En remportant son premier succès sur le DP World Tour, Julien Guerrier a décroché la 50e victoire française sur le circuit. Pourtant, au lendemain de la consécration, rien n’a vraiment changé pour lui.

Julien Guerrier en pleine reconnaissance de sa prochaine soirée. © Jose Manuel Alvarez Rey / NurPhoto via AFP

Presque comme à l’habitude, le lundi 21 octobre de Julien Guerrier a été consacré au voyage : l’une des nombreuses contraintes inhérentes à la carrière de golfeur de très haut niveau. En temps normal, il aurait dû quitter l’Espagne pour prendre la direction de la Corée du Sud. Là-bas se tient à partir de jeudi le dernier rendez-vous de la saison régulière, le Genesis Championship. Pour beaucoup il s’agit de l’ultime occasion de conserver sa carte, d’intégrer le top 70 de la Race to Dubai, voire le top 50, et pourquoi pas de remporter un premier titre. Le natif d’Évreux, lui, n’a pas attendu cette échéance pour faire tout cela.

Outre sa valise et son sac de golf, c’est un bagage un peu singulier qu’il transporte avec lui en direction de son cocon lyonnais : un trophée ; celui de l’Estrella Damm N.A. Andalucía Masters. « Je suis très heureux, ça a été une longue attente » englobe-t-il alors que, justement, il patiente à l'aéroport pour enregistrer ses bagages. Si dix-sept années séparent ce tout premier succès dans l’élite européenne de son passage professionnel, sa patience n’aura duré dans les faits « que » sept saisons depuis son accès complet à la plus haute strate du circuit. « Ce n’est jamais facile de gagner, reprend-t-il pour souligner l’arrivée de cette récompense après 230 tournois joués. On le voit même chez les joueurs du top 10 mondial, à l’image de McIlroy, le taux de conversion n’est jamais très haut. » Loin d’être une délivrance, ce résultat est surtout l’aboutissement d’un travail qui était de plus en plus gage de bonnes performances. Le bénéfice également d’un choix opéré deux ans plus tôt en s’associant avec Raphaël Jacquelin sur le plan technique. La rétribution, enfin, de sa persévérance au cours d’un play-off entré parmi les plus longs de l’histoire du circuit.

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EN DISPUTANT NEUF TROUS DE PLAY-OFF, JULIEN GUERRIER ET JORGE CAMPILLO ONT ÉGALÉ LE RECORD DE LA MORT SUBITE LA PLUS LONGUE SUR LE DP WORLD TOUR, ENREGISTRÉE À L'OPEN DES PAYS-BAS EN 1989 ET À L'OPEN D'ESPAGNE EN 2013.

Un play-off pas si insoutenable

S’il a progressivement adopté un caractère interminable pour les spectateurs, ce mano a mano face à Jorge Campillo a, en réalité, fini par tourner à « la normale » pour le Tricolore. D’abord, il y a eu la tension des premiers exercices. Guerrier s’est vu gagner, perdre également. « Je savais que Jorge avait un mental de dingue et qu’il était capable de sortir des putts incroyables. J’étais présent en 2020 lorsqu’il avait rentré un putt de 20 mètres pour aller en play-off avant de remporter le Qatar Masters » retrace-t-il. Malgré les coups plus ou moins décisifs de son adversaire, lui n’a pas changé sa stratégie. « Comme le green était un peu en hauteur au 18, on ne voyait pas vraiment où étaient positionnées nos balles. Je me doutais selon la réaction du public de ce que ça pouvait donner mais à chaque fois, je jouais mon coup sans prendre en compte ce qu’il faisait. »

Et puis, l'intensité s’est muée en prise de plaisir, ou ce qui s'en approche le plus. « Dès le début de la journée, je m’étais dit à plusieurs reprises qu’il fallait profiter des instants que j’allais vivre et, ce, malgré la pression. Parce qu’il ne faut pas se mentir, la pression n’est jamais agréable car elle nous amène trop dans les émotions et nous sort du moment présent. Mais il faut la gérer, même avec un tempérament inquiet et anxieux comme le mien » explique l’intéressé. Les applaudissements, les hourras, les onomatopées de déception… Julien Guerrier a tout noté. Même cette négligeable interjection d’un homme du public pour le railler sur un soi-disant mauvais choix de coup. « Ça fait partie du job » ajoute-t-il. À travers un prisme plus compétitif, son regard s’est aussi porté jusqu’à l’état physique de son adversaire : « J’avais vu qu’il ne s’alimentait et ne s’hydratait pas très bien alors que je faisais hyper attention de mon côté. Je savais que j’étais mieux que lui physiquement. » Des facteurs qui ont probablement fini par causer ce quick hook au 9e trou, prémisse d’une défaite à domicile.

Une fin de saison revisitée

Passé de la 81e à la 18e place de la Race to Dubai, l’auteur de la cinquantième victoire française dans l’histoire du circuit européen s’est offert un accès direct pour les deux derniers tournois de la saison, les play-offs organisés à Abou Dhabi et Dubaï. Une position qui lui donne aussi une chance bien concrète de décrocher l’un des dix tickets d’accès au PGA Tour (pour les 10 premiers joueurs de la Race non-exemptés). « Je vais prendre les choses comme elles viennent et on verra » élude-t-il quelque peu. Parler des objectifs n’est pas de son goût, simplement car lui et ses paires de haut niveau ne portent que peu d’importance directe aux résultats ; leur attention étant essentiellement tournée vers l’exécution des routines et l’investissement au quotidien. Malgré cela, la déformation professionnelle veut qu’il sache tout de même ce qu’il lui faudra accomplir pour être un membre du circuit américain l’an prochain : cumuler au moins 500 points de plus à l’ordre du mérite, soit un top 5 minimum dans l’un des deux événements. Mais dans un avenir très proche, les envies et objectifs n’ont que peu d’intérêt, le temps étant à ce qu’il doit être : la célébration d’un titre ô combien savoureux.