Pièce par pièce, Matthieu Pavon a construit depuis son passage professionnel son propre système, qui l’a amené à être l’un des joueurs les plus en forme des quatre derniers mois. Organisé, consciencieux, il touche la récompense d'un chantier démarré il y a cinq ans, qui laisse penser que sa progression est loin d’être achevée.
Avant d’être « le premier Français depuis Arnaud Massy » pour les plus hâtifs, « le troisième après Massy et Louis Tellier » pour les puristes ou encore « le Français, là, qui a gagné aux États-Unis » pour les moins connaisseurs, Matthieu Pavon a été « Monsieur 4 euros. » Il faut remonter à 2015 pour voir le Bordelais se retourner à l’évocation de ce surnom. C’est son coach fédéral de l’époque, Benoît Ducoulombier, qui lui attribue ce sobriquet quelques jours après la finale de l’Alps Tour de la même année. À cette date, le jeune homme a 23 ans. Il est à la conclusion de sa seconde saison sur le circuit de troisième division européenne et, avec une 5e place provisoire à l’ordre du mérite, aborde le dernier tournoi avec l’ambition de faire partie des cinq joueurs promus sur le Challenge Tour. Un objectif qu’il manque finalement pour une place et 4,30 points, soit 4,30 euros à une époque où les gains pécuniaires étaient équivalents aux points glanés au classement. « Ça a été un énorme coup derrière la tête pour lui », raconte Julien Quesne, son ami et mentor. « Il a fallu le faire rebondir, commente de son côté Ducoulombier. On a tourné ça en dérision et lui est passé à autre chose. »
Se renforce alors une volonté revancharde. Associée à des notions de travail et de détermination déjà ancrées par une famille de sportifs de haut niveau - un père footballeur aux Girondins, une mère golfeuse en équipe de France puis enseignante, un frère diplômé en STAPS - Matthieu Pavon s’investit davantage sous la tutelle du coach. Pourtant, sa présence auprès du « Druide » n’avait d’abord pas lieu d’être aux yeux de la ffgolf. « Car il était hors des clous », justifie le technicien en référence à une carrière amateur trop en retrait des attentes fédérales. Mais sa progression rapide et sa qualification pour le Challenge Tour via la finale des Cartes, un mois après sa déconvenue, poussent l’instance à changer de position. Pavon intègre dès lors une masse d’élèves de renom composée des Havret, Quesne, Langasque et autres Rozner. « Julien et moi le côtoyions presque tous les jours au Golf du Médoc. Au début, on le battait souvent, au fur et à mesure c’est devenu de moins en moins, et puis là, c'est quasiment jamais », s’amuse Grégory Havret.
Lentement mais sûrement
Une courte année suffira au Toulousain de naissance pour accéder à l’élite européenne. La récompense d’un travail qui n’a rien laissé au hasard. « Depuis son passage pro, il se met des dates butoirs pour tout. Ce qui fait qu’il a des objectifs assez clairs à chaque fois. Pour la montée sur le Tour européen, il s’était laissé cinq ans, par exemple », détaille Julien Quesne. Et pour atteindre ses fins, l’athlète ne lésine pas sur les moyens. « C’est un bosseur, un volontaire, un hargneux », enchaîne-t-il. « Mais ça n’a pas toujours été simple, mesure son ancien coach. Il était très déterminé dans des principes, avait une conception de son jeu et ne voulait pas en démordre. » Car Pavon est un structuré. Il a défini un projet pour accéder au rêve dont il parle depuis toujours - le PGA Tour - et il s’y tient. Mais le jeune joueur déterminé est aussi à l’écoute. Il intègre les conseils du Druide et ceux de ses partenaires d’entraînement à force de les côtoyer quotidiennement. Malgré trois premières années saccadées, il progresse « pas toujours très vite, mais toujours vers l’avant », d’après Grégory Havret. Petit à petit, le système se met en place jusqu’à générer trois déclics lors des saisons qui suivent.
La madeleine de Pavon
Il faut s’intéresser au sac du tatoué pour trouver le premier. De son propre aveu, son affinité avec les putters de l’équipementier Ping ne s’est pas faite au premier regard, encore moins au premier toucher. Mais on le sait désormais, le Bordelais est un déterminé. Et en matière de putter aussi, il sait ce qu’il lui faut pour que sa mécanique soit optimisée : « Un shaft centré et une tête composée de traits d’alignement afin qu’ils coïncident avec celui de ma balle », expliquait-il au micro de Journal du Golf lors de l’Open de France 2022. Dans cette quête matérielle, son attention se porte principalement sur des putters maillets. Pourtant, à l’orée de l'automne 2023, le Bordelais ressort une relique qui n’avait plus vu les circuits depuis longtemps : une lame à tête large Ping Cadence TR Tomcat C de 2015.
Un don de son mentor et membre du Tour européen d’alors, Julien Quesne, dont Pavon avait profité sur le Challenge Tour. « PING essaie de lui faire changer car il n’est même plus commercialisé, sourit son ancien propriétaire. C’est le putter le plus horrible du monde, le grip est usé jusqu’à la moelle. » À tel point que la marque supposée du manche qu’est Super Stroke ne laisse plus apparaître sur son cuir qu’un « uper Stro » après huit années d’existence. Malgré les traces du temps, l’outil réintègre le sac à la fin du mois de septembre. Et avec, les mains du joueur renouent avec les sensations. Il ne pouvait pas y croquer, mais Pavon avait trouvé là sa madeleine de Proust ! L’engin fait alors ses premières preuves en tournoi officiel lors d’une 2e place à l’Open d’Arcachon, avant de redécouvrir le DP World Tour et de participer à une 6e place lors de l’Alfred Dunhill Links Championship mais, surtout, au Graal d’une première victoire dans l’élite, une semaine plus tard en Espagne…
Un staff calibré pour la cour des très grands
La réussite du joueur sur les greens d’Europe n’est pas uniquement la résultante d’une nouvelle arme. Elle est aussi le fruit du choix réfléchi de nouveaux compagnons de route. Début octobre, le bizut de sa bande se dénomme Mark Sherwood ; un caddie britannique, capé en Ryder Cup, passé au sac de Thomas Bjørn, Ross Fisher ou encore Jamie Donaldson, qui vient remplacer la collaboration que le Français entretenait avec son compatriote Sébastien Clément depuis un an. « Je sentais que j’avais besoin d’une figure plus autoritaire sur mon sac, j’avais besoin de quelqu’un de plus ferme », nous racontait l’intéressé après sa victoire à l’Acciona Open de España. Depuis sa nouvelle association, le binôme n’a connu aucune déroute : un top 15, deux top 10, un top 5 et une victoire lors des six derniers tournois de la saison 2023, suivis de la période dorée qu’on lui connaît depuis son arrivée en Amérique.
Cette nouvelle collaboration s’inscrit dans un renouveau démarré cinq ans plus tôt. Pour sa troisième saison sur le tour européen en 2019, Matthieu Pavon apparaît en Arabie saoudite, semaine de non-villégiature pour les joueurs du circuit à l’occasion du feu Saudi International, avec un nouveau coach à ses côtés : Jamie Gough. Le Sud-Africain est un entraîneur émérite du circuit et connu en France pour avoir accompagné un temps Grégory Havret. Deux ans et demi plus tard, le coach suédois de putting Jon Karlsen fait son apparition. Puis le préparateur physique de Victor Perez, Ben Shear, et plus récemment le coach mental, Mathieu David. « Il a investi beaucoup d'argent dans son staff pour s’entourer de personnes très compétentes. Depuis, il joue très bien mais, là, son potentiel est arrivé à maturité », analyse Julien Quesne. « Il faut rappeler que c’est le joueur qui fait la différence, insiste son ancien entraîneur Benoît Ducoulombier pour honorer les capacités du sportif. Vous pouvez être coach du n° 1 mondial, si on vous met quelqu’un qui n’a rien dans le ventre, il ne deviendra jamais n° 1. »
Fort d’une victoire qui « a débloqué quelque chose chez lui » d’après son compagnon des routes amateurs, Ugo Coussaud, le rookie du circuit américain a rapidement éclipsé ce statut par un nouveau succès, que l’on n’attendait pas aussi tôt. Une explication qui tient pour la majorité de son entourage dans sa nature humaine. Car Pavon marche à l’émotion. Capable de pleurer sur la terrasse du Golf National à l’Open de France 2018 après avoir manqué le cut de dix coups ou de chérir aux larmes la symbolique d’une victoire sur les terres ibériques de son grand-père paternel, le Bordelais compose avec ses états d’âme. Et le fait de traverser l’Atlantique pour une nouvelle carrière a véhiculé un autre sentiment qu’est le plaisir. « Il adore les États-Unis, le mode de vie, la mentalité… ça ne lui a jamais fait peur de vivre seul là-bas », raconte l’un de ses meilleurs amis, Romain Langasque. À l’aise avec son environnement, confiant avec son équipe, soutenu depuis toujours par sa famille, Matthieu Pavon semble donc avoir assemblé les rouages pour que son système fonctionne le mieux possible.
Une organisation qui le place aujourd’hui en sujet principal de nombreuses titrailles des médias sportifs autant que généralistes. Loin des standards, en rupture avec l’idée que le potentiel amateur définit celui du professionnel, le premier Français à l’emporter sur le circuit américain depuis fort longtemps a attiré l’attention de tous, même ceux qui ne lui accordaient pas il y a dix ans de cela. Une éclosion tardive diront certains, le simple fruit du travail estimeront d’autres. « C'est un mec qui a juste compris que le monde professionnel n’a rien à voir avec le monde amateur », simplifie Ugo Coussaud avant que Benoît Ducoulombier ne trouve la maxime sans doute la plus adéquate à l’évolution de Monsieur 4 euros : « Dans le sport, on atteint généralement le niveau de nos rêves, et ce garçon-là rêve grand. »