Avec une certaine goguenardise dans son nom, l’Infinitum Golf accueillait mi-novembre la finale interminable des cartes européennes. Une compétition de six jours par laquelle sont passés treize Français et de laquelle tous n’ont pas réchappé.
C’est une semaine à part. Où beaucoup ont le sentiment de « jouer leur vie » quand cela n’est pas forcément qu’un sentiment. Ils sont déchus du DP World Tour, méritants des circuits satellites, conquérants des phases 1 et 2 des Q-School, amateurs en quête d’un métier ou desperados du monde professionnel. Cent cinquante-six hommes cette semaine-là, sur les deux tracés catalans de l’Infinitum Golf, dont treize Français plus ou moins repentis. Pendant six jours, chacune de ces âmes joue avec l’objectif d’accéder à la première division européenne. Un sésame qui a un prix : 2800 euros pour tenter sa chance, plus la résilience pour y arriver. Seuls les 25 premiers et ex aequo du classement en auront la possession au terme du sixième jour de compétition. Mais une longue épopée n’est rien sans grand obstacle. Alors au quatrième tour, un gouffre se présente : un cut ne laissant traverser que 70 élus vers les portes de leur paradis.
C’est à la veille de ce lundi maudit que l’atmosphère se charge de quelques bars supplémentaires. Le lendemain, la moitié du champ engagé dans le tournoi repartira bredouille. Les uns avec le droit de jeu qu’ils étaient venu améliorer, les autres avec une relégation au plus bas des strates professionnelles. Une réalité qui se matérialise davantage à 24 heures du couperet, parfois à la surprise des joueurs. Car à force de se répéter qu’il reste « beaucoup de golf à jouer », on en vient à oublier que la première échéance est déjà là. Mais chez les kinésithérapeutes de la maison France - un appartement où trônent deux tables au milieu d’un salon sur fond de Méditerranée - l’ambiance est à la décompression. Pour Damien Grison et Sébastien Vivé, ostéopathe et kinésithérapeute missionnés par la ffgolf, le travail à la chaîne démarre. Tandis que Pineau et Giboudot se font traiter, Bourdy, Guichard et Sciot-Siegrist attendent leur tour. « En fait, on a donné rendez-vous 16 h 30 à tout le monde », plaisantent les deux soigneurs. Puis un débrief s’installe. « Ils sont comment les drapeaux sur le Lakes ? » demande Giboudot à Pineau. « Plus faciles qu’hier », répond l’autre. « Et au 6, tu as tapé quoi ? - Un fer. » Tout information est bonne à prendre. Là est d’ailleurs le comble : dans une maison France qui unit le temps d’un soin les treize Tricolores en lice, chacun joue finalement pour son propre compte. « C’est vrai que, pour moi, c’est totalement différent d’un tournoi du Tour européen, raconte David Ravetto. Ici, je n’ai dîné avec aucun Français, j’étais au lit à 21 heures. Je saluais tout le monde, bien sûr, mais j’étais de mon côté tout le temps. Ce qui ne veut pas dire que je ne les soutiens pas, mais il fallait m’éviter un maximum de diversions. » Car ils le savent. Installés dans un canapé de facture et allongés sur la table des « doc », le lendemain, à cette même heure, tous ne seront pas dans les 70 premiers. Tous ne l’ont pas été.
Le temps du ballotage
Au matin de ce lundi 13 novembre, l’ambiance se refroidit. Les sourires se font rares aux départs, les silences plus lourds aux abords des greens et les regards plus longs sur cette dernière ligne des tableaux d’affichage : « Current 70th : -5 » La voilà, la marque tant redoutée. Celle qui annonce à Grégory Havret (-1), Alexandre Daydou (+5) et Clément Guichard (+4) que leur chance de passer le cut est quasi nulle. Sur un tracé qui n’a pas vu pléthore de cartes totaliser moins de 68 coups sur un par 72, atteindre le score de -5 total relevait d’un exploit qu’ils n’ont finalement pas accompli. Mais leur compatriotes restants étaient, eux, en ballotage. À la limite pour les uns, juste au-dessus pour les autres. À tel point que la France a, pendant un temps ce jour-là, craint la possibilité de ne voir qu’un unique de ses représentants jouer les deux tours finaux. « Pourtant, sur le papier ce n’est pas difficile, amorce Martin Couvra. Quand on y pense, on demande juste à chaque joueur de tirer -1 ou -2 à chaque tour ; et d’atteindre -15 en six jours pour faire partie du top 25. C’est à la portée de beaucoup. » Une analyse véridique, si tant est que l’on enlève le contexte qui accompagne chacun des participants. « Quand tu arrives avec une saison pleine dans les jambes ou que tu n’as plus de catégorie en cas d’échec, ça joue forcément », ajoute le néo-pro de 20 ans. Alors tous le disent, c’est globalement une affaire de mental.
Puis arrive un stade où la tête ne tient plus. Où les noms d’oiseaux font échos aux coups dans le sac, comme un langage universel aux 30 nationalités présentes cette semaine-là. « P***** de sport », peste un Britannique à la sortie du 9. Un autre choisit de faire voler son wedge vers une pièce d’eau au 6, avant de fracturer son putter en deux sur son genou. Tous les moyens sont bons pour exorciser le mal que leur fait subir ce sport si ingrat. Matthieu Decottignies-Lafon l’exprimera d’ailleurs dans un post Instagram quelques heures après son élimination aux côtés de Robin Roussel : « Ça fait mal, probablement plus que jamais. Je pensais pouvoir rivaliser avec le très haut niveau mais je n’ai pas fait ce qu’il fallait cette semaine pour avoir un travail décent l’année prochaine. La vie est faite de moments comme ça. »
La belle histoire
Un malheur d’autant plus acide qu’il se dessine en même temps que la réjouissance des autres, dont celle de Maxence Giboudot. Les ongles de plus en plus courts à mesure que la semaine avance, il n’en reste pas moins lucide : « C’est juste le tournoi le plus important de toute de ma vie », lâche-t-il avec dédain. Pourtant, avec son statut amateur, le joueur de 19 ans n’a pas grand-chose à perdre, si ce n’est du temps à évoluer sur un Alps Tour qu’il a rechigné à jouer un an plus tôt, car trop loin de ses ambitions. Moins stressé que la veille avec son score total de -5, l’amateur du Val de Sorne passé par le Centre de performance de Terre Blanche démarre alors son quatrième tour avec un birdie dès son deuxième exercice (le 11). L’idéal. Mais un double bogey au 13 puis un bogey au 15 le plongent dans une certaine crispation, le poussant à nous demander de s’écarter de sa partie. « Je suis tellement superstitieux que je voulais que tout soit parfait. Et à ce moment-là, j’étais alerte sur tout ce qui se passait autour de moi et je n’arrivais pas à ne pas me focaliser sur vous », s’excuse-t-il après coup. Mais les dieux du golf lui ont donné raison. Dans la foulée, le 2998e joueur mondial enquille un birdie au 16, puis parvient à repasser sous le par à l’aller (son retour). Les larmes aux yeux sur le fairway du 9 (son 18e trou), il réalise que sa carte dans le par lui permet alors de passer le cut de justesse et donc, de s’assurer un droit de jeu complet sur le Challenge Tour en 2024. Un ticket d’or pour celui qui venait en Catalogne avec l’objectif d’en repartir professionnel. Gagné par l’émotion, il en perdra même les sens au point de boire par inadvertance une gorgée d’ammoniaque - sans conséquence permanente - dans une bouteille oubliée dans sa chambre par le personnel de l’hôtel. « C’est un tournoi incomparable à un autre. Mon corps ne m’appartenait plus, je suis passé par des états dingues. J’ai tremblé même après le départ du 1 », expliquera-t-il dans un état second. Un sentiment partagé par David Ravetto, heureux et unique Français qualifié dans le top 25, qui ajoutera à la conclusion de sa semaine, non sans sourire : « J’ai perdu en espérance de vie. »
Le sixième jour, le golf créa les enfers à son image
Car oui, après quatre tours de purgatoire, venaient donc les deux derniers de torture. En particulier le sixième. Une journée où les damnés, malgré cinq bonnes journées passées, seraient condamnés à une année de plus sur un circuit dont ils ne veulent plus. Une journée où les élus seraient jalousés par les vaincus. « C’est le golf. Il y a des joueurs qui ont fait une mauvaise saison sur le Challenge Tour et qui monte cette semaine sur le DP World Tour, c’est comme ça », analyse Félix Mory, quelque peu abattu. Lui n’en sera malheureusement pas. À un coup du top 25. Accroupi au bord du putting green, le regard perdu vers un practice vide, à déchiqueter machinalement les brins d’herbe, le 31e de la Road to Mallorca ressasse son troisième tour, le seul conclu au-dessus du par ; un coup au-dessus, précisément… comme pour rappeler la cruauté d’un tournoi où le moindre faux-pas peut être critique. Il est un exemple des nombreux non-gagnants de la finale des cartes européennes mais beaucoup s’identifieront à lui et à son dénouement. Grégory Bourdy, d’abord, dans la même partie que son confrère, tout comme Pierre Pineau et Robin Sciot-Siegrist, tous les trois échoués à deux coups de l’objectif. « C’est frustrant, d’autant plus lorsque l’on est en forme et que l’on joue bien, exprime pour sa part le plus expérimenté des trois. C’est dur parce que l’on joue une grosse partie de notre vie et de notre carrière, peu importe l’âge que l’on a. Il faudra analyser ça pour repartir de plus belle l’an prochain. » Rendez-vous est donc pris. Sûrement pas en Catalogne, car aucun d’entre eux n’en a envie. Bien que l’Infinitum les attende, eux ou d’autres, pour appliquer la loi cruelle des cartes européennes.