Le 10 août, le joueur de 39 ans interrompait sa saison pour « des raisons de santé mentale ». Deux mois et demi après, il revient, avec le franc-parler qui le caractérise, sur cette période extrêmement compliquée, dont il commence enfin à voir le bout.
Un message sur son compte Instagram, posté le 10 août dernier, indiquait laconiquement : « Pour des raisons de santé mentale, je ne vais pas pouvoir continuer l'année 2024 ». Depuis, le joueur d'ordinaire assez actif sur les réseaux sociaux n'avait guère donné de nouvelles, laissant les médias réduits à formuler de vagues hypothèses quant aux raisons évoquées. Jusqu'à la parution, il y a précisément neuf jours, d'un article à son sujet sur le site anglais Bunkered, dans lequel il expliquait avec force détails la lente et longue descente aux Enfers endurée depuis près de deux ans : difficultés à trouver le sommeil, crises de panique, sensation de mourir...
Contacté ce lundi, « MLV » a aussitôt accepté de répondre à nos questions, confirmant les nouvelles positives distillées à la fin de son entretien avec Ben Parsons. Efficacement assisté par le staff médical du DP World Tour, soutenu moralement par amis et famille, le Basque qui fêtera ses 40 ans le 28 janvier prochain a effectivement pris le problème à bras-le-corps et entamé un travail mental « canon » avec son équipe. Et après deux mois et demi de boulot et de traitement thérapeutique, les nouvelles sont nettement meilleures.
À quand remontent les premiers signes des troubles mentaux dont vous avez souffert ?
C'était au Ras Al Khaimah Championship, il y a bientôt deux ans. C'est là que j'ai commencé à faire des micro-siestes au lieu de nuits complètes : juste après m'être endormi, je me réveillais au bout de deux minutes avec de l'adrénaline plein la tête. Et impossible de me rendormir ensuite. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, et avec mon entourage on a pensé que ça pouvait être dû au temps que je passais sur les écrans avant de me mettre au lit. J'ai donc arrêté de regarder des écrans une heure avant de me coucher, et ça a commencé à aller mieux, mais ce n'était pas ça du tout puisque c'est revenu quelque temps après, et de plus en plus fort. Vu que je suis un bon bourrin, j'ai laissé passer un an, jusqu'au moment où c'est devenu vraiment très compliqué. J'en ai parlé au médecin du Tour européen le jeudi matin du Dubai Desert Classic, en début d'année 2024. On a discuté deux heures au spa du golf et je lui ai vidé mon sac. Ça m'a fait du bien, et dans la foulée j'ai fait un bon tournoi puisque j'ai fini 25e sur ce Rolex Series, puis 13e la semaine suivante à Ras Al Khaimah. Ça allait mieux, je dormais mieux, mais vu qu'il n'y avait aucun travail de fond c'est revenu une fois de plus. J'ai alors pensé que c'était lié au stress d'avancer en âge, à la peur de perdre ma carte, au fonctionnement de mon académie au Golf international du Cap-d'Agde, et à la sale période personnelle que j'ai vécu au même moment.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ma fille aînée n'était pas en forme du tout, elle perdait du poids et on ne savait pas ce qu'elle avait, et il s'est avéré que c'était une mononucléose. Une fois qu'on l'a su, on a été rassurés, mais ça a quand même pris plusieurs semaines et ça nous a pompé beaucoup de gaz, car il n'y a pas pire nouvelle que d'apprendre que ton enfant souffre d'une maladie à la c... Et comme avec ma femme on a des caractères forts, on a vite tendance à penser au pire. Heureusement, tout est rapidement rentré dans l'ordre pour notre fille ! Mais ça a été un élément aggravant, tout comme une péripétie qui m'est arrivée au mois de juillet. Je n'ai pu jouer qu'un seul des deux tournois aux États-Unis, le Barracuda Championship, car pour l'autre (l'ISCO Championship, la semaine précédente, ndlr), il y a eu un problème informatique dans les inscriptions qui a fait que je ne suis pas rentré dans le champ. Ça m'a rendu hystérique ! J'ai pété un plomb... Heureusement, j'ai vu ça avant de prendre le billet d'avion pour le Kentucky, mais j'ai quand même passé dix jours à discuter avec le Tour pour essayer de régler le problème. J'ai demandé une invitation que je n'ai pas eue, et ça m'a énervé car je travaille en interne avec le Tour sur certains dossiers, sans rien demander en retour, et je n'ai pas eu le moindre geste. Ils auraient pu me filer une invitation pour le Scottish Open la même semaine, mais ils l'ont donnée à Tom Kim qui avait oublié de s'inscrire... Bref. Et par-dessus tout ça, en rentrant des États-Unis, j'ai appris la nouvelle qu'un de mes amis venait de décéder. Là, c'était trop : les symptômes d'anxiété et de dépression se sont à nouveau manifestés de façon très forte, et ma femme et mon meilleur ami m'ont dit « stop ».
Vous êtes-vous rendu compte, durant cette période éprouvante, que vous souffriez de dépression ?
Non, non... Je pensais qu'il y avait une histoire de stress, oui, mais j'imaginais que ça allait se résoudre en trouvant une clé dans le swing ou au putting et en faisant un top 10. J'ai pris le truc complètement à l'envers : le seul truc que je sais faire, c'est jouer au golf, et je suis parti sur ça. Je me suis entraîné comme un taré, et je me suis haché. Mais c'est là que j'ai eu la chance extraordinaire de tomber sur la cellule médicale du Tour européen, qui a été très réactive, très concernée, très professionnelle. La santé mentale, c'est quelque chose qu'ils prennent très au sérieux, et ils ont été absolument fantastiques avec moi. Ils m'ont tout de suite donné des clés, et ils m'ont prescrit un traitement. Bon, comme j'ai la tête dure, j'ai quand même attendu trois semaines avant de le prendre, parce que je me disais que je pouvais y arriver seul, mais non ! (Il rit) Au contraire, ça a empiré, et j'ai fini par prendre des antidépresseurs. Il faut savoir que ça prend dix à quinze jours pour agir, pendant lesquels on ne fait qu'aller vers le bas. Et en l'absence d'anxiolytiques en complément, je suis tombé très, très bas. Je me souviens d'être allé acheter un ordinateur dans une boutique, et de m'être retrouvé en nage malgré la clim, à devoir m'appuyer sur un bureau pour ne pas tomber, et penser que j'étais en train de « canner »... Mais finalement, non, et quelques jours après les médicaments ont commencé à faire effet, et depuis ils me servent de béquille pour effectuer un travail mental canon !
En quoi consiste ce travail, et avec qui le menez-vous ?
J'ai repris du service avec Meriem Salmi, qui a été ultra réactive et dont on connaît la compétence. Je suis aidé aussi par une personne qui s'appelle Fabien, qui est un ancien membre des forces spéciales françaises et qui, de fait, sait deux ou trois choses en termes de gestion du stress ! Il est fabuleux, car il m'a convaincu de ne pas arrêter. J'avais pris la décision d'arrêter ma carrière, car je ne voulais plus me mettre dans des états pareils à cause du golf, mais il m'a conseillé de prendre un peu de temps pour y réfléchir, en ajoutant que si je retrouvais un peu du gamin qui était en moi et qui était fou amoureux du golf, il n'était pas impossible que ça reparte à fond les manettes. Et petit à petit, cette espèce d'animal (sic) a réussi à faire ressortir le meilleur de moi-même, et je ne sais pas si j'ai déjà été aussi motivé dans ma vie pour faire de grandes choses.
Comment se sont déroulés vos derniers mois, depuis l'interruption de votre saison ?
J'ai dû commencer le traitement fin août, trois semaines après avoir annoncé mon break sur Instagram. C'est un traitement sur six mois qui comprend quatre mois de prise de médicaments et deux mois de sevrage. C'est vraiment une béquille qui me permet de dépenser moins d'énergie à aller mieux, et me laisse vraiment dispos pour le gros travail psychologique et mental. Ça permet à ma tête d'intégrer les bonnes infos. Après, il y a beaucoup de personnes que je voudrais remercier pour leur soutien, celles et ceux qui ont pris le temps de venir aux nouvelles et me dire que je pouvais compter sur eux : les joueurs français qui se reconnaîtront, pas mal d'Espagnols aussi, et des mecs plus surprenants comme [le golfeur anglais] Andrew Johnston qui m'a dit qu'il était passé par là, des sportifs d'autres disciplines, et plein de gens que je ne connais pas... Et bien évidemment, mes amis, ma famille et mon staff, qui ont tous été fabuleux. Mon préparateur physique, Sylvain Crouzié, ne me lâche pas : il est constamment sur mon dos et il me fait ch... tous les jours ! (Rires) J'ai reçu énormément de soutien de partout : un gars comme Shaun Hegarty, que je connais depuis la sixième et qui est président du Biarritz Olympique, m'a par exemple invité à voir des tas de matchs, à passer du temps avec les joueurs, pour me faire sortir de chez moi. Et c'est génial, car dans une situation comme la mienne, on a forcément tendance à vouloir rester à la maison.
Avez-vous eu du mal à accepter le diagnostic de votre état ?
Le point crucial, ça a été le premier rendez-vous que j'ai eu avec Meriem, qu'elle a entamé en me disant qu'il n'y avait aucune honte à avoir. Elle m'a dit que, de la même façon qu'un sportif peut se blesser au tibia ou ailleurs, je m'étais blessé au cerveau, qui fait tout autant partie du corps que le reste. C'est pour ça que je n'ai pas hésité à parler de santé mentale dans mon message sur Instagram. Avant, comme beaucoup de gens à mon avis, je pensais qu'un tel problème au niveau mental était un signe de faiblesse, et j'étais à des années-lumière d'imaginer que ça pouvait m'arriver. Le burn-out, le surmenage, la dépression, j'ai toujours pensé qu'il suffisait de travailler plus et d'arrêter de se plaindre pour le résoudre. Mais j'ai compris que ça pouvait arriver à tout le monde, et j'ai compris que ça ne devait pas être un problème de l'admettre, et d'en parler.
En avez-vous discuté avec d'autres golfeurs ou sportifs qui sont passés par là ?
À chaque fois qu'on m'a proposé d'en parler, j'ai toujours remercié l'intention, mais sans donner suite. Je n'ai pas envie d'en parler avec, entre guillemets, n'importe qui, car je me connais et je sais que je pourrais me perdre. Ce que je veux, ce que je fais aujourd'hui, c'est un travail de fond encadré par mon équipe. Et me connaissant, je sais que je pourrais vite sortir de la ligne directrice fixée avec Meriem et Fabien. Et ça, je ne veux pas. Alors, un énorme merci pour la proposition, mais je dois me concentrer sur ma ligne de travail et ne pas en bouger.
Comment vous projetez-vous en termes de golf ?
Je vais bénéficier l'an prochain d'une exemption médicale, qui me donnera neuf tournois pour récupérer les points qui me manquent pour faire la carte cette année. Je vais recommencer fin janvier et faire les quatre premiers du calendrier, à savoir Dubaï, Ras Al Khaimah, Bahreïn et Qatar, puis je prendrai une bonne pause jusqu'au retour du circuit en Europe, je pense. Il faut quand même choisir les tournois sur lesquels on joue bien, et je préfère recommencer sur un enchaînement Belgique, Italie, Pays-Bas vers le mois de mai, plutôt que d'aller jour à Singapour, en Chine ou en Afrique où je n'ai jamais été très à l'aise. L'idée est de récupérer les points qu'il me faut d'ici juillet, pour pouvoir passer un été tranquille en famille et à l'entraînement, et repartir à fond pour la fin de saison à partir de septembre.
Cette exemption médicale vous a-t-elle été accordée facilement ?
Je n'ai strictement rien eu à faire, car l'équipe médicale du Tour, et en particulier le docteur Andrew Murray et le psychologue David Prossor, m'ont dit « Mike, tu te reposes, et on s'occupe de tout » ! (Rires) Il y a quinze jours, j'ai reçu un message me disant que ma demande d'exemption médicale avait été acceptée... J'aurais même pu jouer trois tournois de préparation qui ne comptent pas dans cette exemption, pour voir comment je me sens, mais je n'avais pas non plus très envie d'aller me faire un long déplacement en Afrique du Sud en décembre, donc je ne vais pas les utiliser.
Aujourd'hui, êtes-vous heureux d'être revenu sur votre décision d'arrêter votre carrière ?
Oui, très heureux, mais je dois avouer que j'étais aussi très heureux d'avoir décidé d'arrêter. À ce moment-là, ça m'avait enlevé une énorme charge mentale : je m'étais dit que je passerais à autre chose, et j'étais vraiment content. Il y avait un vrai soulagement, et même si je n'ai pas gagné sur le Tour, j'y ai passé douze ou quinze années géniales. Et... (il rit) Fabien est arrivé et m'a dit « attends... » Ah ! Et il y a une autre personne qui m'a remotivé : Alexis Sikorsky, avec qui j'ai beaucoup parlé durant cette période. Il m'a dit, avec sa manière bien à lui de parler : « Je ne pense pas que ce soit une grande idée d'arrêter, Mike. Maintenant, ça te semble une bonne idée, mais on en reparlera dans deux ans... » Ce sont des salauds (sic), car ils sont venus avec leur grand sourire, un peu sournoisement, et ils ont fini par me persuader ! (Il reprend son sérieux) Et bravo à eux, donc, car ils m'ont remonté comme un coucou !
Avez-vous repris l'entraînement ?
Très léger. Sur le physique, on a commencé une préparation ciblée sur la mobilité, contrairement à l'an dernier où c'était davantage axé sur la musculation et la recherche de puissance. Maintenant que c'est fait, on va donc bosser les respirations sous pression d'une part, et la mobilité de l'autre. Quant au golf, je tape peu de balles au practice, mais je fais pas mal de parcours. C'est d'ailleurs hallucinant, car à part une mauvaise partie à Chiberta la semaine dernière, j'ai balancé -8 au Phare et -7 sur neuf trous au Cap d'Adge... Comme quoi, tu te dis que la fraîcheur dans la tête joue vraiment énormément dans ce sport ! Et en sachant que je suis loin d'être frais ! Il y a encore beaucoup de travail et de temps de traitement. Là, aujourd'hui, j'ai juste sorti les narines de l'eau.
Avez-vous retrouvé le gamin qui est en vous ?
Surtout au putting. Dans le grand jeu, il y a encore beaucoup de nettoyage à faire, car je suis encore trop carré. Je pense que ce sont les stigmates de vingt ans de métier ! Mais sur les greens notamment, où je fais des concours avec mon frère, par exemple, je recommence à m'amuser. Et ça, c'est cool, parce que ça faisait longtemps que je n'avais plus aucun plaisir à être sur un parcours de golf.