Le tracé de Caroline du Sud est apparu pour la première fois sur la grande scène du golf mondial en septembre 1991, lorsqu’il a accueilli la Ryder Cup. Chauvinisme, ambiance glaciale, palabres réglementaires, coups de fil en pleine nuit… pas de doute, cette édition reste à ce jour la plus teigneuse.
Parfois, le contexte n’aide pas. Là, il n’a pas, mais alors pas du tout aidé. En septembre 1991, l’équipe européenne arrive à Kiawah Island, qui accueille l'US PGA Championship à partir de ce jeudi, pour jouer la Ryder Cup face à son homologue américaine. Les joueurs du Vieux Continent restent sur deux victoires (1985 et 87) et un nul synonyme de trophée conservé (1989). Autrement dit, l’Oncle Sam est privé de victoire depuis huit ans, lui qui régnait presque sans partage sur la compétition jusqu’à la fin des années 1970. De jeunes arrivants dans l’escouade américaine tels que Payne Stewart, Steve Pate, Paul Azinger ou Corey Pavin ont alors diablement faim.
Déjà de la tension avant le départ
Comme dans un roman de Modiano, cela a commencé par un accident de voiture, impliquant en l’occurrence des joueurs américains, au moment de se rendre au dîner de gala du mercredi soir. Déjà, les Européens ont avalé de travers les réactions très émues de leurs adversaires, alors que les personnes impliquées n’étaient atteintes que de blessures légères (Steve Pate a malgré tout dû rester sur le banc jusqu’au samedi après-midi). Mais surtout, ils ont passé la suite de la soirée à regarder une vidéo de présentation ne montrant que les Américains, comme si aucune équipe ne se présentait face à eux.
Et s’il n’y avait que ça question chauvinisme… Seulement, au début de l’année, la première Guerre du Golfe était déclenchée par l’opération "Tempête du désert". La poussée de patriotisme engendrée chez les Américains allait se faire sentir jusqu’au bord des fairways durant la Ryder Cup.
Quelques joueurs de la Bannière étoilée se sont même dit que ce serait une bonne idée d’arriver, le vendredi lors du lancement, coiffés d’une casquette au motif de camouflage, histoire de montrer leur soutien aux troupes. Et faisant par ailleurs peu de cas des joueurs européens notant au passage que leurs propres soldats étaient engagés sur le même théâtre d’opération. « Ils auraient pu porter quelque chose en soutien à leurs propres troupes s’ils le voulaient, ironisait quelques années plus tard Hale Irwin, membre de l’équipe américaine, dans Golf Digest. Les troupes britanniques portent aussi des tenues de camouflage. De ce que je sais, ils ne portent pas de combinaisons jaunes. »
Et puis de la tension pendant
De fait, tout le tournoi s’est déroulé à l’avenant : accusations çà et là de petits arrangements avec les règles ou de non-respect de l’état d’esprit, poignées de main avec regard glacial en prime, quelques provocations descendues de la foule... Une station de radio locale, étant parvenue à mettre la main sur le numéro de téléphone de certains joueurs européens, s’est même imaginé que les appeler au milieu de la nuit serait une idée constructive. Le surnom donné à l’opération traduit une nouvelle fois l’ambiance : "Wake the ennemy" (réveiller l’ennemi).
L’épisode le plus symbolique fut le long palabre entre José María Olazábal et Seve Ballesteros d’un côté, et Paul Azinger et Chip Beck de l’autre, lors des foursomes du premier jour, sur le départ du trou n°10. En cause : l’utilisation de balles à différents indices de compression par les Américains sur certains trous, remarquée par Olazábal à partir du 7, mais notifiée à l’arbitre en chef par le capitaine européen Bernard Gallacher au 10. Certes, les deux Espagnols ont insisté sur le fait qu’ils accusaient Paul Azinger d’une erreur et non d’une tricherie ; certes, aucune pénalité n’a été appliquée, étant donné que les trous incriminés avaient été complétés ; mais dans l’affaire, Paul Azinger a malgré tout nié dans un premier temps, avant d’admettre un changement de balle illicite uniquement au 7, lorsqu’il fut clair qu’il n’hériterait pas d’une pénalité. « J’ai dit à Paul : "Si tu ne connaissais pas la règle au 7, comment ça se fait que tu la connaissais au 9 ?" Bizarrement, il n’a pas répondu à ça », relevait quelques années plus tard Gallacher auprès de Golf Digest. Forcément, l’épisode n’a pas réchauffé l’atmosphère.
Heureusement, le spectacle était sauf, puisque cette Ryder Cup 1991 se décidait au dernier putt du dernier trou du dernier match, avec un loupé de Bernhard Langer pour redonner la coupe aux États-Unis. Ainsi se concluait une semaine où la beauté du cadre de Kiawah Island et l’animosité qui y régnait n’ont jamais été réellement en phase. Et même 30 ans plus tard, taper "1991 Ryder Cup" sur un célèbre moteur de recherche fait apparaître les suggestions "controversy" (controverse), et "cheating" (tricherie) dans les premiers résultats. Bref, c’était la grosse ambiance. Et heureusement, ça a quand même bien changé.