De nouveau à la conquête d’une carte sur le Legends Tour après son passage sur ce circuit en 2023, Lionel Alexandre est revenu sur une carrière atypique et décousue qui l’a mené à faire partie des meilleurs seniors européens.

Lionel Alexandre joue cette semaine pour retrouver un droit de jeu complet sur le Legends Tour. © Phil Inglis / Getty Images - AFP

À 24 ans, en 1997, vous vous lancez dans le monde professionnel sur le Challenge Tour, avec un droit de jeu complet qui tiendra jusqu’en 2004. Que retenez-vous de ces années-là ?
Ce sont de belles années où le directeur du Challenge Tour était un Français, Alain de Soultrait. En tant qu’amateur, c’était donc un poil plus facile pour avoir des invitations et c’était une petite source de motivation supplémentaire. J'ai honoré les six invitations qu’Alain m’avait obtenues et j’ai décroché ma carte. Mais j'étais un peu loin de l'exigence du haut niveau. C'est-à-dire que je sortais de mon club où tout le monde me disait que j’étais doué, donc je croyais que j’étais la super star. Mais il n'y a pas de super star sans travail. À ce moment-là, on assistait à l’avènement de Tiger Woods et du physique. On s'est rendu compte que le golf était un sport et les mecs se retrouvaient de 8 h à 20 h au practice pour bosser. Un concept que je tenais à l’écart. J’étais professionnel mais au niveau de l'entraînement, j'étais un amateur. C'est peut-être ce qui a fait la différence entre ma carrière et celle de très bons amis comme Grégory Havret ou Raphaël Jacquelin. Non seulement il faut être doué, mais en plus il faut bosser.

En 2000, vous vous qualifiez tout de même le 129e Open Championship, à St Andrews, votre unique tournoi Majeur dont vous tirez une 72e place. Ce n’est pas rien…
Oui, oui, oui, ça a été une super super expérience… mais j'aurais volontiers échangé ce British contre une carte du Tour européen pour jouer une année entière (rires). Je me souviens avoir joué seul au troisième tour car Dudley Hart s’était blessé. Les mecs du Royal & Ancient m’avaient proposé de jouer avec le pro du club, mais même lui n’était pas disponible finalement. Et ça a été l’horreur, j’attendais des plombes pour jouer mes coups, je n’avais aucun rythme. Et puis surtout, quand on joue un British, on a envie de jouer avec des stars, pas tout seul ! Mais à côté de ça, j'ai tout donné pour passer le cut et j’étais content d’y parvenir. J’ai un peu souffert sur le plan physique en fin de tournoi mais franchement, St Andrews en 2000, c’était le rêve.

Lionel Alexandre, à jamais le premier à porter un bob de l'Olympique de Marseille à St Andrews. © AFP / Jacques Demarthon

Avez-vous eu le sentiment d’avoir été davantage spectateur qu’acteur ?
Oui et non. Évidemment, j’admirais la plupart des joueurs qui y étaient, mais j’étais arrivé avec le même regard deux mois plus tôt pour mon premier Open de France (au Golf National, NDRL) et je m’étais un peu perdu. Donc au British, je m’étais interdit ça. Ça a été la même réflexion pour la qualification au British d’ailleurs, que j’ai décrochée en play-off. J’avais perdu un an plus tôt en play-off face à Jean van de Velde au championnat de France pro. J’étais un peu fougueux, un peu jeune, j'ai voulu attaquer et ça s'est mal passé. Et au British, je me suis souvenu qu’il valait mieux être posé et patient et ça a payé puisque j’ai chopé la dernière place.

Et après 2004, vous perdez votre droit de jeu. Quelques apparitions se font sur le Challenge Tour puis petit à petit, plus rien. Que s’est-il passé ?
Ça remonte à pas mal de temps et je n’ai pas une grande mémoire, mais ça a été une période où je ne savais pas trop où j’allais. Aux alentours de 2006, j’ai décidé de partir en Asie avec Julien Quesne pour tenter l’expérience, mais deux jours avant de partir, je rencontre la future mère de ma fille. Et à la naissance de ma fille, je me suis posé la question de ce que j’allais faire. Je voyais les copains qui voyageaient mais qui ne voyaient pas forcément beaucoup leurs enfants, et je ne voulais pas de ça, alors je m’étais mis à enseigner pour garder un statut pro. Mais je perdais mes catégories de jeu au fur et à mesure. Et puis je me suis retrouvé à 35 ans en étant trop vieux pour retourner sur l’Alps Tour et trop peu préparé pour le Tour européen. Donc j’ai surtout privilégié les pro-am parce que je ne pouvais pas ne plus jouer.

Je pense que, à cette période, je n’étais pas prêt à vivre ça.

Avez-vous regretté ne pas essayer d’allier votre vie de famille avec celle de joueur professionnel ?
On peut refaire l'histoire dix fois, mais ça ne sert à rien. C'est sûr que lorsque je discute avec Greg (Havret), Raph (Jacquelin) et d'autres, je me dis que j’aurais aimé être avec eux. Mais on voit beaucoup le côté télé, les birdies, les bogeys… mais on oublie tout ce qu'il y a derrière, et je pense que je n’étais pas prêt à cette période à vivre ça. Et puis plus je vieillissais, plus ça s’éloignait. Effectivement, oui, j’ai regretté de ne pas avoir bossé assez, de ne pas avoir été assez rigoureux pour pouvoir arriver sur le Tour. Mais j'ai la vie que j'ai eue. Et je suis content de l'avoir vécue.

Et tout ça vous mène en 2023, à vous présenter aux cartes du Legends Tour. Comment s’est construit ce nouvel objectif ?
Avec les pro-am, j’ai toujours conservé un niveau de jeu qui est était quand même plutôt bon. Et j’ai eu quelques personnes qui m’ont encouragé à me lancer, notamment Vincent Raimondi qui m’a soutenu avec Bomba Sport. Et sa vision de vouloir aider de nombreux joueurs m’a beaucoup plue, et je me suis dit que s’il croyait en moi, je lui devais au moins de réussir. Donc j'ai repris l'entraînement avec Benoît Ducolombier, qui est un peu mon mentor depuis 30 ans et à l'origine de la moitié de mes résultats. J’avais une certaine confiance de faire partie des cinq détenteurs d’une carte à la fin de la finale, mais il y avait toujours un petit doute. Il fallait un niveau de jeu élevé, de la consistance. Alors quand tout s'est terminé, ça a été la délivrance. Même si ce n’est que le début de quelque chose puisque l’essentiel est la saison elle-même. Mais je me suis prouvé que je pouvais le faire, même si j'étais un peu branleur par-ci par-là, je l’ai fait et je l’ai mérité.

Un de vos premiers posts de la saison 2023 mentionnait le retour du « kiff. » C’était une sensation qui vous avait manqué ?
Exactement. Sentir cette petite boule au départ du 1, sentir ce truc qui anime, c’est grisant. Parce qu’on joue pour quelque chose. Je savais que j’allais jouer des supers parcours avec des supers joueurs, dont des Français. En amont de la saison, j’avais appelé Christian Cévaër pour savoir comment ça se passait et il a pris beaucoup de temps pour répondre à toutes mes questions, c’était top. Et puis au fur et à mesure j’ai retrouvé Marc Farry - le papa de tous les joueurs - mais aussi Thomas Levet et Jean-François Remésy, des mecs dont je n’ai pas le quart du palmarès mais qui sont géniaux et bonnards. Ils ont bien coaché le jeune vieux qui débarquait ! Mais même avec cette aide-là, j’ai eu du mal à gérer le rythme de l’année. Je m'attendais à avoir environ 24 tournois dans l’année, tandis que l’on en a eu une quinzaine. En jouant un tournoi toutes les trois semaines, j’ai eu du mal à maintenir le niveau et à rester concentré sur mes objectifs.

Qu’est-ce qui vous a marqué lors de cette première saison sur le Legends Tour ?
J’ai essentiellement retenu qu’il y a beaucoup de choses qui étaient faites pour toutes les anciennes gloires du circuit européen : tous les joueurs de Ryder Cup, les vainqueurs de tournois ou de Majeurs. Et à juste titre puisqu’ils ont contribué à l'histoire du golf européen. Donc c'est normal que tout soit fait pour les voir jouer chaque semaine. Mais à côté de ça, ils prennent beaucoup de place et il y en a donc moins pour des nouveaux comme moi. Peut-être qu'il pourrait y avoir un équilibrage un peu plus raisonnable qui permette à tout le monde d'avoir une chance. Mais ça pousse aussi à travailler davantage.

Après quel accomplissement vous satisferez-vous de votre évolution sur ce circuit ?
Je suis un éternel insatisfait, comme beaucoup de golfeurs. Même si je gagnais un tournoi, ce serait une joie de courte durée puisque je ne serais le champion que d’une semaine et un simple candidat à un autre titre la semaine suivante. Je sais que je peux faire partie de ceux-là, même si c’est tard. Si on prend l'exemple de Matthieu Pavon récemment, il s’est peut-être dit que ça arrivait tard, mais en attendant il y est arrivé. Et aujourd’hui, il évolue sur le PGA Tour avec l’envie chaque semaine de faire mieux que la précédente. C’est une partie du Graal au golf. Mais quoi qu'il arrive, il y a un temps pour profiter, pour se féliciter et le lundi matin il faut retourner à l’entraînement car tout recommence au tournoi qui suit. Ça ne s'arrête jamais.