Sa victoire à Torrey Pines, son podium à Pebble Beach, son nouveau statut, son parcours singulier, ses ambitions pour le futur… Matthieu Pavon a répondu, mercredi soir en direct sur le compte Instagram de la ffgolf, aux questions des licenciés. Extraits.
Commençons par cette magnifique victoire au Farmers Insurance Open, il y a dix jours maintenant. Est-ce que vous vous en êtes remis, est-ce que vous avez digéré ?
C’est bon, ça commence à rentrer. Les deux ou trois jours qui ont suivi ont été vraiment très intenses, par la présence des médias. Aux États-Unis, c’est encore au-dessus de ce qu’on peut connaître en Europe, c’est un rouleau compresseur. Il y a eu beaucoup de demandes, de sollicitations, et il a fallu gérer tout ça. D’ailleurs, je remercie énormément mes équipes, qui travaillent à ma communication, d’avoir allégé mon planning et d’avoir rendu ça vivable. Il y a plein de choses à assimiler, mais ce sont des choses très positives.
Y a-t-il une image ou un moment fort en particulier qui vous revient en tête de cette semaine-là ?
Ce n’est pas vraiment un flash ou une image. C’est plutôt quelque chose d’anecdotique : je n’ai pas pu reconnaître le South Course de Torrey Pines, qui est le plus dur des deux. On est arrivés le lundi, et il y avait du brouillard, on ne voyait pas à 100 m, il a plu toute la journée. Moi qui n’ai jamais fait ça dans ma carrière, et je déteste faire ça, j’ai marché le parcours. Je suis parti sous la pluie, avec ma tenue de pluie et mon cadet, marcher sur des fairways qu’on ne voyait même pas, arriver jusqu’à des greens où on ne voyait pas ce qui se passait autour. On avait le droit de faire quelques putts, mais le green n’était pas tondu, il y avait énormément d’eau dessus. Je n’en pouvais plus, j’étais fatigué de mes 15 premiers jours, donc je coupais entre les trous. C’était une reconnaissance un peu spéciale.
Et puis j’arrive le jeudi, jour du deuxième tour, et je fais -7, sur le tracé le plus compliqué. Sans connaître le parcours. Donc c’est surtout ça que je retiens : c’est assez rigolo d’avoir performé, alors que je ne connaissais pas du tout le parcours. J’ai vraiment découvert plein de trous que j’imaginais en dog-leg gauche et qui étaient en dog-leg droit… on avait vraiment fait une reconnaissance un peu bâclée de ce tracé.
Matthieu Pavon
Il se trouve que vous vous êtes plutôt bien comporté dessus, vous vous êtes retrouvé en dernière partie pour la première fois sur le PGA Tour. Quel était votre état d’esprit avant ce dernier tour ?
Ce qui est drôle, c’est que j’étais beaucoup moins stressé que sur le Tour européen. Je pense que la symbolique de cette première victoire sur le DP World Tour était très importante pour moi. Je l’attendais depuis sept ans. Je pense que, sur le PGA Tour, je suis vraiment arrivé avec un état d’esprit différent. J’avais peut-être des attentes plus élevées sur le DP World Tour, alors que là, j’étais vraiment dans un état d’esprit de découverte, de voir si mon jeu allait convenir aux États-Unis. On ne sait jamais, il y aurait peut-être eu des ajustements à faire. Je suis vraiment arrivé avec beaucoup d’envie de prendre du plaisir. Je me sens tellement bien et épanoui humainement aux États-Unis, j’en ai tellement rêvé, qu’à chaque fois que je mets le pied sur un parcours de golf pour un tournoi du PGA Tour, c’est un jour de plus dans un de mes rêves. Tout ça a fait quelque chose d’hyper positif, et ce qu’il s’est passé au Farmers Insurance a simplement été la suite de ça.
Lors de ce dernier tour, la partie se déroulait plutôt bien, vous étiez en tête, et il y a eu ce bogey au 17. Comment avez-vous réagi ?
Le truc, c’est que les greens, à Torrey Pines, ils ne sont pas bons du tout. Ils sont assez rapides, mais ils marquent énormément. Déjà, quand je fais -7 le deuxième jour, j’ai manqué 1 m pour birdie au 3, et pareil au 6. On savait que ça pouvait arriver, que la balle saute un peu et fasse autre chose que ce qu’on imaginait. Et je me suis retrouvé un peu dans cette situation-là au 17. Mes partenaires de jeu, Højgaard et Jäger, en ont manqué ce jour-là aussi. Là c’était mon tour, je l’ai pris comme quelque chose de normal, qui arrive à tout le monde. Je me suis dit que le mieux que j’avais à faire, c’était de faire birdie au 18 pour gagner le tournoi. Je me suis conditionné comme ça.
Vous êtes resté dans cet état d’esprit, malgré vos deux premiers coups sur le 18 qui n’étaient pas forcément à la hauteur pour envisager ça ?
Oui, bien sûr. Après, c’est un enchaînement de choses. Je ne tape pas un si mauvais drive que ça, je manque le fairway de cinq ou six mètres. J’étais à un endroit qui avait été ratissé par les groupes qui étaient devant, à 50 cm maximum de la lèvre. Je n’ai pas vraiment d’option, donc je tape un coup de 52° pour faire avancer ma balle au mieux. Je la tape très bien, mais je suis un peu surpris de la voir tourner autant en l’air, d’une dizaine de mètres, un peu comme un hook. Je la vois tomber dans le rough, et là, je me dis clairement que je suis dans de sales draps, parce que le rough est costaud. Mais il est aléatoire : il y a des parties qui sont plus denses que d’autres, et on peut avoir un peu de chance. Quand j’arrive sur ma balle, je vois tout de suite qu’il y a un coup. Je me suis dit : « C’est bon, je l’ai, je suis sûr que je peux l’envoyer sur le green ». Mon caddie veut juste que j’avance pour me donner une chance d’accrocher un play-off, mais moi j’ai tellement d’adrénaline à ce moment-là et je suis tellement confiant dans ce que je peux faire d’un lie comme ça que je dis à mon caddie qu’il n’y a aucune chance, mais vraiment aucune chance que je mette la balle dans l’eau. Pour moi, j’allais la taper tellement fort que soit elle allait être niveau de drapeau, soit elle allait aller au fond du green.
Après, il y a une part de réussite. Je m’aligne sur le milieu du green, parce que c’est la zone la plus large. La face se ferme un petit peu, la balle fait un draw de quatre ou cinq mètres, et elle vient choper ce toboggan qui ramène vers le drapeau. Les gens ne se rendent pas compte, mais il y a une pente de malade autour de ce drapeau, c’est vraiment un bol. Le green est à l’ombre aussi avec les gradins, donc c’est très humide. Et donc ma balle vient buter dans cette pente, et revient gentiment vers le drapeau. Après, je me suis vite remis dans mon processus mental de visualiser des choses, comme à l’entraînement, et ça m’a permis de glisser ce putt.
Au moment de putter, vous êtes parvenu à faire le vide dans la tête, ou vous aviez un peu les mains qui tremblaient ?
Ça va paraître un peu sûr de soi, mais dès que j’ai vu cette balle sur le green, je savais qu’il était pour moi, que j’allais le mettre. J’étais tellement sous adrénaline de ce coup, de la foule en délire, que je me suis dit qu’il n’y avait aucune chance qu’il m’échappe. Quand je me retrouve devant mon putt, j’ai la chance de voir très vite la ligne. Je passe beaucoup de temps à l’entrainement à putter sur une plaque avec deux billes. Quand je me mets devant ma balle, la seule chose que je visualise, c’est cette plaque, et je me dis que si ma balle passe entre les deux billes, je vais gagner le tournoi. J’avais eu exactement le même procédé à Dubaï, quand j’avais le putt pour aller sur le PGA Tour.
Et quand ce putt tombe, c’est quoi la sensation ?
Une sensation dingue. Même pas de se dire que je suis vainqueur sur le PGA Tour, mais juste l’accomplissement de la semaine avec mon caddie. On s’est battus, on la voulait ensemble. Et puis c’est un accomplissement personnel. C’est le PGA Tour, mais pour moi, les victoires ont la même valeur. C’est juste ressentir la joie qui nous envahit, c’est une délivrance du travail accompli, des peines endossées et des échecs qu’on a pu avoir.
Comment vous vivez votre nouvelle notoriété, notamment aux États-Unis ?
Pour l’instant, très bien. Comme je le disais, je me suis entouré d’une équipe en termes de communication depuis maintenant un an. J’essaie d’être le plus professionnel dans tout ce que je fais. Pour moi, ce filon-là n’était pas encore suffisamment utilisé en général dans le golf en Europe, peut-être aussi chez les Français. J’avais vraiment envie d’investir là-dedans. Avec la victoire en Espagne, on a déjà eu un avant-goût de ce que ça pouvait donner en termes de retombées médiatiques. On a commencé à bien se rôder. Cette victoire sur le PGA Tour, on était prêts à l’accueillir. Ça m’a donné de la liberté aussi, car il fallait enchaîner assez vite sur Pebble Beach.
Justement, revenons sur Pebble Beach : une troisième place après trois tours, puis le tournoi qui s’arrête. Quelle a été votre réaction ? Frustré qu’il n’y ait pas de quatrième tour ?
Je suis quand même content d’avoir relevé le défi sur trois jours, car avec tout ce qui s’était passé la semaine d’avant, je suis arrivé à Pebble Beach très fatigué. Au début de la semaine, ça a été très dur de penser au golf. Mais j’avais bien compris comment je fonctionnais après ma victoire en Espagne. J’ai essayé de remettre en place les mêmes choses. Bien sûr, je suis finalement très content : c’est un nouveau top 5, sur un des plus beaux tournois de l’année, à champ réduit, une dotation, on ne va pas se le cacher, de malade. Je montais en puissance, j’ai fait -7 le premier jour, mais pour moi, le troisième jour a vraiment été le plus solide de tous. Je jouais très bien. Dommage de ne pas s’être testé une nouvelle fois en dernière partie, avec deux joueurs de Ryder Cup, Ludvig Åberg et Wyndham Clark, que je connais bien et avec qui j’avais joué auparavant. Ça aurait été chouette de me mesurer à eux.
Comment vous vous êtes installé aux États-Unis ?
Pour l’instant, je suis dans un Air BnB. Je pense que ça va durer toute l’année, ma femme a encore des choses à régler en Europe, et je pense que je ne réalise pas encore l’ampleur des retombées financières, encore une fois on ne va pas se le cacher. On verra en fin d’année si on s’achète une maison sur un golf aux États-Unis, comme j’en rêve.
Justement, vous êtes sûr de jouer tous les gros tournois cette année, et de continuer aux États-Unis l’année prochaine. Ça a changé beaucoup de choses sur votre manière d’envisager l’avenir ?
Il a fallu faire des choix, c’est sûr. Je pense que tout le monde a compris que je ne jouais pas à Phoenix cette semaine. Ça a été dutr de dire non, car c’est un tournoi que j’avais envie de jouer. Mais il ne faut pas précipiter les choses. On fait en sorte, avec mon équipe, que je sois compétitif à chaque fois que je m’aligne. Il y a un temps pour tout. Je me suis également retiré du Genesis Invitational, qui est un Signature Event. C’était important d’avoir une semaine pleine avec ma famille, pour recharger les batteries, puis 15 jours pour bien m’entraîner. Il y a tellement de belles échéances à venir que ça ne sert à rien de courir après les tournois. J’essaie d’appliquer une chose que m’avait dite Victor Perez il y a quelques années, qui était qu’il ne s’alignait que sur les tournois où il était assuré d’être présent à 100 %, physiquement et mentalement. C’est un conseil que j’essaie de garder en tête.
Les Jeux olympiques de Paris, vous les avez cochés ?
Oui, c’est coché depuis la fin d’année dernière. C’est clairement un objectif, représenter la France à Paris, c’est important et c’est une chance immense. Malheureusement, je vais retrouver le Golf National (rires). Je pense que c’est le parcours qui me donne le plus de difficultés dans ma carrière pour l’instant. Mais on va avoir du temps pour se préparer, et on fera tout pour réaliser la meilleure performance possible.
Concernant les Majeurs, y a-t-il des parcours qui vous conviendraient particulièrement ?
En fait, je ne connais pas les parcours qu’on va jouer. Même Augusta, je n’ai jamais mis les pieds là-bas. Il y a peut-être un ou deux trous qui vont peut-être être compliqués pour moi, car il faut plutôt taper des balles en draw. Alors attention, à tous ceux qui me regardent : je sais faire un draw (rires). Je n’en fais pas souvent, mais je sais faire.
Matthieu Pavon
Comment réagissez-vous quand vous voyez que vous êtes en tête de la FedEx Cup ?
Ça va surprendre beaucoup de monde, mais pour l’instant, ça n’a pas vraiment de valeur. C’est génial, mais on a joué cinq tournois. Si je suis premier après 12 ou 13 tournois, je me rendrai peut-être compte de ce que j’ai accompli. On verra où on se situe dans une dizaine de tournois.
Vous avez été un golfeur « tardif » à haut niveau. Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?
Jeune, je n’étais pas très bon (rires). Jusqu’à 16 ou 17 ans, je jouais au foot trois fois par semaine, j’allais juste au golf deux heures le mercredi, puis le week-end quand je n’avais pas de match. Face à des joueurs qui ne faisaient que du golf, j’avais un retard assez grand. Quand j’ai eu mon bac à 17 ans, j’ai eu la chance que mes parents m’envoient aux États-Unis pour réaliser mon rêve, m’entraîner tous les jours, dans des infrastructures bien meilleures. J’ai vite vu que ma progression était rapide là-bas, que j’avais vraiment envie de faire ça. Je me suis entraîné pendant deux ans, je suis passé pro tôt, à 21 ans, je devais être 800e mondial, 30 ou 40e joueur français. Il y a eu l’épisode du yips aussi, dans ma dernière année amateur, j’ai failli arrêter le golf. J’ai découvert ce grip inversé, que j’ai vraiment travaillé, j’ai poncé le système. J’ai gagné mon troisième ou quatrième tournoi pro, et je ne me suis jamais arrêté. Je pense que la clé, c’est que je n’ai jamais eu de grosses attentes. Vu que j’ai eu un cursus atypique, je n’avais aucune attente chez les pros. Tout ce qui était négatif, je le prenais pour la normalité. Je pense que ça a fait une grande différence.
Quelles sont vos motivations, ambitions et objectifs à venir ?
J’aime bien me donner des objectifs de moyens plutôt que chiffrés. J’aimerais monter ma moyenne de driving autour de 310 yards, garder un strokes gained putting positif. J’ai un objectif en termes de nutrition, pour être en forme, ne pas tomber dans les vices américains des choses hyper sucrées. Le hors-tournoi est très important pour moi. Comme un examen, ça se prépare les semaines d’avant. C’est vrai que, concernant le top 70 de la FexEx Cup, qui était un de mes objectifs, c’est passé au top 30. J’aimerais bien jouer le dernier tournoi. Mon objectif aussi, c’est aussi de rester dans le top 50 mondial jusqu’en décembre.
Vous avez évoqué Céline Boutier dans votre interview d’après victoire au Farmers Insurance. Ses victoires l’an dernier ont eu un rôle dans la vôtre ?
J’ai regardé tout le dernier tour de l’Amundi Evian Championship. Je pense qu’elle dévergonde peut-être le golf français avec ce qu’elle accomplit. C’est une immense championne, j’espère qu’elle pourra encore gravir quelques marches pour devenir la meilleure joueuse mondiale. C’est un palmarès qui inspire. De là à dire que ma victoire ne vient que de Céline, bien sûr que non, c’est quelque chose qui a été longuement bâti. Mais c’est sûr que ça donne envie de faire pareil.
On a tellement de bons joueurs et de bons golfs français, je pense que les gens ne se rendent pas compte. Après, il faut se créer une opportunité, comme j’ai eu la chance de le faire à Dubaï. C’est la seule chose qu’on puisse faire malheureusement, mais on a de très bons joueurs français qui, dans les prochaines années, vont nous montrer de très belles choses.