Voici l'histoire méconnue de l'un des trophées les plus insolites du golf, offert par Adolf Hitler dans la foulée des Jeux olympiques de Berlin en 1936, que la France manqua de peu de remporter, et échut à l'Angleterre.

Le podium du Trophée des Nations, avec les Français à gauche, les Anglais au centre (l'un des deux est masqué par son compatriote) et les Allemands à droite (Extrait de « Le Golf » du 15 septembre 1936). © Bibliothèque Nationale de France

Quinze jours après les Jeux de la XIe Olympiade, disputés du 1er au 16 août 1936 à Berlin, le IIIe Reich organise à Baden-Baden une rencontre internationale de golf entre amateurs européens. Si l'événement n'est pas inscrit officiellement au programme des JO, sa proximité temporelle avec le rendez-vous de Berlin et la philosophie partagée de démontrer la supériorité de l'Allemagne nazie le lie étroitement à ceux-ci. À l'instigation du président de la fédération allemande Karl Henkell - beau-frère du futur ministre des Affaires étrangères du Reich Joachim von Ribbentrop - trente-six nations sont conviées dans la ville thermale de la Forêt-Noire. « Le "Golf Führer" souhaitait mettre en lumière des sports non-olympiques, tels que l'équitation, le tennis et le golf, dans la foulée des Jeux de Berlin, et cette idée le conduisit à organiser un tournoi de golf. Cet événement avait pour but de soutenir la propagande allemande », écrit l'Anglais Derek Holden, auteur d'un ouvrage sur la question intitulé Adolf, Arnold & Tommy – Golf and the 1936 Berlin Olympics.

 

L'affiche du Trophée des Nations. © Golfing Herald

Après le tennis et en même temps que l'équitation, les épreuves de golf ont lieu sur le parcours de Baden-Baden, troisième plus ancien golf d'Allemagne, ouvert en 1901. Elles comprennent deux compétitions distinctes : la première, du 23 au 25 août, est un match triangulaire entre les équipes d'Allemagne, de France et des Pays-Bas, constituées chacune de six joueurs et un remplaçant. La France, représentée par ses plus éminents champions amateurs que sont Jacques Léglise, Michel Carlhian, Yan Le Quellec, Louis de Montgomery, Georges Huet, André Le Blan et Robert Charrier, remporte les deux rencontres, 8 à 1 contre les Pays-Bas le 24, puis 5 à 4 contre l'Allemagne le lendemain. « Jusqu'au dernier moment, le résultat demeura indécis, la victoire de la France fut acquise d'un souffle », rapporte le quotidien Le Figaro dans son édition du 27 août.

Extrait du « Figaro » du 27 août 1936. © Bibliothèque Nationale de France

Un trophée offert par Adolf Hitler

Le lendemain débute la compétition-reine de ces épreuves de golf : Der Golfpreis Der Nationen, le Grand Prix des Nations. Celui-ci met aux prises des équipes de deux joueurs de sept pays différents - l'Allemagne, la France, l'Angleterre, l'Italie, les Pays-Bas, la Tchécoslovaquie et la Hongrie - dans une formule de quatre tours stroke play sur deux journées. Les locaux, représentés par le jeune prodige Leonard von Beckerath et l'expérimenté Carl Alexander Hellmers, peuvent légitimement envisager la victoire. Plus encore, ils le doivent : le trophée mis en jeu dans ce Grand Prix des Nations, un grand plateau d'argent incrusté de pierres d'ambre de la Baltique, est offert par nul autre que le Führer und Reichskanzler, Adolf Hitler ! Von Ribbentrop, présent à Baden-Baden, assure les siens que le leader nazi viendra en personne le remettre à ses valeureux compatriotes golfeurs le 27 août, dans l'après-midi...

Ce plateau est passé à la postérité comme le « Hitler Trophy ». © Hesketh Golf Club

Si l'Angleterre n'envoie en Bavière que deux joueurs relativement méconnus, Arnold Bentley du Hesketh Golf Club et Tommy Thirsk du Ganton Golf Club, la France est quant à elle représentée par ses deux meilleurs golfeurs. Le jeune Michel Carlhian, 24 ans, a déjà remporté quatre de ses huit titres de champion de France ; son aîné de cinq ans Jacques Léglise réalisera le doublé championnat de France national et international l'année suivante, et occupera après la Guerre la présidence de la Fédération française de golf et de l'Association européenne de golf. « Leur succès dans le match triangulaire permet d'affirmer que la France était l'équipe à battre », écrit Paul Fowler dans un article publié sur le site Golfing Herald.

Extrait de « Le Golf » du 15 mai 1937. © Bibliothèque Nationale de France

À l'issue de la première journée, c'est l'Allemagne qui est en tête avec un total de 282 coups, soit cinq de mieux que l'Angleterre et dix de mieux que la France. Le lendemain matin, Hitler se met en route pour rejoindre Baden-Baden, confiant dans le dénouement du tournoi. Mais le premier parcours voit les Allemands céder du terrain et être dépassés par les Anglais (422) et les Français (429), respectivement huit et un coups devant eux. Changement de plan ! « Nul ne sait si von Ribbentrop interrompit personnellement la cavalcade d'Hitler, ou s'il délégua la chose à un subordonné... Quoi qu'il en soit on peut aisément imaginer la réaction furieuse du Führer. Ce qui est avéré, c'est qu'Adolf Hitler n'arriva jamais au Baden-Baden Golf Club, et que von Ribbentrop laissa Karl Henkell se charger de la remise des prix à la fin du dernier tour », poursuit Paul Fowler. Grand bien lui en prit, puisque le dernier tour voit les Anglais s'imposer en 562, quatre coups devant les Français et douze devant les Allemands.

Article du « Figaro » du 31 août 1936. © Bibliothèque Nationale de France

Le Hitler Trophy et le Hitler Tree

Le massif plateau d'argent, réalisé par l'orfèvre Emil Lettré, termine donc dans les mains de Bentley et Thirsk, charge à eux de le ramener au siège de la fédération anglaise. Exposé dans un club de gentlemen londonien où l'English Golf Union avait ses quartiers, le trophée entra par la suite en possession d'un particulier, Leonard Sculthorp, lorsque celui-ci racheta le club en question ; puis disparut pendant près d'un demi-siècle jusqu'à sa mise aux enchères en 2012. Le Hesketh Golf Club l'acquit pour 18 750 £ et l'exposa dans sa vitrine, où il se trouve encore aujourd'hui.

À Baden-Baden, Bentley et Thirsk reçoivent également une médaille commémorative et, en écho aux pousses de chênes offerts aux médaillés d'or des Jeux olympiques de Berlin, de jeunes pins de la Forêt-Noire en pot ! Celui du premier ne survécut pas plus de quelques années, mais celui du second fut ramené à Hesketh, au nord de Liverpool, où il fut planté et grandit. La légende raconte que, durant la Seconde Guerre mondiale, les membres prirent l'habitude d'uriner à son pied : la silhouette du Hitler Tree jouxte, aujourd'hui encore, le club-house, tordue et quelque peu disgracieuse...

Le « Hitler Tree » a copieusement été arrosé par les membres du Hesketh Golf Club. © Hesketh Golf Club