De retour chez elle, à Bourg-en-Bresse, après sa victoire en ouverture du LET Access Series, Lucie André revient sur une semaine mémorable, une soif de jeu insatiable et une philosophie de vie des plus rafraichissantes.
C’est un post Instagram qui a le don d’être explicite. En l’espace d’une trentaine de lignes, Lucie André retrace une semaine dont elle se souviendra toute sa vie. Celle d’une victoire au Santander Golf Tour Girona qu’un play-off rare, composé de cinq joueuses et étiré sur autant de trous, a garni d’une bonne de dose de suspense. Mais dans cette publication sociale se dégage aussi la récompense d’un travail technique et mental, la satisfaction de retrouver le cercle des vainqueurs et celle d’avoir prouvé qu’elle peut être encore compétitive six ans après son dernier succès.
Pourtant, la désormais double vainqueur sur le Letas voyait une victoire dès le premier tournoi comme quelque chose d’inespéré. En amont de l’événement d’abord, tant elle manquait de temps de jeu en situation dans une période hivernale où ses parcours d’entraînement n’étaient pas au meilleur de leur condition. Alors pour palier ce problème, Lucie André a opéré un exode éphémère dans les reliefs de Cannes, lui permettant de parcourir quelques 18 trous deux semaines avant son départ pour l’Espagne. Là-bas, elle a répété son travail ciblé depuis l’automne avec son coach Alain Alberti, à savoir « des exercices sur la rotation de mes hanches qui ont tendance à glisser sur le côté gauche à l’impact. Ça fait deux ans que l'on avait identifié ce mouvement, mais récemment on a insisté sur ce changement. Le jeu s’était pas mal amélioré lors des cartes d’accès au Ladies European Tour, puis c’était devenu un objectif de le maîtriser pour ce premier tournoi de l’année », détaille celle qui joue sa sixième saison de suite sur le circuit.
Inespérée aussi était la victoire au moment où elle concluait son ultime tour sur le tracé du golf de Peralda. « Une heure après mon dernier trou, j’étais tranquillement à table en train de déjeuner quand une copine anglaise m’a tapé sur l’épaule en me disant "il faudrait peut-être que tu t’échauffes pour le play-off." J’étais persuadée que la Néerlandaise (Marit Harryvan, ndlr) avait toujours ses deux coups d’avance, ce à quoi elle m’a répondu : "elle vient de faire double au 17." » Pas pressée pour autant, la Rhône-Alpine prend le temps de finir de manger puis s’en va s’échauffer sans taper de balles, confiante dans son jeu et consciente de ce qu’elle doit faire. « J’ai rendu la meilleure carte du jour donc, quoiqu’il arrivait, je savais que je devais continuer de jouer mon jeu. » D’autant plus que la Française possède un certain bagage en ce qui concerne le play-off : en 2017 déjà, lors de sa première victoire au Czech Ladies Challenge, le dénouement s’était joué à la mort subite, à l’époque plus courte de deux trous. « Même ma première victoire amateur aux Internationaux d’Espagne (en 2009, ndlr) m’a servie. C’était du match play et je sais que depuis ce succès, je dois toujours jouer pour moi plus qu’en fonction des autres. Ce que j’ai fait le week-end dernier. Je n’ai jamais pris en compte ce que faisaient les filles en face et j’ai tenu ma stratégie d’attaquer les drapeaux », raconte-t-elle. Dès le premier trou, la lauréate aurait pu écourter le scénario si sa balle avait fait plus qu’effleurer le bord du trou. Il en faudra quatre de plus pour voir le trophée lui être remis et permettre à la phrase la plus délicieuse de son fameux post apparaître : « 35 ans et toujours capable de botter le derrière des jeunes. »
La question de l’âge, propre au sport féminin ?
De cette mention spéciale pleine de second degré et d’affection pour les « petites jeunes du circuit » amène forcément la discussion de l’âge. Et du rapport qu’un(e) athlète professionnelle entretient avec cette donnée chiffrée. « J’ai des copains qui ont une trentaine d’années et qui jouent encore, mais on ne leur pose pas la question de la reconversion et de l’après-carrière, amorce celle qui a soufflé ses 35 bougies en janvier. À l’inverse, c’est plus souvent le cas chez les femmes, et dans le sport féminin de manière générale. Comme si, passée la trentaine, il fallait penser à faire autre chose, à fonder une famille ou à laisser tomber parce que les jeunes arrivent. ». La trentaine ou pas, Lucie André a toujours envie de jouer, et preuve à l’appui, de gagner. « Je commencerai à me poser la question le jour où je prendrai 30 mètres à chaque coup, mais pour l’instant ce n’est pas le cas, alors je ne mets aucun frein », conclut-elle à ce propos.
En attendant cette lointaine échéance dans un sport où les carrières sont plus longues qu’ailleurs, la joueuse - qui se définit comme une sorte de « maman du Tour » - profite de chaque moment sur le circuit, comme elle le fait depuis la sortie du confinement lié au Covid. « Je visite les villes où l’on joue, je cherche les endroits sympas pour ne pas être uniquement plongée dans le golf à chaque fois », lâche-t-elle dans un sourire. Cette philosophie de prendre la vie pour ce qu’elle fait désormais partie intégrante d’elle, jusque dans les principes de son métier où, pour cette nouvelle année, elle n’a - presque - pas défini d’objectif. « En réalité, il y en a un global qui est de terminer dans le top 6 pour monter sur le LET, mais je ne me fixe pas d’objectif de résultat à chaque tournoi », précise-t-elle. Un procédé qu’elle a tiré de son travail avec la préparatrice mentale Kelly Sotière tout en s’appuyant sur ses années d’expérience qui lui ont permis de comprendre que viser un résultat précis chaque semaine était contreproductif pour elle. Lors du prochain tournoi du Letas, à Terre Blanche le 13 avril prochain, elle aura l’occasion de réitérer sa méthode de fonctionnement, déjà prête à en découdre en play-off s’il le faut. « Mais je ferai plus court cette fois ! »