L'arrivée de FedEx comme sponsor titre de l'Open de France donne l'occasion de s'intéresser aux trois succès américains dans l'histoire de l'épreuve : ceux de Walter Hagen en 1920, de Byron Nelson en 1955 et de Barry Jaeckel en 1972.

Barry Jaeckel recevant la coupe Stoïber des mains de Pierre-Étienne Guyot, président de la Fédération française de golf, en 1972, à La Nivelle. © Extrait de « Golf européen » n° 20 de septembre 1972 - Collection Philippe Palli

Pour la première fois depuis sa création en 1906, l'Open de France est parrainé par un sponsor américain. L'arrivée du géant du transport international de fret FedEx, basé à Memphis dans le Tennessee, est un excellent prétexte pour rouvrir les livres d'histoire et se pencher sur les faits d'armes des golfeurs américains dans le French Open. Si quelques noms prestigieux égrènent les listes des engagés au cours des 105 éditions qu'a connu le tournoi, ni Brooks Koepka, Bubba Watson, Shaun Micheel, Rich Beem, John Daly, Curtis Strange, Craig Stadler, Lee Trevino et autres Johnny Miller - pour ne citer que des vainqueurs de Majeurs ayant participé - ne sont parvenus à s'y imposer. En réalité, seuls trois enfants de l'oncle Sam ont réussi à soulever la coupe Edward George Stoïber, mythique trophée nommé en l'honneur d'un... Américain, bienfaiteur du Golf de Paris où l'épreuve a vu le jour il y a 118 ans.

1920 : Walter Hagen, premier king de Paris

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le golf reprend peu à peu ses droits à travers le monde, et l'année 1920 marque la reprise des différents championnats internationaux en Europe. Les opens britannique et français se succèdent ainsi au calendrier, le premier se jouant au Royal Cinque Ports les 30 juin et 1er juillet, le second sur le terrain du Golf de Paris à La Boulie les 5 et 6 juillet. Parmi les 36 engagés figure l'Américain Walter Hagen, venu pour la première fois tenter sa chance dans The Open ; mais le natif de Rochester n'y a guère brillé avec une modeste 53e place, à 26 coups du vainqueur. Quelques jours plus tard, The Haig arrive à Versailles avec un esprit de revanche affirmé, et son statut de double vainqueur de l'U.S. Open (1914, 1919) en fait l'un des favoris naturels : « L'Amérique était représentée par W. Hagen, qui est actuellement considéré comme le meilleur golfeur d'outre-Atlantique », note le Miroir des Sports du 20 juillet. Et malgré l'absence des fameux professionnels britanniques Harry Vardon, Ted Ray et James Braid, la concurrence est relevée avec la présence de l'Écossais George Duncan, qui a soulevé la Claret Jug quelques jours auparavant, de l'Anglais Abe Mitchell, quatrième chez lui, et du Français Arnaud Massy.

Extrait du « Miroir des Sports » du 20 juillet 1920. © Bibliothèque Nationale de France

Le tournoi, joué par une météo exécrable, accouche d'un match à trois entre Hagen, Mitchell et le Biarrot Eugène Lafitte, qui mène de trois coups après deux tours, et de même quatre à l'issue du troisième. Mais lors du dernier parcours, ce dernier concède une carte de 77 qui ouvre grand la porte à Mitchell, qui a besoin d'un 4 au dernier trou pour l'emporter. Trop offensif, l'Anglais commet un 6 et voit la victoire lui échapper, tandis que Hagen assure un 5 qui lui permet d'égaliser le score de Lafitte. Un play-off se joue donc entre les deux hommes le lendemain, sur 36 trous. Malgré une vaillante résistance du Français dans la matinée du 7 juillet (75 contre 74 pour l'Américain), Lafitte lâche prise dans l'après-midi (78 contre 74) et laisse Walter Hagen s'emparer du trophée. « Le jeu du champion américain a été d'une puissance et d'une régularité étonnantes », souligne l'édition parisienne du New York Herald. « Le Président [du Golf de Paris] lui a remis lui-même le prix, la coupe et la médaille qui lui étaient attribués, devant les amateurs réunis dans la villa du Golf, et il a bu à la santé du vainqueur, le premier Américain qui ait gagné le "Open Championship of France". »

La médaille commémorative offerte à Walter Hagen.

Walter Hagen, alors âgé de 27 ans, devient donc le premier Américain à gagner l'Open de France. Il y reviendra à plusieurs reprises, notamment en 1924 où il termina deuxième derrière l'amateur anglais Cyril Tolley ; et remportera au cours des années 20 pas moins de neuf Majeurs supplémentaires : quatre British Open et cinq PGA Championship. Son style flamboyant, aussi bien sur les parcours que dans la vie, est resté dans les mémoires ; et c'est en grande partie grâce à lui que le golf professionnel, qui souffrait jadis d'un relatif mépris par rapport au sport amateur considéré comme noble, a pris le chemin que l'on connaît.

1955 : Byron Nelson, les vacances rentabilisées

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Open de France a quelque peu perdu de son prestige et peine à attirer les meilleurs joueurs du monde - il est vrai davantage recensés aux États-Unis que dans les îles britanniques - malgré sa proximité calendaire avec The Open. La venue de Byron Nelson pour l'édition 1955, disputée les 13 et 14 juillet à La Boulie, constitue donc une surprise de taille, d'autant plus que le Texan est officiellement en semi-retraite depuis la fin de l'année 1946. Après trois saisons dorées au cours desquelles il a amassé 32 titres reconnus par le PGA Tour (8 en 1944, 18 en 1945 et 6 en 1946), le joueur alors âgé de 34 ans avait décidé de se consacrer davantage à son ranch à Roanoke qu'au maniement des clubs. « Personne n'avait vu Nelson en action dans cette partie du monde depuis 1937, date à laquelle il disputa l'open britannique à Carnoustie », ajoute le magazine Tennis & Golf dans son édition de septembre 1955. Mais en cette même année 1955, l'open britannique qu'il n'a joué qu'une seule fois dans sa carrière se tient à St Andrews, et Lord Byron décide de se rendre en famille dans le berceau du golf. Sans succès, puisqu'il termine 32e... C'est là, pourtant, que se joue le sort de l'Open de France, auquel il n'a jamais songé à participer : incité ou invité, l'Américain saute sur l'occasion d'aller visiter Paris avec les siens.

Byron Nelson en action au Golf de Paris. © Collection RCF La Boulie.

Si le champ de cette 39e édition n'est pas extraordinairement relevé, il comprend toutefois quelques très bons joueurs tels que le Belge tenant du titre Flory Van Donck, les Britanniques Harry Weetman, Harry Bradshaw et Dai Rees, l'Australien Kel Nagle, l'Argentin Antonio Cerdá, un espoir sud-africain nommé Gary Player et le jeune pro français Jean Garaïalde. À l'issue de la première journée, le vacancier Nelson partage la tête avec Weetman et Bradshaw en 134 coups grâce à des cartes de 69 et 65. « À 43 ans, c'est encore un formidable joueur, et il est difficile d'imaginer qu'au cours de son étonnante carrière il ait pu mieux jouer. [...] Durant tout le championnat, la précision de son jeu de fers fut incroyable, et au cours d'un seul parcours, quatre de ses seconds coups vinrent frapper le drapeau », relate l'envoyé spécial de Tennis & Golf. La deuxième journée, jouée en 67 le matin et 70 l'après-midi, couronne l'Américain qui s'impose avec deux longueurs d'avance sur Weetman, malgré un le vaillant combat livré par ce dernier.

Byron Nelson a remporté en France le dernier tournoi pro de son illustre carrière. © Extrait de « Tennis & Golf » de septembre 1955 - Collection Stephan Filanovitch

Quatre jours avant de reprendre l'avion pour les États-Unis, Byron Nelson achève donc ses vacances en Europe en soulevant la coupe Stoïber, récoltant au passage un prix de mille dollars. Ce fut la dernière victoire de son illustre carrière, qui en compte plus d'une soixantaine (dont cinq Majeurs), et s'il continua à participer au Masters jusqu'en 1966, le rancher à temps presque plein ne revint pas défendre son titre dans l'Hexagone l'année suivante, ni celles d'après. « En tous cas, j'ai beaucoup aimé cet endroit », assura-t-il les membres de La Boulie avant de s'en aller. Il décéda en 2006 à l'âge de 94 ans, et restera à jamais, et justement, considéré comme l'un des plus grands joueurs de tous les temps.

1972 : Barry Jaeckel, l'anti-star hollywoodienne

Le nom de Jaeckel est peut-être familier pour les cinéphiles les plus pointus : Richard Jaeckel (1926-1997) écuma les grandes productions hollywoodiennes pendant cinq décennies, interprétant un nombre incalculable de seconds rôles dans des westerns et films de guerre pour les plus grands et avec les plus grands. Si ce n'est lui, c'est donc son fils, Barry, qui se présenta en parfait anonyme à l'Open de France 1972, disputé sur les parcours de Biarritz et La Nivelle au Pays basque. Envoyé par Sports Illustrated couvrir la naissance du circuit européen cette même année, le journaliste américain Dan Jenkins relate en ces mots ironiques sa rencontre avec son compatriote : « Un Américain arrive au 18e trou. Ce doit être un Américain parce que son pull est neuf. Il ressemble à Barry Jaeckel, de Los Angeles. Un jeune joueur pas mauvais. Mais que ferait-il ici ? S'il n'était en train de tirer lui-même son chariot et de boire un Pepsi, je jurerais que c'est Barry Jaeckel. » C'est pourtant bien Barry Jaeckel, jeune pro de 23 ans pas encore passé par le PGA Tour. « Que fais-tu ici ? demande-t-il. - J'allais te poser la même question, réponds-je. - Je ne sais pas, mec. J'ai juste payé mes 15 $ d'inscription et j'ai pris mon départ. - Et comment ça se passe ? - Pas trop mal, j'imagine. Je viens d'envoyer 63. Où est-ce qu'on peut déjeuner par ici ? »

 

Barry et l'Anglais Clive Clark. © Extrait de « Golf européen » n° 20 de septembre 1972 - Collection Philippe Palli

Le protégé de Dean Martin n'est pas là, toutefois, pour faire de la figuration. Après deux premiers tours en 67 et 68, son 63 du samedi à La Nivelle, seul parcours utilisé le week-end, le place en haut de l'affiche, aux côtés des Britanniques Peter Oosterhuis, Brian Barnes, Clive Clark et du héros local Jean Garaïalde. Lors du dernier tour, le film se réduit à un duel entre Clark et Jaeckel, chacun se volant la vedette à tour de rôle. Au 17, l'Anglais reprend l'avantage en faisant birdie, mais le reperd au 18 où il commet un bogey. L'Américain, dans le même temps, finit birdie-par pour rejoindre son rival à 265 : play-off ! La mort subite ne dure guère plus longtemps qu'un scène post-générique : un coup de fer 5 magistralement déposé au drapeau suivi d'un birdie dûment rentré offrent à l'illustre inconnu son premier succès au box-office. « Voilà qui va faire plaisir à Dean Martin », sourit Barry, qui devra attendre près de trois ans pour accéder enfin au PGA Tour, et y remportera un succès (le Tallahassee Open en 1978) en quelque 520 tournois joués sur vingt ans.

Extrait de « Golf européen » n° 20 de septembre 1972. © Collection Philippe Palli

Hagen. Nelson. Jaeckel. Cinquante-deux ans plus tard, la coupe Stoïber attend toujours d'être soulevée à nouveau par des mains américaines. Who's next?

Remerciements

À Philippe Palli, Stephan Filanovitch et Philippe Thézier (RCF La Boulie), pour leur aide et la mise à disposition de leurs archives.