Parce que « La Cour des grands » a été un plaisir à réaliser en 2024, le premier jour de la nouvelle année est l’occasion de se plonger dans mon trio formé avec Martin Couvra et Tom Vaillant. Celui qui me laisse nostalgique, mais aussi dubitatif sur la vie de golfeur pro.
À l’image de ce qu’a été 2024 pour moi, vous allez partager dans cette lecture un bout de la vie de Martin Couvra. En réalité, je parlerai tout autant de Tom Vaillant mais comme ce dernier a adoré le répéter tout au long de cette saison lors des différents tournages pour la série La Cour des grands : « Martin est le personnage principal, je ne suis que le second rôle. » Alors, autant entretenir la blague.
La situation initiale : l’excitation collective
Si vous avez été assidus avec les contenus de la Fédération française de golf, vous savez qu’avant leur arrivée sur le Challenge Tour et le DP World Tour, je connaissais Martin et Tom depuis les championnats du monde amateurs par équipes 2022 en France. J’allais donc les retrouver pour un nouveau beau projet étendu sur quatre épisodes. Bien que ce fût peu, cela a été suffisant pour fortifier une complicité. C’est ce qu’il me fallait pour les mettre au mieux en lumière. Évidemment, leur caractère a grandement facilité la tâche : décomplexés quoique timides, professionnels quoique juvéniles, je savais que le lien était créé bien que je ne sache toujours pas si je les considère aujourd’hui comme mes joueurs préférés, des amis ou simplement comme mon gagne-pain (un petit tacle gratuit, messieurs !).
Lorsque je les ai retrouvés au tout début du mois de janvier à Dubaï, j’ai noté l’œil pétillant et l’excitation qui les habillaient au moment de tourner les premières minutes de cette série qui n’avait alors pas trouvé son nom et qui s’intitulait aléatoirement « Vie de pro. » À cette période-là, mes « Tic et Tac » étaient impatients, avides de savourer cette réalité qui n’était alors qu’un espoir au moment où ils entraient dans les pôles dix ans plus tôt. La fougue dont ils faisaient preuve était contagieuse et je jubilais de découvrir ce que serait le quotidien d’un joueur qui cherchait à garder sa carte sur la première division européenne et d’un autre qui espérait le rejoindre au plus vite.
L’élément perturbateur : la réalité du monde pro
Il suffira d’un épisode - trois mois dans une temporalité plus observable - pour que je réalise que leur vie n’était finalement pas tant un rêve. Mi-avril au Japon, je suis tombé sur un Tom dans le dur sur le plan sportif depuis quelques semaines. Pire, je découvrais que l’homme était même touché moralement. Malgré les sourires en façade et une prise de plaisir relative, je comprenais que la fringale de Dubaï avait laissé place à une lassitude précoce. Les voyages, la fatigue, la solitude, le mal du pays avaient réussi à tuer l’enthousiasme d’un gamin de 22 ans. Et j’intégrais alors que le paradoxe d’un rêve est qu’il est moins féérique lorsqu’il est vécu. Ce que beaucoup d’amateurs - moi le premier - idéalisent comme la plus belle des vies est, dans les faits, un quotidien où le bonheur ne dure pas. À l’image de son tout premier top 10 glané cette semaine-là, le temps de la saveur était précipité puis effacé dès dimanche après-midi par la logistique qu’imposait le tournoi suivant en Chine.
Plusieurs mois plus tard, à la fin de l’été, j’ai de nouveau observé cette lueur terne, cette fois dans les yeux de Martin. À un âge où l’on se soucie davantage de la conséquence d’un écart en soirée ou d’un devoir non rendu, lui se demandait si les efforts fournis pendant huit mois passés dans le top 20 du Challenge Tour n’allaient pas filer à la trappe en l’espace de quatre semaines et l’obliger à reprendre à zéro. Moins disponible, moins souriant, plus évasif, le blondin était simplement « moins » qu’à l’habitude.
L’élément de résolution : des familles en or
Heureusement, ces jeunes-là ont su trouver la positivité nécessaire à surmonter ces obstacles au sein de l’entourage qu’ils se sont construit. Outre l’importance évidente de Jean-François Lucquin et Mathieu Santerre, leur coach, d’Olivier Elissondo et Yann Vandaele, leur binôme au sac, et ceux que l’on a moins vus (préparateurs mentaux, kinésithérapeutes), La Cour des grands m’a permis de découvrir l’apport indispensable de celles et ceux à qui l’on pense moins : les proches, les familles, les joueurs.
En m’immisçant dans leur cocon respectif, j’ai découvert une autre réalité à double versant. D’une part, ces familles ont signé depuis le départ de leur ouaille vers l’âge de 12 ans, un accord tacite qui a fait passer leur rôle au second plan ; derrière les préceptes divins des coachs, des préparateurs physiques et des nutritionnistes. Un prix fort à payer. Mais j’ai aussi réalisé à quel point leur apport, même « secondaire », était essentiel dans l’équilibre des joueurs. Une manière de ramener ces adolescents qui ont plongé trop vite dans une vie professionnelle vers un quotidien plus normalisé. Du côté de Tom, j’ai vu le soutien indéfectible d’une mère dont le patronyme illustre parfaitement la qualité première de cette famille ayant connu la tragédie. Une femme investie au point de parfaire son approche dans la vie sportive de son fils en échangeant avec son préparateur mental. Un secret familial de polichinelle d’après elle. Quant à la famille de Martin, j’y ai rencontré un père, une mère et des sœurs qui, malgré une connaissance moindre du milieu, ont misé sur leurs qualités humaines pour aider leur fils, leur frère, le plus souvent possible à garder les pieds sur terre.
Et puis il y a l’autre famille. Celle des circuits. Celle des joueurs français. Celle qui a mené Alexander Levy a faire la courte échelle, par ses mots, à un Martin Couvra empli de doutes dans la dernière ligne droite de la saison. Celle aussi qui a réuni Julien Guerrier et Tom Vaillant pour aider ce dernier à se remotiver au Japon. J’ai bien essayé de connaître la teneur de ces discussions, mais elle restera de l’ordre du privé - là est d’ailleurs une parfaite illustration de ce qu’étaient mes relations avec ce trio. Si les deux jeunes hommes m’avaient ouvert les portes de leur intimité, tout n’était pas toujours accessible et il fallait savoir le respecter.
La situation finale : la gratitude
C’est donc à travers ces déconvenues, ces mythes brisés et ces moments de vie professionnels et personnels que j’ai tiré un dernier constat sur Tom et Martin : ils ont vite grandi. Un bilan qui frôle l’enfoncement de porte ouverte mais qui est bien vite oublié par l’ensemble de ceux qui peuvent les suivre. Devant de nombreux observateurs qui ont parfois le jugement hâtif, ces deux chefs d’entreprise ont su mener à bien leur petit commerce pour accomplir leurs objectifs. Les voilà donc tous les deux sur le DP World Tour pour 2025. Il aurait été possible de continuer à les suivre. Mais il fallait aussi les laisser évoluer avec une perturbation de moins. Alors après ces quatre épisodes marquants, iI ne me reste plus qu’à les remercier.
Messieurs, merci. J’ai adoré vous suivre, j’ai serré le poing avec vous, j’ai vibré, j’ai même fait de ma femme - non golfeuse - votre première fan. J’ai bien rigolé également, probablement autant que j’en ai eu ras-le-bol. Mine de rien, il faut vous supporter (qui aime bien, châtie bien...) ! Bien souvent, l’espèce de bipède dont vous faites partie est difficilement apprivoisable ; la faute à une humeur régulièrement en symbiose avec les résultats pondus du jeudi au dimanche. Mais à l’image de votre sport, il suffit d’un moment de grande béatitude pour effacer les accrocs. Alors je retiendrai longtemps ces balles tapées au coucher du soleil à Dubaï, cette raclette chaleureuse à Cannes, ce premier top 10 au Japon, l’orgie de viande qui a suivi, les projets de week-end à Sanary, les parties de Mario Kart, les recettes de cannelloni, ce drone presque perdu, cette confiance accordée pour parler de sujets pas toujours simples et surtout… cette interview légendaire des Mondiaux 2022 qui restera à jamais notre premier trésor. Je vous souhaite à tous les deux le meilleur et que celui-ci arrive vite pour, pourquoi pas, vous retrouver dans une nouvelle cour, un peu plus grande encore.