Deuxième Français à avoir disputé la Ryder Cup - et premier à l'avoir remporté - Thomas Levet livre les souvenirs de sa participation à l'édition victorieuse de 2004, et décrypte l'esprit très particulier de cette compétition unique dans le monde du golf professionnel.
Cinq ans après la participation de Jean Van de Velde à l'édition 1999, Thomas Levet est devenu le deuxième golfeur français de l'histoire à disputer la Ryder Cup. C'était en 2004, du 17 au 19 septembre, sur le parcours Sud de l'Oakland Hills Country Club, près de Detroit dans le Michigan. Dans cette chronique, le sextuple vainqueur sur le Tour européen explique comment gérer au mieux une saison de Ryder Cup, jusqu'aux ultimes journées qui précèdent l'ouverture de l'épreuve.
Être régulier toutes les semaines
« C'est sûr qu'une année de Ryder Cup, c'est particulier, mais comme le classement est étalé sur deux années ça commence bien avant. Pour 2018, il faut d'abord regarder ce qui s'est passé en 2017 : qui a joué les gros tournois l'an dernier ? Quand on arrive du Challenge Tour ou des cartes, on n'a déjà pas l'accès aux plus gros tournois du Tour européen, et encore moins aux Majeurs et WGC. Donc ceux qui ont le droit d'y participer sont déjà pas mal avantagés. Ensuite, une fois que les points de Ryder Cup sont ouverts, il faut savoir lâcher les chevaux, car ce n'est pas en assurant qu'on va faire l'équipe. Il faut prendre des risques, être agressif toute l'année, et avoir la chance que ça passe. Un joueur du circuit européen a besoin de bonnes performances dans les Majeurs et les championnats du monde, et à côté de ça d'une grosse saison sur le Tour s'il ne joue qu'en Europe. Il faut être régulier toutes les semaines, à l'image de ce qu'a fait Alexander Levy en début de saison. La moyenne de classement des joueurs de Ryder Cup se situe toujours dans les 30 premiers, avec en général deux bonnes performances tous les trois tournois. »
Un avantage pour les Européens qui jouent sur le PGA Tour
« Le joueur qui connaît bien le circuit va faire son calendrier en fonction des tournois où il sait qu'il est performant d'habitude, et doit également jouer les Majeurs et WGC. Mais maintenant, il est quasiment obligé d'en gagner un, voire deux, car la modification des critères de qualification a donné davantage de poids au classement mondial. Il y a quatre places aujourd'hui via le World Ranking, et quatre via le Tour européen, au lieu de cinq et cinq auparavant. Donc ça donne un peu plus de poids au classement mondial, et ça avantage les Européens qui joue essentiellement sur le PGA Tour. Un gars comme Ian Poulter, cette année, peut se qualifier par ce biais-là. Mais un joueur de l'European Tour doit axer sa saison autour des gros tournois, parce que c'est là où on peut décrocher sa place pratiquement d'un seul coup si on fait un gros carton. En Europe, il y a de grosses différences de points entre les tournois, donc il faut vraiment privilégier les gros tournois. »
Privilégier les tournois qu'on aime
« Il faut faire attention à ne pas surcharger son calendrier. L'année est très longue, la qualification court jusqu'à fin août, donc il ne faut pas être « brûlé » au mois de mai. Il vaut mieux garder son rythme de tournois, faire son programme par rapport aux tournois qu'on aime bien, et savoir lâcher prise. Quand on est bien placé au classement, il faut être capable de prendre des risques pour aller jouer la gagne dès qu'on est en position, et pas se satisfaire d'une douzième place. Pour un joueur qui joue uniquement sur le Tour européen, c'est encore réaliste aujourd'hui de se qualifier, mais ça devient de plus en plus difficile, car les tournois du Grand Chelem et les WGC sont beaucoup mieux dotés que les autres. Un joueur qui dispute les huit épreuves en question se bat pour environ 72 millions de dollars au total ; ça représente 30 Trophée Hassan II en équivalent de dotation... »
Du travail à faire en amont
« Si on n'a pas l'obligation de jouer tous les tournois jusqu'à la fin de la qualification, ça donne une petite marge de manœuvre. En 2004, je m'étais qualifié après le British Open, soit deux mois environ avant la Ryder Cup, donc j'avais modifié un tout petit peu mon planning pour pouvoir me reposer davantage et arriver hyper frais. Enfin, c'est relatif car la compétition a lieu fin septembre, mais j'avais pu me régénérer un peu avant. Alors que beaucoup de joueurs – c'est arrivé plein de fois dans le passé – se battent comme des malades toute la saison pour avoir leur place dans l'équipe, et disparaissent pendant la Ryder Cup. C'est une épreuve prenante au niveau du planning, on n'a quasiment pas une heure à soi pendant toute la semaine, donc on n'a pas le temps de s'entraîner. Du fait de ma qualification relativement précoce, j'avais tout préparé en amont, à la maison, pour ne plus avoir de travail à faire en arrivant à Oakland Hills. Un peu comme pour un Majeur : quand tu arrives sur place, tu n'as pas d'autre boulot à faire que de reconnaître le parcours, car ton jeu est en place, ton travail technique est fait. »
Soigner les petits bobos
« C'est bien de prendre une semaine de break pour soigner les petits bobos liés à l'usure normale d'une saison, et qui ne guérissent pas toujours bien, comme des ampoules, des petites tendinites, etc. Après, le faire la semaine juste avant la Ryder Cup ou plus tôt, ça dépend des joueurs. Il y en a qui aiment rester à la maison avant de partir, et d'autres qui préfèrent se remettre dans le bain un peu plus tôt. C'était mon cas, puisque j'avais joué en Allemagne la semaine précédent la compétition. Dans mon système, le gros tournoi était toujours le deuxième ou le troisième d'une série après un break. Ça me permettait de réviser en situation ce que j'avais travaillé à l'entraînement la semaine d'avant, sans avoir la très grosse pression du très gros tournoi. »
Travailler certains coups en situation
« Chez les pros, les petits changements, les ajustements sur le swing, sont permanents. On a toujours une petite sensation à affiner, un petit détail à régler. Mais on ne change pas son swing pour la Ryder Cup : il faut se dire que ce qu'on a comme armes est suffisant. Après, si on a le luxe d'être qualifié un peu avant la compétition, c'est bien de se renseigner sur le parcours qu'on va jouer afin de travailler certains coups en situation : quelles distance on va avoir sur les par 3, ou sur les deuxièmes coups des par 5, par exemple. C'est bien d'avoir une idée sur la météo probable à cette période de l'année pour savoir comment la balle va voler, et comment elle va rouler. Tout ça, c'est du travail en amont qui, s'il est bien fait, permet de ne pas avoir de surprises en arrivant. Pour les gars qui vont jouer le Golf National cet automne, il va par exemple falloir être bien rodés sur les mises en jeu au bois 3 ou au fer 2 pour toucher un maximum de fairways. »
Se remettre en mode match-play
« C'est surtout au putting que c'est important. Chez les pros, on n'a pas l'habitude de jouer en match-play, on en fait au maximum trois fois dans l'année, et jamais pour ceux qui ne rentrent pas dans les tournois en question. On peut passer des années sans jouer selon cette formule. Donc pour se remettre dans cet esprit-là, il y a des petits exercices tout bêtes, qu'on peut pratiquer en jouant avec ses copains : se dire que ce putt-là, je dois le rentrer sinon je perds le trou ; se dire que celui-ci doit absolument dépasser le trou pour se forcer à être agressif... Autre chose : sur les longs putts – ça paraît évident quand on joue en quatre balles, mais ce n'est pas le cas dans la vie de tous les jours – quand tu puttes à 15 m pour birdie et que ton partenaire est à 2 m, il ne faut pas hésiter à charger son putt à fond la caisse. Soit ça rentre, soit ça ne sert à rien, car ton partenaire ne va pas prendre trois putts à 2 m. Enfin, il faut travailler mentalement les petits putts, car on sait qu'en Ryder Cup ils ne seront pas forcément tous donnés... »