Phénomène désormais récurrent dans l'Hexagone, la sécheresse impacte durement le Golf du Gouverneur, qui reçoit actuellement le Championnat de France des Jeunes. Son greenkeeper en chef explique les contraintes imposées par le phénomène, et les moyens à sa disposition pour y faire face.
Quelles contraintes le phénomène de sécheresse impose-t-il à un golf ?
D'abord, il faut savoir que la Fédération française de golf a signé une charte concernant l'usage de l'eau en 2010 (la charte actuellement en vigueur, qui fait suite à la première signée en 2006, ndlr), quand il a commencé à y avoir des problèmes de manque d'eau sur le territoire français. Cette charte dicte des conduites aux golfs avec des paliers qui vont crescendo en fonction des alertes émises par les préfectures. On doit limiter les quantités d'eau mises sur les gazons au fur et à mesure que les restrictions augmentent. Ici au golf du Gouverneur, on est en alerte renforcée depuis le 22 juillet, ce qui veut dire qu'on n'a pas le droit d'arroser les fairways. La seule dérogation possible, c'est quand on peut faire valoir que l'eau qu'on pompe provient d'un bassin creusé spécifiquement à cet usage-là, et qui se remplit uniquement par le ruissellement des eaux de pluie. On n'a pas le droit de prélever dans le milieu naturel, que ce soient les fossés, les étangs ou les forages. Ici, on a creusé de tels bassins il y a cinq ans, sauf que cette année on a eu un printemps très sec : il est tombé 70 mm d'eau en quatre mois – 4 mm en mai –, ce qui est extrêmement peu. Et les réserves fondent comme neige au soleil... On a 4,5 hectares de bassins sur 2 m de profondeur, donc environ 90 000 m³. Théoriquement ça nous suffit pour l'année, mais comme l'hiver a été sec et le printemps très sec, on n'a jamais réussi à reconstituer les réserves optimales pour arroser correctement nos parcours. On gère donc au jour le jour : on a arrêté les fairways hier (le 26 juillet, ndlr) et on n'arrose plus que les départs, les greens et les avant-greens et mettant le minimum vital pour les gazons.
D'un point de vue réglementaire, de qui émanent les restrictions sur l'usage de l'eau ?
De la préfecture. Tous les mois, elle envoie des bulletins d'alerte. Il y a deux grands axes d'arrêtés préfectoraux : ceux qui concernent les eaux superficielles – étangs, lacs, rivières – et ceux qui concernent les eaux souterraines, autrement dit les forages dans les nappes. Ici, ça fait déjà cinq ans que les nappes n'arrivent pas à se reconstituer l'hiver, et les restrictions sont donc ultra-draconiennes depuis. Pour aller plus loin dans le détail, les départements sont divisés par l'agence de l'eau (il en existe six en France, ndlr) en bassins versants, qui sont déterminés par la façon dont l'eau converge vers les points bas en fonction des reliefs. Ici, on est dans celui de Dombes-Certines, qui est très impacté depuis cinq ans par le manque d'eau. Cette année ils ont subdivisé en deux ce bassin : au Nord jusqu'au 13 juillet ils avaient le droit d'utiliser les eaux souterraines, alors que nous, au Sud, on n'avait déjà plus le droit.
Quel est l'impact de la sécheresse sur un parcours de golf ?
Avant toute chose, il faut savoir qu'on aura toujours le droit d'arroser les greens, car si ce n'était pas le cas ça ferait disparaître toute l'activité commerciale des golfs. La problématique du manque d'eau sur les fairways et les départs se voit d'abord sur l'esthétique, qui change beaucoup. Ensuite, ça va nous imposer à l'automne de lourds travaux de décompactage, sablage, regarnissage et fertilisation. Pour reconstituer les réserves du sol, il faut qu'on arrive à créer des espaces dans lesquels l'eau va pouvoir se positionner et être disponible pour le gazon, donc ça veut dire du décompactage avec de gros engins qui aèrent la terre à la façon d'une bêche, à 30 cm de profondeur. Sans être devin, je pense que ça va être notre croix à porter dans les prochaines décennies : pour pallier ce manque d'eau récurrent, il va falloir augmenter ce type de travaux sur les fairways et les départs.
Quelles sont les solutions à la disposition des greenkeepers pour minimiser a priori les effets de la sécheresse ?
Principalement la mise en place de graminées plus résistantes au manque d'eau. C'est le cheval de bataille de l'ensemble des golfs aujourd'hui : trouver les graminées adaptées et inverser la flore sur ces surfaces. On a déjà des pistes, bien sûr, il suffit de regarder ce que font les golfs dans les pays plus chauds tels que la Turquie ou le Maroc. Ça fait des années qu'ils regarnissent avec du bermuda, qui résiste très bien à la sécheresse, mais a l'inconvénient de devenir tout jaune en hiver. Eux ils compensent cet effet jaune avec des ray-grass en hiver, qui germent en 48 heures et couvrent le sol très vite. Ils font donc une alternance entre ces deux graminées. Nous, on n'en est pas encore là, mais on peut imaginer qu'on y sera dans 30 ans. Pour l'instant on s'oriente sur des fétuques américaines, adaptées au climat qui change dans la région. À la base, on est plutôt sur des pâturins et des ray-grass, mais on a entamé de façon récurrente l'introduction de nouvelles graminées.
Qu'est-ce que cette inversion de flore représente en termes de travail ?
Soit on a les moyens de fermer complètement un parcours pendant quatre mois, et là on procède à des opérations de scalpage de la surface, de travail de sol superficiel et de semis ; soit on le fait progressivement. C'est ce qu'on a choisi ici, mais aujourd'hui je ne suis plus sûr que ce soit la meilleure méthode car ça demande beaucoup de temps.
Au niveau du jeu, pensez-vous que les parcours jaunes et secs vont devenir la norme en France ?
Je pense, oui. Quand on voit ce qui s'est passé au British Open cette année, ça paraît inévitable. Cela dit, l'exemple de St Andrews nous est d'une grande aide pour le faire comprendre à nos golfeurs. Mais la façon de jouer est très différente et il va falloir que les golfeurs s'adaptent. Nos seniors adorent retrouver leur balle sur un beau fairway, portée par un joli gazon bien humide, mais l'avenir va clairement être de taper la balle sur des zones plus sèches et plus dures, donc ça va sans doute amener des changements dans la façon de jouer au golf. Au-delà de ça, il y a un gros travail de communication à faire pour faire comprendre aux gens que ce changement est inéluctable. En France, ce n'est plus possible d'arroser comme on le faisait il y a 20 ans, c'est fini.
Ce phénomène de sécheresse est-il observable depuis longtemps ?
Depuis une dizaine d'années, on constate que le changement climatique s'accélère. Le vent qu'on a aujourd'hui par exemple, on n'en avait jamais il y a vingt ans. Ce vent du Sud est aussi un facteur aggravant de la sécheresse, car il fait beaucoup de mal à la végétation. On avait planté des bouleaux il y a une trentaine d'années, et ils sont en train de mourir l'un après l'autre, donc on voit bien que cette essence n'est plus du tout adaptée au climat actuel de la région, et qu'il va falloir en trouver d'autres.
De quelle origine proviennent les ressources en eau utilisées par les golfs ?
Il y a encore certains golfs (moins de 10 %) qui utilisent les réseaux d'eau potable pour l'arrosage, mais ça devient problématique. On ne peut plus demander aux citoyens de ne pas laver leur voiture ni remplir leur piscine alors qu'on continue à arroser les golfs ; ce n'est plus tenable en termes de discours. Les golfs qui consomment de l'eau potable ont déjà commencé à réfléchir pour trouver d'autres solutions, notamment le creusement de réservoirs. Autrement, ce sont les eaux de pluie et les pompages dans la nappe, mais ces derniers sont aussi voués à être interdits à terme. Avant d'arriver à l'inévitable, il va donc falloir penser à stocker de l'eau en surface.
Ces problématiques ont-elles beaucoup fait évoluer le métier d'intendant de parcours ?
La profession est en train de prendre deux grands virages depuis quelques années : celui lié à la gestion de l'eau, et à l'interdiction des phytosanitaires qui s'étendra à toutes les surfaces de jeu en 2025 et concerne déjà les roughs depuis le 1er juillet. On a installé cet hiver sur le parcours du Breuil un nouveau système d'irrigation qui nous permet d'être beaucoup plus performants dans l'arrosage, et d'économiser de grandes quantités d'eau. La majorité des golfs sont sur des systèmes d'irrigation qui ont une trentaine d'années, donc ils vont tous devoir se mettre à jour. Ça demande un gros investissement de départ mais ça permet d'économiser 30 à 40 % d'eau sur un golf, donc ce n'est pas négligeable. Et l'agence de l'eau subventionne ces projets de renouvellement des systèmes d'irrigation qui permettent de se projeter sur plusieurs décennies. Tout cela donne de gros challenges aux greenkeepers, ça amène un peu de piment au métier, ça oblige à réfléchir un peu plus. Aujourd'hui il faut prendre les choses dans leur globalité, analyser les causes et trouver les solutions adaptées. Ça nous oblige à ne pas être dans le systématisme et plus dans l'anticipation. On devient de vrais ingénieurs agronomes, et c'est franchement intéressant. C'est enfin un beau challenge pour les générations de greenkeepers à venir.