du sport, il me semble essentiel d'investir du temps dans la compréhension globale du golf.
Comment en êtes-vous venu à intervenir plus spécifiquement auprès des entraîneurs fédéraux et des entraîneurs de clubs ?
Je travaille en collaboration avec les entraîneurs fédéraux depuis longtemps, pour être intervenu auprès des joueurs des pôles et des équipes de France. Le travail que j'ai pu mener avec eux implique forcément un retour à l'entraîneur, un débriefing, et on ne peut pas aborder la performance d'un joueur sans aborder la manière dont il s'entraîne et dont il prépare ses compétitions. Donc je travaille sur l'interaction joueur-entraîneur depuis longtemps. À un moment donné, après 18 ans à voyager sur le Tour avec les joueurs, j'ai éprouvé le besoin de prendre un peu de recul avec la performance golfique, notamment pour réduire les temps d'absence de la maison. Je voulais aussi prendre du recul sur ce que j'avais fait durant cette période, en reprenant mes carnets de notes. Il y avait finalement pas mal de richesses dans ces notes, auxquelles j'ai consacré deux ans. Ça m'a fait du bien de ne plus aller sur les tournois car j'ai vu les choses avec un peu plus de distance. Plus récemment, j'ai recontacté la DTN pour leur proposer un travail spécifique d'accompagnement des entraîneurs sur l'individualisation des entraînements et du coaching en compétition.
Quel est le contenu de vos formations auprès des entraîneurs fédéraux ?
Concrètement, ça s'est traduit par la mise en place d'une formation en psychologie comportementale, qui a été suivie de journées d'analyse de pratique, le but de tout cela étant que chaque entraîneur fédéral ait bien conscience de son propre mode de fonctionnement, et par extension de sa propre personnalité, et donc de ce qu'il véhicule auprès du joueur. Le deuxième travail a été d'identifier l'interaction entre le joueur et l'entraîneur. De mon point de vue, ce sont deux personnalités qui se rencontrent, et de cette rencontre va naître – ou pas – de la performance. Mon postulat de départ, c'est que l'entraîneur est à la fois une très grande source de progrès pour le joueur, mais aussi une très grande source de risque. Il y a certains traits de sa personnalité qui, à un moment donné, peuvent être un frein dans la progression du joueur. Ce que propose l'entraîneur – le contenu des séances, l'animation des séances, les débriefings de parties, l'animation des échauffements, les parties d'entraînement, etc. – véhicule sa vision personnelle sur la performance. C'est son propre modèle, et il ne correspond pas toujours aux besoins fondamentaux du joueur. Aujourd'hui, les entraîneurs fédéraux entraînent entre deux et cinq joueurs chacun, donc ça implique pour eux d'avoir la capacité d'animer des séances différentes sur une même journée, puisque leurs joueurs fonctionnent différemment. J'essaie de leur faire prendre conscience qu'ils doivent explorer de nouvelles modalités pédagogiques, mettre en place de nouveaux exercices, modifier parfois leur manière naturelle de communiquer. En résumé, j'essaie de les amener à sortir de leur zone de confort et à développer d'autres compétences, comportementales et relationnelles. Et si l'entraîneur arrive à faire passer son expertise technique avec le bon mode de communication et le bon support pédagogique, il est dans le juste.
Sur quoi portent les interventions que vous effectuez lors des journées DTN ?
Sur les journées DTN, ce ne sont pas des formations mais plutôt des conférences. Le grand message, c'est que si on veut rentrer dans une démarche d'individualisation auprès des joueurs qu'on entraîne, la première chose à faire est d'avoir une bonne connaissance de soi. Déjà, se questionner sur comment on fonctionne, comment on enseigne et comment on coache de manière naturelle. Ensuite, il faut se rendre compte qu'on ne connaît pas assez les joueurs qu'on entraîne, car on ne les questionne pas assez. On ne prend pas suffisamment de temps pendant une séance, ni pour la présenter, ni pour la conclure. On se prive souvent de temps d'échange avec le joueur qui sont à mon sens précieux, parce qu'on est happé par l'activité. Finalement, un joueur qui arrive sur un golf vient pour mettre son corps en mouvement, et un entraîneur vient pour entraîner, donc les deux sont rapidement entraînés vers la partie active de l'activité. Or, je pense qu'à tous les niveaux, on ne passe pas assez de temps à échanger sur la relation entraîneur-entraîné. Et à mon sens, les doublettes qui fonctionnent, fonctionnent majoritairement par le fruit du hasard. Alors certes, il y a une part d'intelligence intuitive qui fait que le joueur voit vite et bien ce qu'un coach peut lui apporter ; il peut être séduit par des manières de travailler de l'entraîneur qui sont en totale correspondance avec sa manière de travailler à lui. Par exemple, un joueur qui a besoin de beaucoup de répétition va aimer travailler avec un entraîneur qui aime la répétition, les détails, la précision. Ce dont le joueur a besoin va également dépendre de son âge, de son niveau, de son parcours personnel, et ses besoins évoluent évidemment en fonction du point où il en est dans sa carrière. Ce qui est sûr, c'est que l'entraîneur répond toujours à un besoin du joueur, mais il doit se poser la question de savoir quels sont-ils à tel ou tel moment. Et ce n'est pas facile de s'adapter, car c'est coûteux d'un point de vue énergétique, intellectuel, parce que ça demande de l'agilité psychologique ; bref, parce qu'il lui faut sortir de sa zone de confort.
Estimez-vous que le golf est en retard, comparé à d'autres sports, dans la prise en compte de cette dimension ?
Comparé à d'autres sports, le golf n'en est pas du tout au début. Ces aspects-là sont en revanche très peu abordés dans la formation initiale, et ça vaut pour toutes les disciplines sportives. S'il y a aujourd'hui un écueil global, c'est l'absence de ce genre de contenus dans les formations initiales, celles qui vont certifier et permettre d'enseigner contre rémunération. Le golf a une dimension technique extrêmement présente car extrêmement complexe, et c'est assez logique qu'elle prenne beaucoup de place. On conviendra que la palette technique d'un entraîneur de marathonien soit moins large que celle d'un entraîneur de golfeur, car le swing de golf est l'une des actions motrices les plus complexes qui soient dans le sport. Il y a beaucoup d'entraîneurs qui sont attirés par le golf parce que cette complexité les intéresse, les stimule, et qui vont se consacrer avant tout à cette dimension. C'est sûr qu'un bon swing est la base d'un bon joueur de golf. Mais, honnêtement, je trouve que les entraîneurs de golf sont de manière générale assez conscients que l'individualisation de leurs discours est importante dans l'exercice de leur métier, ne serait-ce que parce qu'ils s'en rendent compte au quotidien avec leurs élèves. Et cette dimension n'est pas réservée qu'à ceux qui entraînent des golfeurs de haut niveau.
L'individualisation du coaching peut donc aussi s'appliquer auprès des jeunes, des débutants ?
Absolument. La première question à se poser, c'est pourquoi un jeune s'inscrit-il au golf plutôt qu'ailleurs ? Je pense qu'en cela aussi, on n'a pas une connaissance approfondie de nos joueurs, surtout les jeunes, car on ne prend pas assez le temps de les questionner, de mieux les connaître. Il y a une vraie différence de motivations entre un enfant qui baigne dans un milieu familial où le golf est présent, et un autre qui découvre l'activité par une initiation ou à l'école. Dès l'entrée dans l'activité, il y a donc de grandes différences entre les jeunes. Après, il y en a d'autres qui arrivent très vite par rapport à leur niveau d'habileté technique ; et d'autres enfin, qui sont énormes, sur ce qu'ils viennent chercher dans la pratique du golf. Donc je pense que la démarche d'individualisation, le fait de s'intéresser à l'individu qu'il y a derrière le joueur, peut permettre de mieux faire passer les messages, quel que soit le niveau. Il faut donc réfléchir à la meilleure façon de permettre aux jeunes qui arrivent dans le golf de trouver du plaisir dans l'activité, afin qu'ils continuent.
Quant aux joueurs de haut niveau, en quoi un discours individualisé de leur entraîneur peut-il leur permettre d'être meilleurs ?
Déjà, l'accès au haut niveau suppose que l'athlète a développé des aspects de sa personnalité qui ne sont pas naturels chez lui. Car le haut niveau, c'est la haute concurrence, donc ça demande une grande capacité d'entraînement et de concentration. Ce n'est pas que l'athlète de haut niveau est plus adaptable que l'athlète de moins haut niveau, c'est qu'il a déjà fait un travail de connaissance sur lui beaucoup plus avancé. De toute façon, l'accès au haut niveau implique forcément pour le joueur de sortir de sa zone de confort. Il y a ce qu'on appelle le talent, qui désigne des habiletés motrices, de la coordination, des capacités de dissociations : le joueur peut en disposer naturellement en quantité, et va grandir dans son golf avec ce point fort. Mais quand il va arriver vers le haut niveau, ça ne va pas suffire : même s'il n'aime pas trop la répétition dans l'entraînement, il se rend vite compte qu'il va devoir passer par là, faire des choses qui l'amusent moins, car il n'atteindra l'excellence qu'à ce prix-là. À l'inverse, l'athlète très structuré et travailleur va arriver à un certain niveau grâce à ces qualités-là, mais il va devoir aller explorer d'autres dimensions, par exemple la partie émotionnelle de sa personnalité, son rapport à l'échec ou à la frustration, pour franchir lui aussi un cap, car il se rendra compte que le simple travail n'est pas suffisant pour dominer.
Quelle est la recette, alors, à la disposition de l'entraîneur ?
L'entraîneur est moins contraint de réaliser ce travail d'introspection, car il a toujours sa casquette d'expert technique qui le protège. Mais cette casquette peut parfois aussi le limiter. Ce qui fait évoluer les entraîneurs, c'est les joueurs qu'ils entraînent. Et il y a peu de règles en la matière : chaque entraîneur a son système, ses croyances, ses projections, ses habitudes, mais le seul système qui fonctionne, c'est celui qui génère de la performance. Et la meilleure façon d'y arriver, c'est en créant de la confiance. Et la confiance, évidemment, ne se crée pas par le dysfonctionnement ou par l'échec. Donc c'est à l'entraîneur de trouver comment apporter à son joueur un maximum de confiance. En réalité, cette dimension de l'individualisation est encore plus flagrante dans la partie compétition de la discipline, celle où se trouve le plus de stress et où le joueur est le moins adaptable. Donc le but de l'entraîneur n'est pas d'imposer un système au joueur, mais bien d'en trouver un qui génère de la confiance.