Comment passer d’un enthousiasme mesuré à l’idée d’aller aux Jeux olympiques à la certitude d’avoir vécu une expérience unique et gravée à vie ? Mode d’emploi.
Je vais être honnête avec vous : je ne sautais pas au plafond à l’idée d’aller couvrir les Jeux olympiques. Entendons-nous bien, je n’y allais pas à reculons non plus, le jour où j’irai couvrir un tournoi de golf en traînant le sabot est loin d’être levé. Mais lorsque je pensais à la saison 2024 qui nous attendait, les JO tapaient tout juste le milieu de grille. Songez : j’ai la chance de couvrir des championnats de France, d’Europe et du monde amateurs, des tournois professionnels réguliers, de parler fréquemment avec celles et ceux qui jouent le mieux à ce jeu dans notre pays et dans ses environs, et le plus fort encore, c’est que cela se produit systématiquement en compagnie de mes camarades et collègues. Passion du golf en grosse cargaison, containers entiers de rigolades.
Or, que m’attendais-je à vivre aux Jeux olympiques pendant deux semaines ? Pour le dire vite, des galères. Deux tournois dans des environnements aseptisés, où parler à un joueur ou une joueuse relève de l’exploit. Des difficultés pour circuler sur le parcours, dans les transports. La limitation de ma production à de simples articles écrits, détention des droits de diffusion oblige (au passage, merci à France Télévisions d’avoir si bien illustré la différence entre avoir le droit de faire quelque chose et l’exercer). La perspective de voir des gens qui, par méconnaissance du golf, gênent les athlètes au moment de jouer. Et puis de toute façon, quelle ambiance pourra-t-il y avoir, quand les organisateurs ont gravé dans le marbre le fait que le Golf National allait recevoir beaucoup moins de spectateurs qu’il ne le pourrait ? Peu de public, pas de camarades, pas grand-chose à raconter dans des tournois dont les champs sont aussi petits que leur formule est fade. Et puis Paris en plein mois d’août, je la voyais déjà venir, la vague de chaleur qui allait venir à bout de mon sommeil et de ma patience. Allez se mettre dans la cohue olympique pour s’y sentir si seul, quelle idée…
Bref, les temps précédant la quinzaine olympique passent. La dernière semaine avant l’événement, je suis en Finlande pour couvrir le Championnat d’Europe individuel amateur dames, avec mon pote cameraman Eric Boizet (celui que vous connaissez, désormais, comme l’homme à la cravate de père Noël, qui distribue des sorts avec son téléphone). Tous deux grands fans de golf, nous ne parlons même pas des JO au petit déjeuner. Sauf pour en dire un peu de mal, soulignant que ça allait être le bordel. Pardonnez le vocabulaire, mais c’était le matin, et le café finlandais est infect.
Première flamme
Et puis il se produit un premier truc. Une première étincelle. Sous l’objectif de notre coéquipier Romain Muraille, je vois les images du relais officiel de la flamme olympique au Golf National. Sous le capitanat de Patricia Meunier-Lebouc, Jean Van de Velde, Thomas Levet, Gwladys Nocera, Grégory Havret, Joanna Klatten, et dans leur sillage 24 relayeurs, tous des visages connus dans le paysage du golf français, portent la torche. Que de sourires. Que de joie communicative. Quelle chance pour le golf de faire partie de cette grande famille olympique. Et si l’on excepte Gwladys, qui a joué à Rio en 2016, que ces gloires du golf tricolores auraient fait de beaux olympiens, ne puis-je m’empêcher de penser.
Ni une ni deux, j’envoie un message à Patricia, pour lui dire le bonheur que j’ai eu à voir ces images. Même refrain le lendemain auprès de Gwladys Nocera lorsqu’elle arrive en Finlande, pour y retrouver sa casquette de responsable fédérale de la filière dames. Et ça y est, je le sens, la fièvre me gagne. J’ai même sorti de la valise ma casquette aux couleurs de l’équipe de France olympique.
Arrive le jour de la cérémonie d’ouverture, qui coïncide, de notre côté, avec le troisième tour du Championnat d’Europe dames. Il faut savoir que l’été, il est une heure de plus à Helsinki qu’à Paris. Début de la fête pour nous à 20 h 30, donc. J’épluche la liste des départs, et auprès d’Eric, je suis formel : le temps de terminer notre vidéo du résumé du jour, on sera à l’hôtel devant nos écrans à 20 h 30 pile. Et il a fallu qu’il y ait ce foutu orage. Jeu interrompu pendant 1 h 20, reprise puis conclusion du troisième tour. Croyez-nous si vous voulez, nous sommes arrivés à l’hôtel exactement 1 h 20 après le début de la cérémonie. Heureusement, on est en 2024, et regarder un programme avec un décalage du genre est très aisé. Pendant quatre heures, je ne décroche pas. La connexion de l’hôtel non plus d’ailleurs, heureusement. J’ai tout regardé jusqu’au bout, il est 3 h du matin heure locale, je n’ai toujours pas envie que ça s’arrête. Ce n’est plus de la fièvre, c’est une infection généralisée.
Le lendemain, avec Eric, nous ne parlons plus que de ça. De Lady Gaga, de Philippe Katerine, de Teddy et Marie-Jo, même d’Aya Nakamura, nous qui sommes pourtant indifférents à son répertoire. À tous ceux que nous croisons sur le parcours, nous demandons s’ils ont vu la cérémonie, en faisant nos têtes de fiers français. La plupart du temps, la réponse souriante de nos interlocuteurs est du genre : « Oh, yes, beautiful. And so French ! » Deux jours plus tard, à peine ai-je eu le temps de voir ma digue de larmes céder une deuxième fois lors du sacre de Pauline Ferrand-Prévot (la première fois c’était à l’allumage de la vasque, naturellement), que ça y est, il est temps de partir pour les JO. En vrai.
Car tout ça c’est bien beau, mais quand on voit le délire qui est en train de s’emparer de la colline d’Élancourt, de la Défense Arena où Léon Marchand est en train de devenir Jeanne d’Arc, du Stade de France où la bande à Dupont s’est jouée des Fidjiens, et même de Châteauroux, c’est dire, on se demande légitimement si le golf ne va pas paraître un peu tiède à côté de tout ça. La réponse arrive dès le jeudi et le premier tour du tournoi messieurs. Non, elle n’arrive pas, elle fuse. Sur le départ du 1 de l’Albatros, il est 8 h, je reprends à peine mon souffle après ma crevaison à vélo (oui, j’ai quand même eu des galères, sinon c’est pas drôle), et Victor Perez apparaît. La butte comble derrière le tee scande son prénom, agite des drapeaux français, chante, vibre… espère. Alors moi, je fais quoi ? Rien d’autre que ça. Je chante. Je vibre. Et j’espère. L’entrée en lice de Matthieu Pavon, sur l’heure de midi, franchit un pas de plus dans le délire. Des « Merci pour Torrey Pines, Matthieu ! » descendent de la butte. Des applaudissements nourris accompagnent chaque nom annoncé au départ, saluent chaque joli coup, quel qu’en soit l’auteur. Le silence au moment où un coup est tapé est total.
Moi, les bras m’en tombent. Non seulement l’endroit ne sonne pas creux, mais le public, qualitativement parlant, est fantastique. Un vrai public de golf, avec cette pointe de folie bien française dans laquelle les spectateurs étrangers n’ont aucun mal à se fondre. Une seule journée, sur les huit de compétition, est passée, et ma certitude est faite. Je vais vivre un truc unique. Comme la Ryder Cup avait été unique, mais ça sera autre chose. En passant le portique de sortie du Golf National, je me dis que j’ai de la chance d’être là. J’ai mis du temps à me le dire, mais c’est comme le golf au programme olympique : mieux vaut tard que jamais.
La folie Perez
Les journées s’enchaînent. La qualité de jeu et le pedigree des noms en tête du classement me convainquent peu à peu que ces messieurs sont en train de nous offrir le plus beau tournoi de leur saison, qui a pourtant déjà épuisé ses quatre Majeurs. Victor Perez, impeccable éponge à toute l’énergie positive envoyée par le public depuis le début de semaine, offre des moments de folie furieuse sur ses neuf derniers trous. Au bord du 15, lorsque son putt pour birdie disparaît, je ne tiens plus, je hurle. Si Céline Boutier et Perrine Delacour se demandent pourquoi, le lendemain, je leur ai posé des questions avec une voix éraillée, qu’elles sachent que la faute revient au putter bouillant du Tarbais. Lorsque ce dernier arrive au green du 18, je sais déjà au fond de moi qu’il va être court d’un rien pour une médaille. Mais là, moi qui me dis très rarement ce genre de phrases, je songe : « Profite, savoure ».
À peine le temps de souffler, et trois jours plus tard, ces dames viennent à leur tour en découdre avec l’Albatros. Le public ne demande même pas de tour de chauffe, il redémarre au galop direct. Ovation pour Perrine Delacour le premier matin, et triomphe le midi pour Céline Boutier. Laquelle porte les supporters français à ébullition, en claquant un -7 qui la met seule en tête. Même nous, suiveurs, qui savons qu’un premier tour reste un premier tour, on ne peut s’empêcher de se mettre à rêver. Nous connaissons la fin de l’histoire, et les difficultés rencontrées par la suite sur le parcours par la n° 1 française. Mais pour l’avoir vécu de près, je dois dire que sa persévérance, malgré la pression, malgré l’envie de bien faire qui se trouvait mise à mal, ne peut faire aller l’admiration que vers le haut pour celle qui avait déjà construit, du haut des 30 ans qu’elle avait alors, le plus beau palmarès du golf français. Et qui, sans nul doute, retrouvera les anneaux olympiques dans quatre ans, au Riviera Country Club. Moi aussi ? Ça, je ne sais pas. Mais Paris 2024 a changé au moins une chose : j’espère.