Après l'annonce faite en début de semaine, le joueur âgé de 40 ans nous a accordé une interview exclusive dans laquelle il revient sur les raisons de l'arrêt de sa carrière, et les projets auxquels il va désormais se consacrer.

Comment en êtes-vous venu à prendre cette décision ?
Ça fait un petit bout de temps que ça traîne, depuis le passage Covid où j'ai pas mal galéré sportivement. Mes réactions à cette galère sportive ont automatiquement impacté mon entourage, et au bout d'un moment la sonnette d'alarme a été tirée, parce qu'il y a évidemment autre chose que le golf dans la vie. Et voilà.. Aujourd'hui, j'ai envie de me concentrer davantage sur ma famille, et mener des projets professionnels plus stables.
On imagine que la période difficile, du point de vue de la santé mentale, que vous avez traversée ces deux dernières années, n'a pas aidé à vous donner envie de continuer ?
Non, c'est sûr (rires) ! Quand je réalise l'état dans lequel je me suis mis, c'est vraiment dommage parce qu'à la base, le golf est ma passion. J'ai passé de très belles années, c'était cool et je remercie tout ceux qui m'ont aidé à un moment ou un autre. Je me suis régalé à m'entraîner, à travailler pour essayer de devenir meilleur, à me challenger, mais au bout d'un moment, quand c'est plus la galère qu'autre chose, on finit par se demander à quoi bon. Ça reste un métier passion, on n'est pas à plaindre, mais je ne le vivais plus de la bonne manière.
Votre retour à la compétition en début d'année avait pourtant été encourageant...
Ah, mais le problème n'est absolument pas la qualité de jeu ! J'ai les mêmes statistiques de driving qu'en 2019, et si le petit jeu a pris un petit coup ces dernières années, le reste est top. L'attitude aussi est top. Mais je n'ai plus le gaz, et il faut l'accepter. Je n'ai pas envie non plus de m'accrocher à tout prix pour essayer de gratter un an de plus, sachant que je n'ai plus le gaz. J'ai eu vingt années pro toutes aussi intéressantes les unes que les autres, que ce soit dans le bien ou dans le mal, j'ai beaucoup appris, mais au bout d'un moment je pense qu'il y a des choses beaucoup plus importantes que de grinder quand tu as quarante balais.
Dans quel contexte avez-vous pris cette décision ?
J'en avais parlé avec ma femme deux jours avant, on avait juste discuté de ça comme ça. Puis ce lundi, je suis allé m'entraîner sur le parcours avec mon frère (Franck Lorenzo Vera, qui est aussi son entraîneur, ndlr) et mon préparateur physique, et là j'ai dit « attends... » Pourtant je jouais bien (rires) ! Ce n'est pas un problème de qualité de jeu, je swingue mieux que jamais, mais malgré le travail mental que j'ai fait ces derniers mois, je sens que j'ai du mal à suivre. Sur le parcours, j'ai regardé Franck et je lui ai dit « ça y est, on y est ». J'ai mis le message sur Instagram le lendemain, le temps de contacter mes proches et les gens avec qui je travaille pour que personne ne l'apprenne sur les réseaux sociaux.
Comment vous sentez-vous ?
J'ai un petit pincement au cœur de me dire que je ne vais plus jouer à Wentworth ou à Dubai, sur des parcours qui te donnent des frissons quand tu te présentes au départ du 1. Mais je suis soulagé de ne plus avoir à m'entraîner (rires) ! Je suis content à l'idée de pouvoir recommencer le ski, monter enfin sur les planches avec les enfants en vacances. Impatient de pouvoir pratiquer un ou deux sports que je m'étais interdit de faire. Et puis heureux et excité de me lancer dans de nouvelles aventures professionnelles, et notamment un projet canon qu'on monte avec Alexis Sikorsky. Donc je ne vais pas passer beaucoup plus de temps qu'avant dans mon canapé (rires) !
Vous avez donné rendez-vous à tout le monde l'Omega European Masters, du 28 au 31 août à Crans-sur-Sierre, pour une sorte de fête d'adieux ?
Exactement. On viendra en famille et avec quelques amis, ça va être sympa de manger de la raclette d'été et de boire un peu de vin blanc ! Et puis dans tous les cas, j'irai là-bas après m'être entraîné pendant un mois avant, j'aurais été me remettre le parcours dans l'œil au cours de l'été, donc je ne vais rien lâcher ! Pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi je finis à Crans, c'est parce que c'est un tournoi spécial pour moi, car c'est là que j'étais – au départ du 10 – lorsque j'ai appris la mort de mon père, en 2015. Je trouve que c'est un joli clin d'œil de boucler la boucle là-bas. C'est un tournoi qui m'a procuré beaucoup d'émotions fortes, et ça va être chouette de finir sur une émotion positive avec la famille et les amis.
Laisser sa famille à la maison quand on part en tournoi, ça ne devient pas plus facile avec le temps ?
Au contraire ! Je me souviens que quand j'ai eu ma fille, il y a dix ans, Raphaël Jacquelin et Grégroy Havret m'avaient prévenu. Je leur avais dit que c'était difficile de la laisser pour partir en tournoi, et ils m'avaient répondu avec un grand sourire : « Tu verras, plus les enfants grandissent, plus c'est dur de partir ! » Et bingo, ils avaient raison, les anciens ! Et puis de toute façon, j'étais devenu le joueur français du Tour le plus vieux - Julien Guerrier, qui a deux mois de moins que moi, n'arrêtait pas de me vanner sur ça – et j'ai pas pu le supporter (rires) !
Vous avez grandi, en tant qu'être humain et en tant que golfeur, aux côtés de votre frère, Franck Lorenzo Vera. Quel regard portez-vous sur votre relation ?
On a fait ça main dans la main, grâce à Jean Lamaison qui nous a tout mis à disposition pour qu'on puisse s'entraîner à Bassussary. Ça a été du challenge non stop entre nous, on ne va pas se mentir ! Concours de chips, concours de putts, parcours : ça me rendait hystérique de perdre... J'en chialais, ça me rendait fou (rires) ! Et puis par la suite nos carrières ont pris des directions différentes, mais on s'est plusieurs fois retrouvés autour du coaching, et c'était le cas ces dernières années. Comme je le disais, je n'ai jamais aussi bien swingué que ces dernières années, mais ce n'est pas là que j'ai le mieux joué. Parce qu'il y a plus que le swing dans ce jeu, et j'ai eu plus de mal sur les autres choses.
Jean Lamaison a été plus qu'un coach, mais vraiment un mentor ?
Eh oui ! Jean, c'est le mec qui savait être à la fois le Philippe Lucas et le papa golf. C'est le mec qui allait te faire essayer toutes les balles, qui connaissait tous les clubs, qui te parlait d'histoire, qui savait de quelle façon et avec quel club Nicklaus ou Ballesteros jouait tel coup, et qui te le faisait faire... Il a tout basé sur le petit jeu car il a compris que c'est là où on allait pouvoir gagner des coups. Le jeu a évolué ces quinze dernières années et la distance a pris une ampleur gigantesque, et il y a quinze ans j'étais une ficelle et je n'avançais pas, mais j'arrivais à tenir le score face aux mecs grâce au petit jeu qu'il m'a transmis. Et puis la passion que j'ai pour le golf, ça vient de lui pour beaucoup. Il y a des mecs bien meilleurs que moi qui ont fait moins bien, mais il y a des mecs encore plus passionnés que moi qui ont été encore plus à fond, et qui ont fait beaucoup mieux que moi. Donc sans l'histoire, la connaissance, la culture du jeu, c'est compliqué d'être vraiment très bon, et je suis heureux que Jean m'en ait donné le goût.
Comment décririez-vous ce jeu et votre rapport à ce jeu ?
(Il réfléchit quelques instants) C'est une sorte de faux ami, parce qu'on peut en être complètement amoureux et le haïr une heure après. Il y a des moments où il te fait croire que tu as compris – profites de ce moment car ça ne va pas durer (rires) ! Je me pose sans avoir de réponse la question : « pourquoi est-ce qu'on joue bien ? » Parce que quand tu regardes les facteurs physiques, dans le sens physique pure, qui doivent être réunis pour qu'un shot à 160 m tombe à 1 m du drapeau, tu ne comprends pas tout. Pareil au putting ; pourquoi un jour tu vas enfourner, en prendre 25 dans la partie, et le lendemain tu n'es fous pas un ? C'est un truc de fou ! Et c'est la question qui n'a pas de réponse pour moi. Les préparateurs mentaux t'expliquent que si tu as bien joué ce jour-là, c'est parce que tu respirais bien et que tu étais dans la zone, mais je n'y crois qu'à moitié. Il y a vraiment un truc très profond avec ce jeu, qu'on ne peut pas appréhender, et qui en fait tout le génie. Et qui illustre encore plus la force de Tiger Woods ! En tout cas, je ne suis pas près d'arrêter de m'intéresser au golf : j'ai regardé le Masters du début à la fin en étant à fond, et je sais que ce jeu va continuer à me donner des émotions – simplement, d'une autre manière.
Avez-vous encore envie de jouer, juste pour le plaisir ?
Dans un premier temps, je vais mettre une grosse pause. On va partir quelques jours en Espagne au mois de juin avec Alexis pour jouer El Saler, que j'ai hâte de découvrir, mais avant cela je risque de ne pas beaucoup jouer. J'ai besoin d'une pause car ce jeu m'a fait trop mal... Enfin, JE me suis fait trop mal. Le golf n'y est pour rien, il est comme ça depuis toujours et il restera toujours comme ça (rires).
Quels sont vos projets professionnels ?
Alexis veut créer des événements de golf autour d'autres grands événements sportifs. Là on est en train d'organiser quelque chose autour de la finale du Top 14 à Paris. On va essayer de faire quelque chose autour du beau match de rugby Biarritz-Munster le 22 août, du Grand Prix de Formule 1 à Monza en septembre, à Bahrein l'an prochain autour de la F1 aussi, en marge du Masters, etc. Donc oui, je vais continuer à jouer au golf, et je vais voir ce que ça donne de jouer sans pression ! Aujourd'hui, c'est le seul truc qui me chauffe dans le golf, parce que je sais que je suis bon pour faire passer un bon moment aux gens en les recevant bien.