Claudine Chatrier, née Claudine Cros, a disputé les cinq premières éditions du championnat du monde amateur par équipes dames au sein de l’équipe de France, de 1964 à 1972. Elle garde de nombreux souvenirs de cette époque, et notamment de la triplette qu’elle formait alors avec Catherine Lacoste et Brigitte Varangot.
« Vous savez, je ne sais pas si je me souviens de grand-chose… » Dans un accueillant sourire, Claudine Chatrier préfère prévenir : les 81 ans d’une vie bien remplie pourraient déboucher sur une mémoire qui flanche. Mais déjà, les photos, médailles, badges et autres trophées disséminés dans son appartement apportent le premier démenti. Celui-ci devient total lorsque noms et événements sont évoqués : Brigitte Varangot, Championnat du monde, Lally Segard, les Américaines, Saint-Germain, Catherine Lacoste, l’équipe de France. De souvenirs évaporés il n’est plus question. Au contraire, ils se mettent à défiler, imitant les orages de grêle sur Saint-Briac, en ce chaotique après-midi de début décembre.
Repérée par Lally Segard
Dans ce village balnéaire d’Ille-et-Vilaine, à quelques encablures du Golf de Dinard, Claudine Chatrier est revenue sur les terres qui firent d’elle une joueuse de golf. Arrivée là grâce à un grand-père ne supportant plus les longs trajets routiers pour pouvoir taper la balle, celle qui se nommait alors Claudine Cros s’était naturellement initiée au loisir familial dans sa jeunesse d'après-guerre. « Très vite, j’ai joué convenablement, sourit-elle. Mais à l’époque, c’était bien simple : il n’y avait personne. Il y a eu un match France-Angleterre chez les juniors, c’est le premier match que j’ai joué. Je ne sais plus quel âge j’avais, 15 ou 16 ans, je devais être entre 7 et 10 de handicap. C’est comme ça que ça a vraiment commencé pour moi. »
Des premiers pas suffisants pour être remarquée par Lally Segard, déjà multiple championne de France amateur et lauréate du British Ladies Amateur en 1950, qui prenait alors sous son aile l’équipe de France dames. « Elle a souhaité que j’aille jouer des tournois comme le British Girls, livre Claudine Chatrier. Mais mon anglais n’était pas terrible, je ne voulais pas y aller seule. C’est comme ça que je me suis retrouvée, notamment, avec des filles comme Brigitte Varangot. » Elle marque un temps d'arrêt. « Brigitte… un talent incroyable », lâche-t-elle en levant les yeux au ciel et en joignant les mains pour appuyer le superlatif.
Le temps des premières victoires
Ici, un rapide coup d’œil au paysage de cette époque de la fin des années 1950 s’impose : la France comptait à la louche dix fois moins de golfeurs qu’aujourd’hui, et parmi eux une proportion réduite de femmes. Pour elles, la perspective du professionnalisme n’était jamais pleinement évoquée. Dès lors, un noyau dur de joueuses allait former l’ossature des équipes de France amateurs pendant de nombreuses années. Et une ossature tout ce qu’il y a de plus solide : en 1957, pour la première édition du Championnat d’Europe par équipes dames, les Bleues, menées par la capitaine-joueuse Lally Segard, montaient les premières sur le toit de l’Europe.
Sauf que l’Europe, c’est petit. Le monde, c’est mieux. Et en 1964, sous l’impulsion, encore une fois, de Lally Segard, le premier Championnat du monde amateur par équipes dames voit le jour, à Saint-Germain. Immanquablement, Claudine Cros et Brigitte Varangot portent la bannière tricolore, de belle manière puisqu’au bout des quatre tours, la victoire revient à la France. « Alors ça, c’était un miracle, lance l’intéressée. Les Américaines étaient, normalement, bien plus fortes que nous. » Mais elle se dépêche d’ajouter : « Là, c’est grâce à Catherine Lacoste qu’on a gagné ».
Du haut de ses 19 ans, celle qui allait remporter l’US Open trois ans plus tard complétait la triplette française de cette première édition. Et mettait l'occasion à profit pour taper dans l’œil de tout le monde, y compris celui de ses coéquipières. « Lacoste, évidemment, je connaissais le nom, je savais qui c’était, raconte Claudine Chatrier. Mais je ne la connaissais pas du tout. » Ses yeux s’élèvent une nouvelle fois vers le ciel. « Elle était tout simplement incroyable. Cette fille, rien qu’à la regarder, on savait qu’elle était forte. On avait le sentiment qu’elle pouvait franchir n’importe quel obstacle. Ça fusait de partout. Quel phénomène ! En tout cas, elle est devenue un phénomène durant cette semaine-là. Moi, j’étais épatée. Elle n’avait peur de rien. »
Des succès qui durent
Varangot, Cros, Lacoste : le trio était formé, et n’allait pas s’arrêter là en matière de championnats du monde. La même escouade française, sous la houlette de la même capitaine, a disputé les trois éditions suivantes, avec à chaque fois un podium à la clé : deux médailles de bronze en 1966 au Mexique et en 1968 en Australie, et une médaille d’argent en Espagne en 1970. Claudine Cros a glané une cinquième médaille, en 1972 en Argentine pour sa dernière participation, avec la deuxième place obtenue aux côtés d’Anne-Marie Palli, remplaçant Catherine Lacoste, et toujours de Brigitte Varangot.
Une explication à autant de réussite ? « Un lien très fort se crée lorsque l’on est en championnat, qu’on vit ensemble, qu’on se lève ensemble, qu’on prend les repas ensemble, avance Claudine Chatrier. J’ai été capitaine plus tard, et j’ai vu des joueuses qui ne dînaient pas ensemble ou des choses comme ça, je me suis demandée ce que c’était que cette équipe… » Cela sonnerait-il comme un amical conseil glissé à celles et ceux qui défendront les couleurs françaises l’an prochain au Golf National et à Saint-Nom-la-Bretèche ? « Si j’avais un conseil, ce serait de dire que dans ces championnats, il faut s’engager entièrement, se donner à fond, assure-t-elle, en serrant les poings de manière déterminée. Quant à l’esprit d’équipe, ça ne se discute même pas. S’il n’est pas là, qu’est-ce qu’on vient faire là ? »
L’esprit d’équipe, justement, Claudine, devenue Chatrier par son mariage avec Philippe Chatrier, l’a perpétué pendant plusieurs années avec les mêmes coéquipières au sein des équipes de France seniors. Malgré une vie qui l’a souvent amenée à vivre hors de France, elle a gardé des liens forts avec Brigitte Varangot, aujourd’hui décédée. « Je dirais que notre amitié était sans interruption, explique-t-elle. On pouvait rester plusieurs mois ou plusieurs années sans se voir ou se parler, et quand on se retrouvait, c’est comme si on ne s’était jamais quittées. » Avec Catherine Lacoste, d’une génération différente de la sienne et établie depuis longtemps en Espagne, les chemins ne se sont pas recroisés aussi souvent. « Mais on s’est souvent vues sur certains tournois », précise Claudine Chatrier qui, en parlant de tournois d'envergure, a l’envie et la ferme intention de venir assister, au moins en partie, aux Mondiaux 2022 fin août et début septembre.
Une énième ondée vient de passer. L’éclaircie arrive sur Saint-Briac, faisant apparaître une lueur de fin d’après-midi. L’évocation des souvenirs a débuté il y a deux bonnes heures. « Ben vous voyez, finalement, je me souviens de plein de choses… »