Leader de l'ordre du mérite de l'Alps Tour à cinq tournois de la fin de la saison, le joueur originaire de la Réunion est quasiment assuré de monter sur le Challenge Tour l'an prochain. Un grand pas dans sa carrière, qu'il prend en toute décontraction.
À la Réunion, comme partout ailleurs en France, le golf se développe, lentement mais sûrement. Quasi-inexistante sur le plan sportif national à la fin du siècle dernier, l'île est devenue au fil des années un foyer propice à l'éclosion de joueurs et joueuses aptes à batailler sur les circuits professionnels internationaux. Dans la voie tracée par Jade Schaeffer, deux fois titrée sur le Ladies European Tour en 2009 et 2011, se sont engouffrés Alexandre Daydou, Julien Sale, Christian Verrougstraete, Romain Lanteri, Charlotte Liautier ou encore Benjamin Kedochim. « J'imagine qu'il y a eu davantage de jeunes à se mettre au golf ces dernières années, et que la formation est bien faite parce qu'il y a de bons enseignants », observe ce dernier, produit de l'école du Golf de Bourbon, le plus ancien des trois parcours réunionnais, ouvert en 1969.
« Les pros qu'on a chez nous sont assez humains en général, et surtout ils savent bien transmettre leur passion », ajoute celui qui a débuté avec Éric Despinoy, et a évolué pendant presque toute son enfance sous la tutelle d'Anthony Moerdyk, un pro sud-africain installé à L'Étang-Salé depuis près de quarante ans. Le secret de la réussite réunionnaise réside aussi, aux dires du joueur qui fêtera ses trente ans le 11 octobre prochain, dans un certain état d'esprit partagé entre les représentants susmentionnés : « C'est peut-être dû au fait que les îliens sont assez détendus ! S'il y a un point commun entre nous, c'est bien celui-là ! », rigole Benjamin.
Basque d'adoption
Le sang réunionnais ne coule pourtant pas dans les veines de ce fils d'un couple d'enseignants (de mathématiques et d'histoire) originaires de divers coins de métropole. Jusqu'à ses seize ans, l'île a pourtant été sa maison - son jardin, même - avant son exil à Biarritz pour fréquenter l'American Golf Academy créée par l'emblématique professeur du Golf du Phare, Mike Magher. « En tant que Réunionnais, le Pays basque est ce qui se rapproche le plus de chez moi, entre les randos dans les Pyrénées, le surf et la météo. C'est un bel endroit ! » souligne Benjamin. C'est là, durant deux ans, qu'il a perfectionné son art. Il a ensuite, comme beaucoup, tenté l'aventure américaine, rejoignant son copain Nicolas Platret à l'université du Texas Rio Grande Valley, mais a fait le chemin en sens inverse au bout d'une année seulement. Revenu sur sa côte basque d'adoption en 2016, il a conclu sa carrière amateur sur une finale de championnat de France individuel perdue face à Frédéric Lacroix l'année suivante, et est passé pro fin 2017.
La suite, à l'image du développement du golf en France et à la Réunion, a été lente, mais sûre. Durant six saisons, Benjamin a bataillé sur l'Alps Tour, dans une existence exigeante de golfeur pro faite de parcours peu sélectifs, de locations Airbnb partagés entre copains et de gains souvent dérisoires. L'an dernier, d'indiscutables progrès découlant de l'expérience et du travail effectué auprès de son coach Olivier Serres, enseignant indépendant en région bordelaise, l'ont mis en position de s'extirper enfin de la troisième division européenne. L'histoire se joue au dernier trou du dernier tournoi en Italie, sur lequel un birdie lui permettrait de partir en prolongation avec son compatriote Augustin Holé et l'Espagnol Quim Vidal : « J'ai fait cravate et manqué le play-off, qui m'aurait fait monter sur le Challenge Tour même si je n'avais pas gagné le tournoi. J'ai fini 9e de l'ordre du mérite, mais à un centimètre de monter... » évoque-t-il d'un ton de voix où une certaine forme d'amusement détaché a depuis longtemps remplacé l'amertume.
Comment réagir à un tel crève-cœur ? « Derrière, j'ai posé les clubs pendant six semaines. Je n'avais plus du tout envie de m'entraîner, ni même de jouer. J'ai pris un bon coup au casque, mais peu à peu j'ai repris goût au golf grâce à l'ambiance des Internationaux de France professionnels de double à la Réunion, aux quelques pro-am sympa que j'ai joué dans l'hiver, aux parties entre copains. J'ai réalisé que j'avais le jeu pour monter, donc je me suis remobilisé au cours de l'hiver », raconte-t-il. Grand bien lui en a pris : pour cette saison 2024, après onze tournois disputés, le Réunionnais est en tête de l'ordre du mérite du circuit, avec 20 196,75 points au compteur et près de 6000 d'avance sur le sixième et premier non-qualifié virtuel pour le Challenge Tour l'an prochain. « À moins que je manque le cut sur les cinq prochains tournois, la montée est assurée », admet-il dans un sourire.
Gagner pour tout régler
Fait étonnant, l'actuel premier de cordée de l'Alps Tour n'a toufedois pas remporté de tournoi, au contraire des quatre joueurs qui le suivent au classement. « Depuis l'an dernier, gagner est l'objectif. J'ai été proche assez souvent », commente l'intéressé. Comme au New Giza Open en Égypte au début de la saison, où ses deux coups d'avance à l'entame du dernier tour se sont transformés en 4e place à deux coups la gagne, malgré une dernière carte de 68 (-4). Ou au Grand Prix PGA France à Roissy, où un putt court en ligne et deux virgules sur les trois derniers trous l'ont laissé à une longueur du vainqueur. « Ces deux-là me restent un peu en travers de la gorge », confesse Benjamin. « Dans l'ensemble, je suis très content de ma saison et de mes résultats, mais je veux rester n° 1 jusqu'au bout car ça me donnera une meilleure catégorie l'an prochain sur le Challenge Tour. Donc il n'y a plus qu'à gagner l'un des cinq tournois qui restent, comme ça ça sera réglé et ça arrêtera de me trotter dans la tête ! »
Le plan est simple (ce sont souvent les meilleurs !), et tout à fait à la portée du joueur qui aura l'occasion de le mettre à exécution dès cette semaine, de jeudi à samedi, à l'Alps de las Castillas en Espagne. Ensuite, il sera temps de profiter d'une pause salutaire de près de deux mois, après une première moitié d'année qui l'a vu enchaîner quatorze tournois en quinze semaines. À moins que, son futur à court et moyen terme assuré, il n'ait l'opportunité de montrer son savoir-faire à l'échelon supérieur, grâce à quelques invitations estivales sur le Challenge Tour pour lesquelles il a fait une demande. Mais dans un cas comme dans l'autre, Benjamin Kedochim prendra les choses comme il le fait d'habitude : avec le sourire, et une dose toute réunionnaise de décontraction !