Premier non-Britannique à soulever la Claret Jug, Arnaud Massy réalisait il y a 116 ans à Hoylake un exploit toujours inégalé par les golfeurs français.

Arnaud Massy recevant la Claret Jug des mains d'A. M. Paterson, capitaine du Royal Liverpool Golf Club. © Collection Georges Jeanneau

Lorsqu'il se présente au Royal Liverpool Golf Club en cette troisième semaine de juin 1907, Arnaud Massy n'est nullement impressionné. À quinze jours de son trentième anniversaire, le natif de Biarritz est loin d'être un perdreau de l'année, et sa réputation en tant qu'excellent golfeur est déjà bien établie au-delà des frontières françaises. Il a pris part aux cinq précédentes éditions du championnat international de Grande-Bretagne, signant des places d'honneur à Muirfield en 1906 (6e), à St Andrews l'année d'avant (5e), et sur ce même parcours du Royal Liverpool lors de ses débuts en 1902 (10e). Et s'il n'a pas la prétention de se considérer comme le favori du tournoi, cela ne l'empêche pas de croire fermement en ses chances, comme il le raconta par la suite [1] : « Depuis quelques années, on me prenait au sérieux ; mais, en 1904, […] j'entendis l'un de mes concurrents faire à mon sujet une réflexion qui me mortifia beaucoup : "Je vais battre le petit Français", fit-il assez haut pour être entendu de moi ; "on ne met pas le poisson à la poêle avant de faire fondre la graisse !" Mon adversaire avait compté sans mon entraînement, qui était déjà assez poussé. Cette année-ci (en 1907, ndlr), je me suis entraîné avec la plus grande régularité, à raison de quatre fois par semaine. J'ai fourni un grand effort pour parvenir à m'alléger de seize kilos... J'étais un peu gras... À table, je ne prends que des grillades. » Sic !

« De gaucher, je suis devenu droitier »

Fréquentant chaque été le links écossais de North Berwick depuis ses débuts en tant qu'assistant pro lors de la saison estivale de 1898, Massy est parfaitement familiarisé avec les us et coutumes du golf outre-Manche. En plus de la langue, il a appris l'art de la fabrication des clubs, et a surtout perfectionné la façon de les manier. Jouant en gaucher à ses débuts, parce que les premières crosses qu'on lui offrit, adolescent, à Biarritz, étaient une demi-série de gaucher [2], il avait réappris à jouer dans l'autre sens après ses débuts dans The Open en 1902. « De gaucher, je suis devenu droitier, sachant qu'il est sans exemple en Grande-Bretagne qu'un champion ait jamais été gaucher », expliquait-il bien des années plus tard. [3] De ses habitudes de lefty, Massy avait toutefois conservé une curieuse signature dans son swing, que l'un de ses rivaux de l'époque, Harry Vardon, décrivait ainsi : « On a donné à ce mouvement les noms les plus extravagants, entre autres queue de cochon, et l'on s'est souvent demandé pourquoi il le faisait. Voici ce qui arrive : au point culminant du swing, Massy décrit en l'air un moulinet, un cercle avec la tête de son club. Tandis que la plupart des joueurs, arrivés à ce point culminant, redescendent rapidement, Massy exécute cette sorte de spirale. […] En faisant décrire à la tête du club cette figure, il le renvoie en arrière, de sorte que l'instrument redescend presque sûrement dans la bonne direction. » [4]

Arnaud Massy lors du British Open 1907 à Hoylake. © Bibliothèque Nationale de France

Bientôt papa !

Armé d'un swing efficace et puissant, confiant dans son habileté sur et autour des greens, retombé à 80 kilos à la suite de sa diète draconienne (!), Massy est donc en pleine possession de ses moyens techniques et physiques. Son moral est sans doute au beau fixe lui aussi, puisque le Biarrot s'apprête à devenir père. Janet Henderson, une Écossaise qu'il a épousée à l'automne 1903, attend en effet leur premier enfant, et Massy a quitté l'East Lothian où le couple réside en lui promettant de revenir au plus vite. Pour toutes ces raisons, celui que la presse d'outre-Manche surnomme « le Français à l'âme écossaise » n'est nullement impressionné en débarquant à Hoylake, à quelques kilomètres à l'ouest de Liverpool. « J'étais plein de confiance à l'arrivée », se remémorait-il. [5]

Vainqueur des qualifications

Malgré ses bonnes dispositions et son statut de joueur à surveiller – dans son article de présentation, le Glasgow Herald le liste parmi les prominent players engagés [6] – Massy est logé à la même enseigne que tout le monde : il doit d'abord gagner sa place dans le champ du tournoi. Pour la première fois en 47 éditions, The Open organise en effet des qualifications jouées sur 36 trous (18 le matin, 18 l'après-midi). Les 193 participants, nouveau record, sont répartis en deux sessions le mardi 18 et le mercredi 19 juin, les 30 premiers et ex æquo de chacune étant retenus pour la suite. Le Français, aligné dans la première, joue 73 (+1) le matin et 74 (+2) l'après-midi. Malgré des conditions météo exécrables, « Massy livra une splendide démonstration de golf du début à la fin, […] et accomplit à nouveau des choses remarquables dans l'après-midi, nonobstant le fait que sur certains trous il fut confronté à une violente tempête de pluie et de vent. Son driving fut plus long que d'ordinaire, et il approcha de belle manière, tandis que son putting fut mortel », relate le correspondant du quotidien écossais. [7] Avec un total de 147 (+3), il l'emporte de cinq coups devant Sandy Herd, le vainqueur de la dernière édition du British Open jouée sur ce terrain, cinq ans auparavant. Le lendemain, Massy au repos voit Harry Vardon, James Braid et John Henry Taylor, les trois membres du fameux triumvirat de l'époque (16 victoires à eux trois au British Open en 21 éditions entre 1894 et 1914) s'extirper sans surprise, mais sans gloire non plus, de la deuxième session de qualification, disputée par une météo encore pire.

Seul leader à l'issue de la première journée

Le jeudi, la première journée de l'open proprement dit ne déroge pas à la règle : vent d'ouest soufflant violemment par rafales et pluie sont à nouveau au programme. Des 67 concurrents, Massy réalise la meilleure entame, signant dans la matinée un 76 (+4) égalé seulement par l'Anglais Walter Toogood. Malgré un 6 au premier trou (un par 4), un bogey au 4 et un deuxième double bogey au trou n° 6, il réussit à rester dans le droit chemin en arrachant un birdie au 8, puis en jouant le retour dans le par. « Le Français montra la même excellente forme que lors des qualifications », précise le Glasgow Herald. [8] Dans l'après-midi, malgré des conditions météo toujours plus compliquées et quelques courts putts manqués en fin de partie, il signe un 81 (+9) qui le maintient seul en tête en 157 (+13), un coup devant Taylor (79, 79) et un autre professionnel anglais, Tom Ball (80, 78).

Arnaud Massy lors du British Open 1907 à Hoylake. © Bibliothèque Nationale de France
J'étais encore premier, mais le second n'était pas loin. La chance allait-elle soudain m'abandonner ? C'est là qu'il fallait recourir à mon sang-froid.

Arnaud Massy

Le lendemain, vendredi 21 juin, c'est en leader qu'Arnaud Massy se présente au départ. « J'étais encore premier, mais le second n'était pas loin. La chance allait-elle soudain m'abandonner ? C'est là qu'il fallait recourir à mon sang-froid », se souvenait-il bien des années plus tard. [9] Malgré ses bonnes intentions et un ciel enfin exempt de pluie, son début de journée est loin d'être idéal : après un aller en 42 (+6), il est dépassé par J.H. Taylor, en quête d'un quatrième succès au British Open. Mais sur le retour, comme la veille et en dépit d'un vent toujours soutenu, il inverse la vapeur en jouant une fois de plus 36 (par). À l'heure de la pause-déjeuner, son 78 (+6) le place second en 235 (+19), un coup derrière Taylor qui a joué 76 (+4), tandis que Ball, Vardon et George Pulford, un pro qui officie au Royal Liverpool, sont troisièmes en 239.

« Une grande clameur salua la première victoire française dans le plus grand événement de golf de l'année »

Dans l'après-midi, suivi par une foule nombreuse, Massy démarre avec un bogey, mais enchaîne immédiatement par un birdie grâce à une magnifique approche. Au 3, où Taylor parti une heure et vingt minutes avant lui avait encaissé un double bogey, il obtient un par et se retrouve à nouveau en tête. Tenu au courant de l'évolution du score de son adversaire, le Français s'accroche, reprenant au 6 puis au 9 les coups perdus au 4 et 5. À neuf trous de la fin, il mène toujours de deux coups après un aller en 38 (+3), contre 41 (+5) pour son adversaire. Le duel en décalé se poursuit dans le vent qui balaie le links : un coup grappillé au 10, un de perdu au 12, repris au 14, et reperdu au 15 ! À trois trous du terme, Massy possède deux coups d'avance, écart qui remonte d'une unité grâce à son par au 17, où l'Anglais avait manqué son drive et concédé un ultime bogey avant de signer un 79 (+7) et d'établir la marque au club-house à 314. Le Français aborde donc le dernier trou, un par 4, avec trois coups de marge : « Au-delà du bunker en deux, il avait quatre coups pour gagner le championnat. Trois lui suffirent, et s'il putta avec peut-être un peu trop de prudence, surtout le deuxième qui s'arrêta à plus d'un mètre de la coupe, le 5 fut dûment assuré. Lorsque la balle tomba, une grande clameur salua la première victoire française dans le plus grand événement de golf de l'année », relate le Glasgow Herald. [10] « Massy fut immédiatement entouré et porté en triomphe jusqu'au club-house ! »

La carte de score d'Arnaud Massy.

Margaret Hoylake Massy, la bien nommée

Auteur d'un retour en 39 (+3) et d'un dernier round en 77 (+5), le Basque remporte ainsi le 47e open britannique sur le score de 312 (+24), deux de mieux que Taylor. Lors de la cérémonie de remise des prix, vite expédiée devant le club-house en raison d'un violent orage, il se voit remettre la fameuse Claret Jug, ainsi qu'une médaille en or et un prix de 50 livres. « Vive l'Entente cordiale ! » conclut le lauréat sous les applaudissements après un bref discours de remerciements. Le lendemain, Massy reprend le train pour l'Écosse où l'attendait un autre cadeau : sa fille, née cinq jours auparavant, et dont la nouvelle de la naissance ne lui était parvenue que dans l'après-midi du 18, alors qu'il disputait son deuxième parcours de qualification ! Le choix du prénom de la nouvelle-née est ainsi relaté par les journaux : « Au cours du championnat en question, Massy en était à la fin de son parcours, se sachant en excellente posture malgré la tempête qui faisait rage, lorsqu'au moment de jouer son second coup, il vit sa balle magnifiquement placée sur une marguerite, où elle trônait de même que sur un tee soigneusement établi. Dans des conditions normales, il aurait fallu prendre deux coups de fer pour bien se placer sur le green ; aussi Massy, qui, de tout temps, fut un maître tacticien, n'hésite pas à prendre son brassie et il fit un drive d'une merveilleuse précision à quelques pieds du drapeau [...] La note pittoresque fut admirablement trouvée par le champion lorsqu'au sortir du green on lui remit une dépêche lui annonçant qu'il était l'heureux père d'une jolie fillette. "Tout est pour le mieux, répondit Massy, cette marguerite m'a porté bonheur, alors j'appellerai ma fille : Margaret Hoylake !" » [11]

La Claret Jug prend ses quartiers à la Boulie

À son arrivée à North Berwick, où une fanfare l'accueille triomphalement au son de See, the Conquering Hero Comes!, Massy est convoyé jusqu'à son domicile dans une automobile char à bancs ouverte, depuis laquelle il brandit le trophée tant convoité sous les yeux d'une foule en liesse. Mais les célébrations sont de courte durée : une semaine plus tard, Massy est à La Boulie, son club d'attache dans l'Hexagone, où il remporte son deuxième Open de France consécutif, dominant à nouveau Vardon, Taylor, Braid et tous les autres Britanniques venus prendre leur revanche et repartis bredouille... Quelques semaines plus tard, ce fut au tour de la Claret Jug de prendre ses quartiers, pour un an, au Golf de Paris, à la plus grande fierté de la presse française : « C'est une coupe en argent, de forme élégante et sur laquelle, en lignes serrées, sont déjà gravés les noms de tous les vainqueurs passés. Elle a pris rang dans les vitrines de la villa du Golf, au milieu de toutes les autres coupes-challenges, et c'est le plus glorieux trophée de sport qui puisse y figurer. » [12]

« Puissent d'autres professionnels de notre pays suivre votre exemple »

Laissons à Pierre Deschamps, premier président de la Fédération française de golf, le soin de conclure en reproduisant ici ce passage de la préface du livre d'Arnaud Massy [13] : « Jouissez de votre belle gloire dont nous sommes tous fiers, comme Golfeurs et comme Français ; à cette heure, où tant de links s'ouvrent chez nous, pour répondre aux besoins d'enthousiastes sportsmen, puissent d'autres professionnels de notre pays suivre votre exemple, unique encore dans les fastes du "Royal and Ancient Game", et contribuer à faire de ce sport un jeu national dans notre beau pays de France. » Cent seize ans après le triomphe de Massy, le parcours d'Hoylake couronnera-t-il son successeur ?

Un portrait d'Arnaud Massy. © Golf Illustrated du 28 juin 1907.

Références

[1] Le Miroir des Sports du 21 octobre 1925
[2] Revue des usagers de la route du 1er juillet 1937
[3] Le Miroir des Sports du 21 octobre 1925
[4] Harry Vardon, Comment jouer au Golf, 1912
[5] La Vie au Grand Air du 15 décembre 1920
[6] Glasgow Herald du 17 juin 1907
[7] Glasgow Herald du 19 juin 1907
[8] Glasgow Herald du 21 juin 1907
[9] La Vie au Grand Air du 15 décembre 1920
[10] Glasgow Herald du 22 juin 1907
[11] Les Sports mécaniques du 11 mai 1929
[12] L'Auto-Vélo du 10 juillet 1907
[13] Arnaud Massy, Le Golf, 1911

Pour plus d'informations sur Arnaud Massy :

1907 - La victoire d'Arnaud Massy au British Open, de Georges et Nicolas Jeanneau, 2007
Frenchman grasps the coveted silver jug, de Douglas Seaton