Promu sur le DP World Tour pour la saison 2024-25 après sa réussite aux Cartes européennes, l'Arlésien découvrira le grand circuit dès la semaine prochaine en Australie avec le drapeau arménien accolé à son patronyme, mais une fierté inchangée d'être français.
Si Clément Sordet et Bastien Amat ont décroché leur droit de jeu sur le DP World Tour pour la saison 2024-25, il y a dix jours à l'issue de la finale des Carte européennes en Espagne, un troisième Français s'est également emparé du précieux sésame : Jean Bekirian. À la différence près qu'au patronyme de l'Arlésien est désormais accolé le drapeau arménien, suite à un changement de nationalité sportive officialisé au cours de l'été. « Je suis Français avant tout, ça ne changera jamais : j'habite en France et j'adore la France », pose d'emblée le golfeur âgé de 22 ans. « Mais je suis aussi d'origine arménienne, j'ai pas mal de famille étendue dans la communauté arménienne dispersée à travers le monde, et c'est un rêve de représenter l'Arménie depuis que je suis jeune. »
Un rêve devenu réalité il y a quelques mois, suite à des démarches administratives entreprises après avoir visité l'Arménie pour la première fois en début d'année. « J'ai eu l'occasion de rencontrer des gens qui m'ont apporté des connaissances supplémentaires sur ce sujet que je connaissais déjà pas mal. J'ai visité le cimetière militaire d'Erablur à Erevan, j'ai vu les tombes de tous ces jeunes qui avaient mon âge quand ils sont morts au combat pour défendre le pays (lors de la guerre du Haut-Karabagh qui a eu lieu entre 1988 et 1994, ndlr), et ça m'a remué. Depuis ce jour, ma vie a changé », explique le jeune homme dont l'arrière-arrière-grand-père paternel dut quitter l'Arménie suite au génocide perpétré sous l'empire ottoman, au milieu des années 1910, avant d'arriver quelques années plus tard dans la région de Marseille, où les Bekirian sont toujours installés.
Service militaire obligatoire de 18 à 27 ans !
Malgré toutes les preuves généalogiques dûment fournies, l'obtention d'un passeport arménien n'a pourtant pas été aussi simple que l'imaginait Hovhannes - « Jean » dans la langue de ses aïeux : « J'ai commencé à faire des démarches en ce sens, et j'ai appris qu'il y a un service militaire obligatoire de 18 à 27 ans ! Et c'est une condition sine qua non pour avoir un passeport. C'était une décision difficile à prendre, mais je l'ai prise. Sauf qu'il y a une loi qui est passée récemment, qui dit que les artistes, sportifs ou personnalités publiques d'origine arménienne mais de la diaspora peuvent en être exemptés. J'ai donc rencontré le ministre des Sports, et par son biais j'ai pu obtenir mon passeport et ma citoyenneté arménienne », raconte-t-il.
Désormais doté de la double nationalité, c'est sous les couleurs arméniennes qu'il poursuivra sa carrière de golfeur professionnel, entamée début 2019 à l'âge précoce de 16 ans. Et au-delà du simple fait de marquer l'histoire en devenant le premier Arménien à jouer sur le circuit européen, Jean Bekirian entend le faire à plus grande échelle en se qualifiant pour les prochains Jeux olympiques, dans quatre ans à Los Angeles : « J'espère avoir le classement mondial nécessaire pour les jouer. Ce serait presque comme à la maison, car à L.A. il y a une énorme communauté arménienne ! » souligne-t-il dans un éclat de rire. « Et plus généralement, mon but est de faire tout mon possible pour aider au développement du golf en Arménie. On commence à parler un peu de mon histoire là-bas, mais c'est un pays où ils ne connaissent rien au golf. Il y a juste un petit practice et quelques trous qu'on ne peut même pas qualifier de parcours compact... Le sport, en Arménie, c'est avant tout l'haltérophilie ou la lutte. Même les échecs sont plus considérés comme un sport que le golf ! »
Nuit blanche à Tarragone
Après une saison réussie sur le Pro Golf Tour - dix top 10, dont une victoire, pour une 4e place finale à l'ordre du mérite, synonyme de remontée sur le Challenge Tour - l'histoire aurait pu se limiter au simple fait d'être le premier golfeur professionnel arménien, sans la mention « à évoluer sur le Tour européen ». Lors des PQ2, qu'il disputait à Almería en Andalousie, il s'est retrouvé à la « place du con », victime d'un play-off à cinq joueurs pour quatre tickets. « J'ai pris un gros coup derrière la tête », confesse-t-il. « Mais les officiels m'ont dit de me tenir prêt, sachant que chaque année il y a cinq ou six réservistes qui intègrent malgré tout le champ de la finale. Une heure plus tard, j'étais déjà en route pour Lumine (où se disputait la finale des Cartes, ndlr) quand j'ai reçu un coup de fil de confirmation. J'étais presque plus heureux à ce moment-là que quand j'ai eu ma carte une semaine plus tard ! »
La semaine en question, en Catalogne, a été tout aussi forte en émotions, dans un sens comme dans l'autre. Entouré de sa famille, soutenu par son caddie Jean Desplas, il maîtrise son sujet lors des deux premiers tours et pendant la majeure partie du troisième, mais conclut par un enchaînement bogey-double bogey. « Et un super double, car je rentre 8 m ! » rigole-t-il. « Donc malgré la déception, je serre le poing car je savais ça pouvait être décisif pour la suite. » Remobilisé par son père, qui est également son coach, il lâche les chevaux le lendemain et envoie -7 pour remonter dans le top 20 après quatre tours. « J'avais déjà rempli mon objectif d'être là, j'avais déjà amélioré ma catégorie sur le Challenge Tour en passant le cut, mais je me suis rendu compte que selon ce que je faisais sur les deux derniers tours, ça changerait ma vie... ou pas. »
Dans un finish perturbé par la météo (le cinquième tour a été interrompu en fin de journée, et le sixième décalé au surlendemain), Jean Bekirian a comme tous ses concurrents largement eu le temps d'imaginer tous les scénarios possibles. « Ça a été très dur : j'étais cuit physiquement, ça faisait 21 jours d'affilée qu'on jouait... On a eu la journée d'arrêt où j'ai bien gambergé, et la veille du dernier tour, je n'ai pas dormi une seule minute de la nuit. J'ai essayé de manger un peu le matin, et évidemment rien ne passait... Mais au practice le matin, je tapais droit, ça sortait nickel », raconte-t-il. Au bout de la nuit blanche, quatorze pars et quatre birdies plus tard, il était enfin devenu le premier Arménien du Tour européen !
Après avoir célébré sa réussite comme il se doit, c'est-à-dire en enchaînant un maximum de grasses matinées, l'Arlésien est vite reparti au combat. « Je voulais sauter dans le premier avion pour aller jouer en Australie, mais j'ai discuté avec quelques mecs qui ont plus d'expérience, notamment Benjamin Hébert avec qui je m'entends très bien, et qui m'ont conseillé de me calmer », plaisante-t-il. C'est donc la semaine prochaine, à l'occasion du ISPS Handa Australian Open, qu'il fera ses grands débuts sur le grand circuit, celui qui l'a fait rêver depuis qu'il est gamin, avant d'enchaîner le mois prochain par l'Alfred Dunhill Championship en Afrique du Sud (12-15 décembre) et l'AfrAsia Bank Mauritius Open à l'île Maurice (19-22 décembre). Avec un unique objectif : « Je ne sais pas ce que vaut mon niveau de jeu à l'échelle du DP World Tour, donc je n'ai pas vraiment d'objectif de résultat, juste faire de mon mieux, kiffer le plus possible, et jouer pour gagner le plus souvent possible, comme sur les autres circuits. Et si j'ai la chance d'être à la bagarre, je ferai de mon mieux pour concrétiser et célébrer une victoire pour l'Arménie, et pour la France ! »