Dans la foulée de sa victoire à Torrey Pines ce samedi, Matthieu Pavon a livré ses impressions aux médias américains en conférence de presse.
Quelques minutes après avoir remporté votre première victoire sur le PGA Tour, comment vous sentez-vous ?
Je n'arrive toujours pas à y croire. Comme je le disais en sortant du green du 18, j'ai l'impression qu'il reste encore un tour à jouer car on n'est que samedi... C'est une émotion vraiment spéciale. Je ne pourrais jamais remercier assez le PGA Tour d'avoir donné aux Européens l'opportunité de se frotter, ici aux États-Unis, aux meilleurs joueurs du monde. Ça a toujours été un de mes rêves. J'ai eu ma chance de le réaliser et je l'ai saisie. Maintenant, gagner est un autre rêve qui se réalise, et j'ai vraiment du mal à le croire...
Dans quel état d'esprit étiez-vous au moment de taper votre drive au 18, juste après avoir concédé un bogey au 17 et voir votre avance ramenée de deux à un coup seulement ?
Lâcher un point (sic) au 17 a été dur à encaisser. C'est comme ça, parfois on rentre ces petits putts, parfois on les rate. Après ça, j'ai vu Nicolai (Højgaard, ndlr) envoyer un missile à plus de 300 yards plein fairway et je me suis dit « OK, ça va être chaud maintenant, il va falloir que je fasse birdie ». Ma mise en jeu n'est pas partie en fade comme je le voulais et la balle a fini dans le bunker, tout près de la lèvre. De là, je n'avais d'autre option que de jouer mon 52° pour remettre la balle en jeu sur le fairway. Mais j'ai manqué ce coup ! Je ne sais pas si ma balle a touché la lèvre ou si c'était juste un coup mal exécuté, mais je l'ai manqué. Ensuite, j'ai vu Nicolai prendre le green en deux et mon caddie m'a dit qu'on aurait intérêt à faire un lay-up et tenter de sauver le par pour partir en play-off. Je lui ai dit « écoute, Woody, le lie de la balle n'est pas trop mal, je pense que je peux le tenter ». Il m'a répondu : « OK, mais c'est ta décision » . J'ai donc pris cette décision. J'étais excité à ce moment-là et je savais que j'avais l'énergie nécessaire pour porter cette balle par-dessus l'eau, jusqu'au green. J'ai visé le milieu du green car je savais que ma face de club allait se refermer un peu dans ce rough. La balle s'est envolée comme un papillon et a pris la bonne pente sur le green, me laissant un putt de 2,50 mètres environ. C'était l'occasion parfaite de montrer que j'avais des tripes pour conclure ce tournoi, et c'est ce que j'ai réussi à faire. Donc vraiment, je suis très content de ce dernier trou !
Pouvez-vous expliquer plus en détail quelles sont les choses qui vous aident à vous concentrer sur le parcours, que vous évoquiez en sortant du green ?
Pour moi, il est essentiel que les choses soient claires dans mon esprit. Depuis que j'ai gagné en Espagne à l'automne dernier, j'écris beaucoup de petits mots, de petites phrases dans mon carnet. Ça m'aide à rester dans le moment présent. Vous savez que sur un parcours, on peut parfois avoir l'esprit qui s'envole un peu, donc il faut revenir dans le moment présent pour se concentrer à nouveau. Ces phrases que j'écris me rappellent pourquoi je joue au golf, pourquoi je suis là, et m'apportent de la confiance. Je pense que c'est la clé dans le sport : plus on est en confiance, plus c'est facile.
À quel point ces phrases ont-elles été importantes aujourd'hui ?
Énormément. Ces phrases, je les lis et les relis peut-être cent fois en six trous. Je me concentre dessus, et quand c'est mon tour de jouer je lève la tête et j'y vais, concentré, engagé à fond sur le coup, avec la seule intention de faire de mon mieux. C'est tout ce que je peux faire !
Vous avez évoqué le fait que venir en Amérique était un rêve. Comment vous êtes-vous motivé pour rendre ce rêve réalisable sur les six ou douze derniers mois, depuis que le PGA Tour et le DP World Tour ont créé cette passerelle entre eux ?
Pour être honnête, ce n'était pas un objectif en démarrant la saison 2023. Je n'avais pas encore gagné sur le circuit européen, et ça faisait six ans que je bataillais pour atteindre ce but. J'y suis finalement parvenu, dans un timing parfait si je puis dire puisque ça s'est produit en Espagne, après avoir mené le tournoi de bout en bout. Ça m'a prouvé que j'étais capable de grandes choses, ma confiance s'en est accrue, et avec mon équipe nous avons eu la confirmation que nous faisions ce qu'il fallait pour être performants à haut niveau. À la suite de ça, j'ai réussi ces quatre birdies consécutifs à Dubaï pour arracher ma carte du PGA Tour ; et depuis, je suis sur un nuage. C'est incroyable ! Depuis que je suis arrivé ici, je savoure chaque instant. Jouer ici, c'est un rêve que j'ai depuis l'âge de 17 ans, quand je suis venu quelques mois à West Palm Beach pour m'entraîner et jouer. J'avais adoré l'Amérique, la mentalité, la culture du sport, tout en fait ! Je me sens même un peu américain, d'une certaine façon. Honnêtement, je n'avais quasiment aucune pression en venant jouer ici, c'était juste une énorme opportunité. Je savais que si ça ne marchait pas, je pourrais rentrer en Europe et recommencer. Je me suis juste dit de faire de mon mieux chaque jour, de profiter de chaque instant, et j'ai l'impression que ça a marché !
Dans quel cadre êtes-vous venu aux États-Unis, à l'âge de 17 ans ?
J'avais fini le lycée et j'étais entre deux optiques : tenter d'intégrer une université américaine, ou m'entraîner à fond et passer pro aussi vite que possible. À l'époque, je n'étais pas un excellent joueur, pour être franc : je crois que mon meilleur classement mondial chez les amateurs avoisinait la 800e place... Donc je suis venu à West Palm Beach, où j'ai rencontré des gens remarquables. Je m'entraînais à l'époque avec Ken Martin, qui fut le caddie de Sandy Lyle. J'ai commencé à jouer sur des mini-tours en Floride en tant qu'amateur, et je me suis dit « waouh, c'est le rêve : les parcours, la façon dont les gens se comportent, le soutien... » Depuis cette époque, je n'ai cessé de penser qu'il fallait que je revienne.
Cette victoire vous place largement meilleur Français au classement mondial, et donc potentiellement qualifié pour les Jeux olympiques. Sachant qu'ils auront lieu en France, que vous inspire le fait de pouvoir les jouer dans votre pays ?
C'est énorme. Je regarde les Jeux à la télé depuis que je suis gamin. On a de la chance, nous golfeurs, d'avoir été réintégrés au programme en 2016 à Rio de Janeiro. Un de mes bons amis, Julien Quesne, qui est en quelque sorte mon mentor, les a joués cette année-là et m'a raconté à quel point c'était génial. Donc c'est évidement un objectif de m'y qualifier et de représenter mon pays à Paris. Et ça a l'air bien parti !
Vous venez d'une famille de sportifs. Qu'avez-vous appris auprès de vos proches qui vous a permis d'avoir du succès en tant que sportif professionnel ?
C'est vrai que je viens d'une famille où le sport est très présent. Ma mère (Béatrice Pavon-Deler, ndlr) est enseignante de golf, mon père et mon grand-père sont ont été joueurs professionnels de football. Je devrais peut-être parler de soccer, ici, mais c'est bien de football qu'il s'agit ! (rires) Mon père, Michel Pavon, a remporté le championnat de France quand j'étais enfant (en 1999, avec les Girondins de Bordeaux, ndlr), et on avait une cassette vidéo de ses meilleurs actions qu'on a regardé des centaines de fois avec mes frères. Ça m'a inspiré dès mon plus jeune âge, et je peux dire aujourd'hui que ma famille m'a apporté de grandes valeurs, comme le goût de l'effort, l'humilité et le fait de donner le meilleur de soi-même.
Avez-vous joué au football, et pourquoi avez-vous choisi le golf ?
Oui, j'ai pratiqué durant 13 ans. Je n'étais pas mauvais, d'ailleurs, mais c'était difficile parce que pour tout le monde, j'étais le fils de Michel. Il y avait toujours une ambiance bizarre sur les terrains, où je me faisais traiter uniquement parce que j'étais le fils de mon père. Ce n'était pas évident, mais j'imagine que ça m'a endurci. Cela dit, j'en suis venu à penser que je n'étais pas fait pour les sports d'équipe. J'ai toujours fait les choses de manière professionnelle, et quand vers l'âge 15 ou 16 ans la plupart de mes coéquipiers ont commencé à sortir et à boire de l'alcool, ça a commencé à m'énerver de perdre des matchs alors que je faisais tout ce qu'il fallait pour être compétitif. C'est pour ça que je me suis tourné vers un sport individuel. Mais en toute honnêteté, de mon enfance jusqu'à mes 16 ans, je ne jouais au golf qu'une à deux fois par semaine.
Vous allez jouer un paquet de grands tournois cette année. Qu'est-ce que cette victoire vous apprend dont vous pourrez vous servir dans ces grands tournois. Comment envisagez-vous votre futur ?
Tout ce que je sais pour l'instant, c'est que je vais dîner chez Nobu ce soir et que je jouerai à Pebble Beach la semaine prochaine ! Il y a tellement de tournois fantastiques sur le PGA Tour, que ce soit Bay Hill, le Players, le Masters, que je ne pourrai pas tous les citer. Pour l'instant, je n'ai aucune idée de ce que me réserve la suite de la saison, mais on va se faire une bonne réunion avec mon équipe pour voir comment on peut arranger mon calendrier, qui va évidemment être chamboulé par rapport à ce qu'on avait prévu.
Que vous inspire le fait, en tant que français, d'être désormais un vainqueur sur le PGA Tour ?
C'est énorme, déjà par rapport à mon background personnel. J'ai failli renoncer au golf avant même de passer pro, car j'avais des yips. Il y a dix ou onze ans, j'ai découvert une technique qui marchait, et je me suis entraîné tellement dur que ce point faible est devenu une force. Et puis, comme je l'ai dit, je n'ai pas été plus haut que 800e mondial chez les amateurs, personne ne s'intéressait à moi à cette époque-là, je n'ai jamais été appelé en équipe de France, et je le comprends tout à fait. Mais j'ai appris, j'ai travaillé dur, et j'ai fini par gagner en Europe l'an dernier, et aujourd'hui aux États-Unis, donc c'est vraiment incroyable. Je pense aussi que c'est une victoire historique pour le golf français. Nous avons eu Céline Boutier qui a gagné un Majeur l'an dernier à Évian, ce qui est encore plus énorme, mais je pense que cette victoire est importante pour le golf dans mon pays. J'espère en tout cas qu'elle inspirera beaucoup de gens, car passer de 800e mondial chez les amateurs à vainqueur sur le PGA Tour, c'est quand même assez énorme !
Vous évoquez le fait d'avoir failli renoncer au golf. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous accrocher ?
Quand on est jeune, ne pas être excellent fait qu'on n'a pas beaucoup d'attentes. On a des attentes modestes, on va dire. À l'époque, une mauvaise journée sur le parcours était la norme pour moi, et une bonne journée était quelque chose de génial. Donc j'arrivais toujours à retirer du positif d'une partie. Je pense que le simple fait de travailler dur et de croire en soi rend les choses possibles. De la même façon, j'ai beaucoup investi dans mon équipe, pour m'entourer de gens remarquables et compétents. Je pense qu'en donnant tout pour son projet et en ayant confiance en soi, on peut réussir à faire à peu près n'importe quoi.