Il y a trois semaines, à la finale des cartes européennes, Michaël Lorenzo Vera était l'un des cinq Français à conserver ou décrocher un droit de jeu sur le DP World Tour. Une grande première dans cette épreuve pour le Basque de 36 ans, pour qui l'aventure parmi l'élite européenne se poursuivra donc en 2023.
Qu'avez-vous ressenti à la fin de ces cartes européennes conclues à la 13e place ?
J'étais très, très content ! Quand tu n'arrives pas à faire des scores réguliers pendant deux ans, que tu perds deux fois d'affilée la carte, qu'une fois on te repêche grâce au Covid et que tu gâches cette chance, ça commence à être mauvais. Donc j'étais soulagé, et surtout très content. On était très bien préparés dans la tête avec mon caddie, et le fait de conserver ma carte était finalement normal par rapport à mon niveau de jeu. Si je n'arrive pas à faire top 25 sur un champ de 200 mecs qui en gros galèrent depuis un an, c'est que vraiment je n'ai pas ma place... Donc c'était la suite logique de mes bonnes semaines sur le Tour juste avant (16e à Majorque et 18e au Portugal, ndlr). Bon, j'ai quand même ouvert une bonne bouteille de vin le soir pour célébrer, mais je n'étais pas comme un dingue. Il ne faut pas oublier que quand tu chopes la carte, tu ne gagnes rien : tu sauves juste tes fesses ! Tu gagnes juste le droit de recommencer, donc ce n'est pas le moment de faire le mariole. Les cartes, ça reste des barrages.
C'est la première fois en sept participations à la finale des cartes que ça se passe bien pour vous. Qu'est-ce qui était différent cette année par rapport à vos expériences malheureuses du passée ?
Je n'ai pas eu des expériences malheureuses aux cartes par le passé, j'étais juste nul, nul, nul ! Ça se jouait à l'époque sur un parcours extraordinaire, mais que je n'arrivais pas à jouer, celui de PGA Catalunya. J'y ai vécu deux ans récemment, et je n'y arrive toujours pas ! Alors quand j'ai vu que les cartes se jouaient désormais à Infinitum (ex-Lumine Golf Club, ndlr), sur un tracé que j'aime bien, je me suis dit que j'avais quand même plus de chances de m'en sortir. On avait eu un tournoi là-bas en début d'année (l'ISPS Handa Championship in Spain, fin avril, ndlr), et j'étais top 6 après trois tours, donc je suis parti aux cartes avec une certaine confiance. Quand tu sais que tu joues bien sur le parcours que tu vas faire quatre fois en six jours, c'est un bel avantage. Et j'ai fait -18 sur l'ensemble des quatre journées sur le Lakes !
Comment vous êtes-vous senti au fur et à mesure que les journées passaient ?
Je me suis senti de plus en plus stressé, tout simplement ! (rires) Et pas à chaque journée qui passait, mais à chaque heure ! C'était vraiment stressant, mais j'ai abordé ces cartes complètement différemment de celles que j'ai jouées par le passé. Avant, je me disais qu'en six jours, j'avais le temps de construire. Là, dès le premier putt du premier trou, je me suis dit que celui que je rentrais maintenant, je n'aurais peut-être pas à le rentrer à la fin. Donc j'ai inversé ma manière de voir les choses, et c'est passé. Je n'ai pas été plus agressif dans le jeu, mais j'ai été tout de suite plus exigeant. Car à la fin, avec six tours dans les pattes, c'est compliqué de répondre à ses des exigences élevées. Je ne sais pas s'il y a eu beaucoup de mecs qui ont fini birdie, par, birdie, pour passer dans les 25... Le classement ne bouge plus trop après quatre jours, donc c'est peut-être arrivé, mais pas beaucoup à mon avis. Par ailleurs, je tiens à remercier la fédération en général, et en particulier Agnès Sallandrouze, le Dr Olivier Rouillon et Sébastien Vivé, qui ont tenu la Maison France. Quand ça a commencé à tirer mentalement, pouvoir aller là-bas se faire masser, discuter de tout et de rien, manger un bon repas, c'était précieux. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai réussi ma semaine.
Êtes-vous resté sous pression jusqu'au bout ?
Le dernier jour, arrivé au 14, il restait une bonne heure de jeu mais ça commençait vraiment à tirer. J'étais -20 et je savais qu'en restant là ça passerait, mais j'ai eu une espèce de prise de conscience de tout : « Il me reste cinq trous, il y a du vent, je suis fatigué, est-ce que j'ai ces cinq pars en moi ? » Et au lieu de retourner cette question dans ma tête, j'ai fait une sorte de méthode Coué : je me suis dit « oui, je les ai », et j'y suis allé. Au 17, je pouvais me permettre un bogey, parce que le 18 est un par 5 facile. En plus, j'ai tapé plein green et j'ai fait un mauvais premier putt avec les mains qui tremblaient un peu... Je ne dirais pas que j'étais détendu, mais je savais que ça n'avait pas un grand impact. C'est plus au 16, un par 5 avec de l'eau tout du long à gauche, où j'étais sous pression : j'ai tapé à droite, à droite, puis à droite ! Sur ce trou, j'ai plus fait de l'évitement que du grand golf...
Vous avez terminé 152e de la Race to Dubai, et dernier qualifié directement pour cette finale des cartes. Auriez-vous consenti à passer par les PQ2 si ça n'avait pas été le cas ?
Je serais allé aux PQ2, oui, ce n'est pas la mort ! Maintenant, est-ce que je n'aurais pas fait autre chose si j'avais loupé les cartes ?, ça aurait été une question à se poser. Après deux ans de galère, je ne suis pas sûr que j'aurais eu l'énergie mentale pour repartir sur le Challenge Tour. Bon, je pense que j'y serais quand même allé, j'aurais mis mon ego tout en bas et je serais reparti, mais ça m'aurait sans doute pris du temps pour digérer tout ça, je pense.
Au-delà de votre réussite à ces cartes, que retenez-vous de votre saison dans son ensemble ?
Il y a eu un moment clé, à partir duquel je suis reparti de l'avant, qui a été le changement de caddie à l'occasion de l'open d'Espagne début octobre. J'ai pris un Canadien que mon agent m'a conseillé, un mec qui s'appelle Quinn Vilneff, qui a la trentaine et qui est ultra motivé. Il a l'esprit très clair sur beaucoup de choses, il est très constant dans son travail, et il croit en moi. Avoir un regard neuf, un discours neuf, ça fait du bien. Je n'ai fait que deux cartes au-dessus du par depuis qu'on est ensemble (sur 18 parties, ndlr), donc c'est plutôt bien ! On a eu une très belle discussion le samedi soir à Madrid après mon 78 (+7) : on est partis au practice, et je lui ai dit que puisque rien ne passait ce jour-là, j'allais l'écouter à 100 % et voir ce que ça donnerait. Et à partir de là, c'est reparti dans le bon sens.
Vous évoquiez plus tôt le fait d'avoir perdu votre carte ces deux dernières années, alors que fin 2019 vous aviez terminé 19e de la Race to Dubai à l'issue de votre meilleure saison en carrière. Comment expliquez-vous cette chute ?
Je me suis un peu éparpillé. Comme pour beaucoup de monde, le Covid a eu un impact. Je n'étais pas très heureux de partir en tournoi, contrairement aux autres années. J'avais plus envie de passer du temps en famille... Ça s'est vu d'ailleurs car j'ai très peu joué. Après, c'est un cercle vicieux : tu joues moins, tu t'entraînes moins, tu doutes plus, et les mecs à côté ne t'attendent pas. J'ai payé pour un truc qui n'était pas volontaire, mais qui est arrivé quand même.
À quel moment avez-vous prévu de démarrer la saison 2023 ?
J'ai eu un peu de travail physique pour me remettre en forme après ces cartes et cette fin de saison où j'ai puisé pas mal d'énergie, donc j'ai voulu prendre le temps, et je n'ai pas vu grand intérêt à aller jouer une semaine ou deux en Afrique du Sud avant les fêtes. Je vais donc recommencer à Ras Al Khaimah début février, et je vais essayer d'avoir des invitations avant à Abou Dhabi et Dubaï. Il faudra être prêt à bien jouer, physiquement et dans la tête.
Avec qui vous entraînez-vous aujourd'hui ?
Après l'open d'Espagne, il y avait encore quelques loupés qui m'embêtaient un peu, donc j'ai recontacté mon frère qui est venu me voir une paire d'heures au Cap-d'Agde, où je vis. Il m'a aidé sur la posture, et aussi à simplifier toutes mes pensées techniques. Donc je travaille à nouveau avec Franck, c'est cool ! On s'est échangé beaucoup de vidéos ces dernières semaines car il était très pris avec la naissance de son deuxième enfant, mais après les cartes je l'ai appelé et je lui ai demandé « on y va ou quoi ? » Et il m'a dit « avec plaisir ». Il m'a déjà envoyé une structure sur la manière de m'entraîner, car il faut que je change des choses dans ma manière de m'entraîner si je veux passer au niveau supérieur.
Vous avez également lancé une académie au Cap-d'Agde. En quoi consiste ce projet ?
Avec quelques associés, on a repris l'enseignement du golf international du Cap-d'Agde, sous le nom de la MLV Academy. J'avais envie de créer une équipe qui pouvait faire passer le message que j'ai dans la tête en termes de jeu. J'aime bien parler de golf, partager mon expérience, et j'ai pensé que c'était une bonne manière de faire. J'ai monté ça avec Benoît Clerici, un ancien du Golf National, qui est là en tant que directeur de l'académie, et les enseignants qui étaient déjà sur place, Timothé Lopez et Nicolas Saucerotte. La ville du Cap-d'Agde a changé complètement les structures du practice, qui était vieillissant : ils ont fait à la place 12 postes extérieurs avec Toptracer. Dedans, on a l'usufruit de trois postes de 60 m2 chacun. On a fait mettre du parquet, une jolie peinture blanche, il y a des petits salons, donc c'est un endroit agréable. On y trouve une ambiance qui fait que les gens se sentent bien accueillis, et ils y trouvent en plus beaucoup de matériel de pointe type Trackman, Foresight, Wellputt, etc. Donc on essaie de faire descendre chez les clients tout ce que j'ai appris du haut niveau. Et c'est ouvert à tous, évidemment ! Le nouveau projet que l'on a, c'est d'ouvrir un sport-études pour 14 enfants de la 4e à la Terminale. On a l'énorme avantage d'être voisins de la French Touch Academy, une grosse académie de tennis montée par Charles Auffray il y a trois ans. Comme ils ont toutes les structures qu'il faut pour les études et le logement, on va travailler avec eux pour toute cette partie-là, et nous on s'occupera du golf. C'est canon !