Chaque jour, la rédaction de la ffgolf vous présente le coup de cœur de l’un de ses membres. Aujourd’hui, la victoire de Victor Perez à l’Abu Dhabi HSBC Championship, par William Lecoq.
« Messieurs dames, si vous voulez bien m’excuser, le devoir m’appelle. » Il est bientôt 13 heures ce clair dimanche de janvier, et ceux qui me tiennent compagnie sentent bien que ma chaise me brûle. Sentiment renforcé à chaque coup d’œil discret sur mon téléphone. Pourtant, quel confort, cette chaise ! Depuis presque deux heures, Nicolas, un ancien tireur d’élite dans les forces spéciales, invité par notre capitaine de l’équipe messieurs dont il est une connaissance, nous parle de préparation mentale. Dialogue intérieur, respiration, ancrage dans les pensées positives, capacité à connaître voire modifier sa météo interne… tout ça dans le but, peut-être, de mieux jouer au golf à l’avenir. Passionnant. Absolument passionnant. Si seulement la mise en application par le joueur avait été à la même hauteur. Mais c’est un autre sujet.
Revenons plutôt à ce dimanche midi de janvier. Car pendant que je tentais de sonder ma météo intérieure, dehors, au loin, sous le soleil des Émirats, Victor Perez faisait gronder l’orage. Le n° 1 français s’est élancé dans le dernier tour de l’Abu Dhabi HSBC Championship dans le peloton de tête. Dans son viseur, la perspective d’une troisième victoire en carrière sur le DP World Tour, mais cette fois en passant au calibre du dessus : les Rolex Series. Aucun Français ne s’est jamais imposé dans ces tournois phares du circuit européen.
Vaincre la malédiction du foot
Et si le jour était venu ? Si, enfin, le nom d’un joueur tricolore apparaissait sur le leaderboard de tous les Rolex Series avec cette petite étoile dorée ? Car en parlant d’étoile, j’ai personnellement une revanche mâtinée de superstition à prendre : exactement un mois auparavant, j’étais dans ce même club-house du Golf des Sables d’Or (désormais Golf de Fréhel), à regarder sur ce même écran de télévision la bande à Didier Deschamps passer à deux doigts de broder la troisième étoile au-dessus du coq. Pire encore : en 2006, lorsque la deuxième étoile était passée à deux doigts de Gigi Buffon, j’étais dans ce même Golf des Sables d’Or, certes dans l’historique club-house détruit depuis.
Deux choses sont certaines. Premièrement, le jour où l’équipe de France masculine de football retourne en finale de la Coupe du monde, vous savez où ne pas me trouver. Et deuxièmement, pour revenir à l’histoire de ce dimanche midi de janvier, je n’ai plus d’autre choix que de planter mes camarades de préparation mentale et de remonter dans la salle principale du club-house, celle où une télévision permettait à tous les joueurs d’avoir une fenêtre donnant sur la planète golf. Victor Perez venait alors de faire birdie au 15, il était seul en tête, et ça commençait à chauffer sérieusement.
L’ordinateur ouvert et branché, je me retrouve prêt à dégainer pour vous tenir informés, chers lecteurs fidèles de nos actualités, sitôt le dernier putt rentré. Déjà, je mets de côté le tweet avec vidéo intégrée du DP World Tour, montrant son birdie du 15 sur un solide putt rentré, dont je me dis qu’il peut devenir le coup-clé qui scelle le tournoi. Comme vous le savez sans doute, cette opinion a vite dû être reconsidérée.
Au délicat par 3 du 17, la balle du Tarbais termine sa course dans un bunker, court du green. Aïe. Le bogey n’est vraiment pas conseillé, autant dire que Victor Perez va jouer cette sortie avec une pression quasi maximale. Nicolas n’est remonté de la séance en compagnie de mes camarades que quelques minutes plus tard, mais s’il avait été là, il aurait sans doute commenté dans le style : « Mais pourquoi formuler tout ça dans le négatif ? Quand c’est comme ça, tu dois l’aborder dans le positif, sinon ton cerveau ne fera pas la différence. Tu dois penser que tu vas essayer de la rentrer. »
Il fait peu de doute que Victor Perez a déjà reçu, dans sa préparation mentale, des indications de ce genre. Toujours est-il qu’il s’installe devant sa balle, swingue avec une belle accélération, sa balle s’élève, passe par-dessus le drapeau, puis se met à reculer sous l’effet rétro. Entre l’instant de l’atterrissage de la balle et sa disparition dans le trou (pour les besoins de cet article, je me suis amusé à mesurer cette durée : 2,23 secondes), sans doute que les mêmes pensées fugaces nous ont tous traversés : « Oh non elle est longue ; Oh oui elle revient ; Oh elle est parfaite ; Oh mais elle peut rentrer ! Allez vas-y, boîte !!! »
La balle rentre, et je pousse un hurlement comparable à celui qui avait accompagné, un mois plus tôt, l’égalisation de Kylian Mbappé. Puis je me prends la tête à deux mains, n’en revenant pas de ce qui vient de se passer. Pendant que je me rassieds (car sans m’en rendre compte, j’avais bondi de ma chaise), le Suédois Sebastian Söderberg vient sportivement, et avec le sourire, taper dans la main du Français. Histoire de rappeler qu’il n’y a pas jeu sans esprit du jeu.
Cette fois, mes camarades en ont terminé en bas, et leur première préoccupation, une fois dans la grande salle, est de savoir ce qui a bien pu m’arracher ce hurlement, qui a traversé les murs sans peine. Je leur fais le topo, sur le ton de celui qui pense le tournoi plié. Deux coups d’avance, un trou à jouer, et une dynamique d’enfer après le coup de tonnerre du 17, que voulez-vous qu’il arrive ?
Pourtant, du coin de l’œil, Nicolas, totalement béotien des choses du golf, s’est rendu compte que tout n’allait pas. « Il est sorti de son état émotionnel », alerte-t-il. Langage corporel ? Respiration ? Dialogue avec son caddie James Erkenbeck ? Quels que soient les signaux qui ont fait tiquer l’ancien des forces spéciales, ils trouvent vite, à notre grande stupeur, leur confirmation : une mise en jeu dans le bunker sur le dernier par 5, puis une sortie loupée qui file dans l’eau. Nos visages se ferment, mais prenant une nouvelle fois notre contre-pied, Nicolas rassure : « Là il vient de prendre un temps pour respirer. Et vous voyez : il fait une respiration relaxante, avec deux temps d’inspiration, et quatre temps d’expiration ». Soit exactement ce dont il nous avait parlé toute la matinée.
Et la météo intérieure de Victor Perez voit son embellie traduite sur le terrain : un recentrage après son drop, une balle posée gentiment sur le green, et deux putts pour faire "seulement" bogey. Plus personne ne le touchera, Perez tient son étoile.
Si cette victoire me vaut ce coup de cœur, ce n’est pas seulement par son ampleur, tant pour le Tarbais, qui s’est ouvert grâce à elle les portes du PGA Tour, que pour l’ensemble du golf français. C’est également parce que le contexte dans lequel je l’ai vécue m’a permis de toucher du doigt cet aspect si peu palpable pour nous, suiveurs passionnés et joueurs amateurs : le niveau de préparation mentale des joueurs et des joueuses à haut niveau, le sérieux et le professionnalisme mis dans cet aspect de la performance. Et puis, cela aide à ne pas immédiatement crier à l’angélisme dès lors qu’un champion, en réaction après une partie décevante, tient à en tirer des aspects et des enseignements positifs. Car ce sont, peut-être, les premières pierres de performance futures.