Quelques minutes après sa victoire sensationnelle lors de l’Abu Dhabi HSBC Championship, Victor Perez est revenu, en conférence de presse, sur ce dimanche incroyable, et les perspectives que cela peut lui ouvrir cette saison. Extraits.
Victor, cette journée a été chargée en émotions. Quels sentiments vous traversent à cet instant précis ?
C’est difficile à décrire. Quand vous commencez la journée avec quinze gars à trois coups de la tête ou moins, vous savez que ça va être un combat acharné, et le parcours s’y prête. Il y avait relativement peu de vent au début, de quoi se donner des opportunités. Il fallait vraiment les saisir, car une fois qu’on arrive sur les trous exposés au 13 et au 14, et qu’après on revient contre le vent, chaque birdie est un bonus. Donc il fallait vraiment tirer avantage de ces premiers trous. On avait la chance de jouer le 2 (un par 5, ndlr) vent avec, ce qui rendait le trou vraiment court par rapport au début de semaine. Il fallait bien partir, ce que j’ai réussi à faire, mais ce n’était que la moitié du boulot. Et j’ai réussi à m’accrocher jusqu’au bout.
Vous avez très bien joué toute la journée, mais parlez-nous de ce moment au 17, dans le bunker…
Oui, j’ai dit que c’était probablement déjà le coup de l’année (rires) ! J’ai eu un peu de chance, car c’était en descente vers le trou, mais vent contre. Donc si je la sortais un peu forte, elle allait probablement s’arrêter quelque part près du trou, et si elle sortait un peu molle, elle allait rouler. Dans mon esprit, je m’attendais à ce que Seb [Söderberg] fasse birdie. Donc il fallait que je fasse au moins le par pour rester square. J’ai même pensé que j’allais être mené en allant au 18. J’ai juste essayé de la porter jusqu’au trou, elle a atterri un peu plus loin que ce que je pensais, et après, le back spin qui l’a ramenée dans le trou, c’était le gros bonus. Il a fini par rater son putt, et j’avais deux coups d’avance en allant au 18, ce qui est énorme. Car il était obligé de faire quelque chose de bien, et moi quelque chose de mauvais - ce que j’ai fait. Mais par chance, il n’a pas été capable de faire birdie.
J’ai essayé de me rendre la chose la moins stressante possible. La dynamique est vraiment restée en ma faveur sur le 11, où j’ai tapé un drive correct, mais qui a roulé dans le bunker. J’ai réussi à sortir puis à me mettre donné sur mon coup de fer 9. Ça compte en fin de journée, car c’est vraiment compliqué de rentrer des putts sur des greens rapides quand il y a du vent. Le seul putt que j’ai réellement rentré, c’était au 15. C’était hyper important de rebondir tout de suite après le bogey du 14. Seb s’était mis à deux mètres en faisant drive – fer 4. Mais quand j’ai rentré à 7 m, je savais que je tenais toujours la corde. Et j’ai eu de la chance de m’en sortir malgré le bogey au 18.
Vous avez inscrit 3,5 points la semaine dernière à la Hero Cup, et cette semaine vous gagnez. On est au début d’une grosse année avec Ryder Cup qui arrive, qu’est-ce que ça fait de réussir son début de saison comme ça ?
Je pense que j’ai fait une très bonne préparation. J’ai pu me dégager beaucoup de temps pour faire une grosse session d’entraînement, ce qui est rare et compliqué. Le calendrier est tellement concentré maintenant, avec tellement de tournois, qu’il est difficile de réellement s’entraîner ou de se reposer, c’est compliqué d’être bien préparé. J’ai choisi de ne pas jouer en décembre pour vraiment me concentrer sur la saison à venir, et tous les objectifs qui vont avec : les 10 cartes pour le PGA Tour (pour les 10 premiers du DP World Tour, Ndlr), la Ryder Cup… La semaine dernière était un bon aperçu de l’état de mon jeu. Mais c’est du match play, c’est du double, avec un partenaire qui vous soutient. Guido [Migliozzi] m’a sorti d’affaire pas mal de fois. Et d’un seul coup vous jouez tout seul, j’ai joué un bon match de simple contre Jordan [Smith] le dimanche, qui m’a mis en confiance. Mais ce n’est qu’un tour, ça ne veut pas dire grand-chose. Donc cette semaine, parvenir à jouer de manière consistante pendant 72 trous sur un parcours exigeant avec le vent, je suis vraiment content de gagner.
Vous avez dit que la chance sourit aux audacieux, et que vous avez eu pas mal de réussite à plusieurs moments aujourd’hui. À quel point pensez-vous que la chance a joué un rôle ?
Je pense que vous provoquez toujours un peu votre réussite. Après mon birdie et celui de Seb au 15, je ne savais pas trop où tout le monde se situait, mais je savais que si je battais Seb, je pouvais accomplir quelque chose de grand. Je ne pouvais pas imaginer battre Seb et ne pas être, au pire, dans un play-off. De là, on est arrivé au 16 où le départ avait été avancé, mais c’était piégeux, car ça mettait les bunkers en jeu. Je m’étais préparé à jouer le driver, et je suis resté sur cette option, en pensant que j’allais me raccourcir le trou. Je suis toujours un joueur plutôt agressif, je n’aime pas me désengager des coups. Parfois ça paie, parfois ça ne paie pas, et cette fois-là ça a marché.
À quel point le fait de vivre en Écosse vous a-t-il aidé dans votre progression ?
Je vis en Écosse depuis six ans maintenant, et je pense que vivre dans cette culture golfique britannique a vraiment tiré mon jeu vers le haut. Là-bas, les gens vivent et respirent golf. Ils vous soutiennent, ils sont contents de vous voir performer, ils ne sont aucunement intrusifs, ils ont un profond respect pour les golfeurs professionnels, ce qui, je dirais, est assez rare de nos jours. Beaucoup de joueurs vous disent que lorsqu’ils vont dans leur club, les gens viennent les voir pour demander une photo ou parfois une leçon. Mais nous avons besoin de travailler à l’entraînement, et je pense que là-dessus, les Écossais sont fantastiques, ils vous laissent travailler, et pour moi c’est génial.
Vous parliez des cartes du PGA Tour accordées en fin de saison. Est-ce que cela change vos objectifs ? Est-ce que vous vous imaginez jouer sur un autre circuit, encore plus compétitif, la saison prochaine ?
Je pense que c’est l’objectif de tout le monde. Le DP World Tour a fait du bon boulot en nous donnant cette opportunité. Je pense que ça n’a jamais été aussi "facile" de monter sur le PGA Tour pour les joueurs du circuit européen. Il y a ces dix cartes, mais avec des joueurs comme Jon Rahm ou Rory McIlroy qui ont déjà la leur et qui seront sortis de la liste, ça ira peut-être jusqu’aux alentours de la 20e place. Ça nous donne une bonne catégorie une fois aux États-Unis, sans avoir besoin d’intégrer le top 50 mondial, ce qui ouvre les portes d’un nombre limité de tournois, et vous force soit à performer, soit à passer par les finales du Korn Ferry Tour, qui sont un obstacle difficile à franchir. Et en plus, vous pouvez vous retrouver avec une petite catégorie, et rentrer dans des tournois à la dernière minute. Et qu’on le veuille ou non, quand les Européens vont aux États-Unis, ils jouent en quelques sortes à l’extérieur. Vous n’êtes pas forcément dans un environnement familier comme en Europe, et vous devez prouver que vous avez votre place en jouant bien dans les gros tournois. Il y a des Européens qui commencent à percer là-bas, ça inspire, c’est quelque chose que nous voulons tous faire.
Vous avez connu une belle année 2019, en grimpant jusqu’à la 29e place mondiale. Ensuite, les années Covid ont été compliquées pour vous. Comment avez-vous vécu ces deux ans, et quel est votre sentiment sur votre retour au premier plan depuis la fin d’année dernière ?
Je pense que le Covid a eu un effet différent sur chacun. Pour moi, ça a été difficile. J’étais au sommet de la vague fin 2019 et début 2020, où j’ai fini deuxième à Abou Dhabi sur l’autre parcours, celui qu’on a joué la semaine dernière. J’étais dans une très bonne dynamique, j’avais intégré le top 50 mondial. Là, tous les rêves que vous aviez quand vous étiez jeune, jouer le Masters, jouer les Majeurs devant beaucoup de public… Mais d’un seul coup, tout s’arrête. À juste titre. Les mesures pour lutter contre la maladie, avec l’arrêt des événements sportifs, c’était nécessaire. Ça nous a fait une longue pause, le PGA Tour a repris environ quatre mois plus tard. Mais pour moi, ça a été compliqué. Je suis parti aux États-Unis, car au Royaume-Uni, on a été longtemps sans pouvoir s’entraîner. On pense pouvoir être performant, n’importe quel joueur vous dira qu’il se sent capable. Mais avec le recul, deux ans après, est-ce que c’était réaliste de partir aux États-Unis et d’être performant sans avoir joué au golf pendant quatre mois, et contre des joueurs qui connaissent les parcours et qui ont pu s’entraîner ? Le combat n’était pas à armes égales. J’ai joué là-bas sans trop savoir ce que ça donnerait, mais je n’allais pas non plus ne pas y aller et ne pas jouer. Vu comme ça, j’ai un peu pris une claque, ça rend humble, mais je pense que toutes les carrières sont comme ça, vous avez des hauts et des bas. Les joueurs jouent bien, mal, ont des bonnes et des mauvaises années… Il n’y a que quelques phénomènes qui sont au sommet sur le long terme. Je pense que ce n’est pas réaliste de se fixer ça comme référence, de penser que vous allez être dans le top 5 ou le top 10 mondial pendant 15 ans. C’est possible, mais il faut travailler très dur pour ça.