À 41 ans, le frère aîné de Mike Lorenzo Vera est l'un des entraîneurs français les plus en vue du moment. Coach de pas moins de quatorze pros ou aspirants pro, dont le n° 3 tricolore Benjamin Hébert, il revient sur son parcours et livre sa vision de l'enseignement dans cet entretien-fleuve.

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© Alexis Orloff - ffgolf

Comment le golf est-il entré dans la famille ?
Par hasard ! Au Pays basque, on pratique beaucoup les sports de balle – rugby, pelote, tennis, etc. –, c'est une région qui encourage les activités de plein air. Un jour, ma mère a offert à mon père un stage de golf, et comme il n'avait pas le temps d'y aller puisqu'il travaillait, il me l'a donné. J'y suis allé, je devais avoir 11 ou 12 ans, pour faire ce stage débutant classique avec Franck Arribe à Ilbarritz. Ça m'a bien plu, donc je me suis inscrit à l'école de golf en plus du rugby, du tennis, de l'athlétisme, du surf et du skate que je pratiquais déjà. À cette époque, j'avais une activité différente par jour ! Le golf m'a plu, ce qui fait que je suis descendu assez rapidement, vers l'âge de 13 ans, à 24 d'index. Après cela j'ai arrêté pourtant, car je trouvais le golf trop contraignant et chronophage, et surtout parce que je préférais l'aspect collectif du rugby que je pratiquais au Biarritz Olympique. À 13 ans je n'avais pas envie de penser à des objectifs, des statistiques, donc j'ai rangé les clubs. En parallèle, mon frère a commencé à jouer : Mike a sept ans de moins que moi, donc il devait avoir 6 ans. Voilà comment le golf est rentré dans la famille. J'y suis retourné par la suite, après m'être un peu blessé au rugby

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Jean Lamaison, au côté de Mike Lorenzo Vera, en 2009 © Alexis Orloff / ffgolf

Quand avez-vous envisagé faire du golf votre métier ?
Je ne savais pas trop ce que je voulais faire comme métier, mais j'étais déjà fixé sur le sport. En fait, j'étais fixé sur le domaine où j'étais au plus facile. Quand j'ai redécouvert le golf avec Jean Lamaison, vers 1995 ou 96, j'ai été piqué tout de suite, mordu complet ! Je ne sais pas pourquoi... Je suis passé à 0 d'index en deux ans et demi. Dès que je pouvais, j'étais au golf. Une fois que je me suis rendu compte de comment ça marchait, le golf est devenu relativement facile pour moi, donc je suis passé pro. J'ai adopté une hygiène de vie drastique, avec zéro alcool pendant trois ans et du sport tous les jours. Le seul problème, c'est que je manquais d'expérience de la compétition. Je me suis vite rendu compte, quand j'étais dans les groupes France avec Benoît Ducoulombier, que j'adorais le voir coacher, et je me suis mis à faire un peu pareil. Deux ans après être passé pro, j'ai arrêté. Ce n'était pas mon truc, je n'étais pas vraiment à l'aise dans ce milieu, et surtout j'étais un peu trop intéressé par la manière dont Benoît racontait les histoires. Ça m'a vraiment donné envie d'aider mes potes. Dans le groupe, j'avais plus envie d'aider les potes au practice que de m'entraîner moi-même : moi j'avais compris, mais je n'étais pas capable de m'y tenir en compétition car je n'étais pas assez fort mentalement, je pense.

Pourquoi le discours de Benoît Ducoulombier vous a-t-il marqué ?
Il avait une façon de montrer que les choses étaient faciles, qu'on n'avait pas besoin de se compliquer la vie pour produire des résultats intéressants. Au-delà de la technique, qui est certainement l'aspect le plus simple dans le golf, c'est la dimension humaine de l'enseignement qui m'a donné envie de faire ce métier d'enseignant. J'ai aussi côtoyé Patrick Talon, qui avait une autre approche, beaucoup plus pondérée, calme, mais tout aussi efficace. Donc j'ai vu très vite qu'il y avait plusieurs manières de coacher, mais c'est celle de Benoît qui m'a le plus marqué, parce que sans parler de technique il arrivait à t'amener à des résultats. J'ai arrêté le circuit car j'ai perdu un sponsor, mais c'est normal puisque j'étais nul ; je n'ai pas eu de résultats remarquables, donc à un moment, quand tu as 20, 21 ans, il faut se décider à faire les choses. Et c'est là que je me suis tourné vers l'enseignement. J'ai commencé à passer mon diplôme.

Qu'avez-vous retenu de votre formation théorique ?
Dans le tronc commun que j'ai passé au Creps de Montry, pas loin de Disneyland Paris, j'ai rencontré des gens formidables. On avait par exemple une professeure d'anatomie et de physiologie très stricte, très rigoureuse, dont l'enseignement ne se limitait pas aux seules connaissances théoriques, mais au contraire nous inculquait la compréhension du fonctionnement du corps humain. Ça devait être vers 2002 ou 2003, à une époque où on ne parlait que très peu de biomécanique dans le golf. Ce cursus généraliste d'éducateur sportif m'a passionné, et m'a permis de comprendre comment marche le corps humain. Je suis ensuite entré en formation sur le terrain avec Roger Giraud à Saint-Cloud, où ça s'est moyennement passé parce que je n'étais pas très assidu d'une part, et parce que je n'aimais pas trop la manière de faire, très empirique, de l'autre. J'ai donc fini de passer mon diplôme à Montpellier avec Patrice Amadieu et Rémy Dinh-Phung, qui m'a dit cette phrase qui m'a marqué : « La pédagogie, c'est l'art de transmettre le message. » Ça m'a plu, ça m'a parlé, et j'ai commencé à comprendre ce que je voulais faire. Une fois que j'ai fini par comprendre la pédagogie, la méthode, j'ai décidé de devenir un anti-méthodique avoué. Donc d'essayer de connaître et comprendre le maximum de méthodes pour pouvoir répondre aux problématiques des joueurs avec l'une ou l'autre, ou en les mélangeant, et cela avec un discours toujours le plus simple possible. C'est comme ça que j'essaie de faire.

En voyant autour de moi au practice Lee Westwood, Ian Poulter, que des mecs comme ça, je me suis dit : « Qu'est-ce que je fous là ? Qu'est-ce que je vais dire à Mike I

A l'Open d'Espagne en 2008, lors de son premier tournoi.

Vous sentiez-vous prêt à être entraîneur de golf dès l'obtention du diplôme ?
Je considère que je suis au début de ma carrière, et que j'ai fait des études pendant dix ans. C'est-à-dire que j'ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables, sans professeur, livré à moi-même après avoir décroché mon diplôme à 22 ou 23 ans. À part ce que j'ai appris des mes différents entraîneurs, je ne connaissais rien, donc je faisais un peu le perroquet, forcément. En outre, à cette époque-là l'Internet n'était pas aussi développé qu'aujourd'hui, donc l'accès à l'information n'était pas le même, et beaucoup de connaissances se trouvaient seulement dans les bouquins. Mais comme la majorité des ouvrages dits d'enseignements ont été écrits pour faire de l'argent et non pour servir de manuel d'instruction aux futurs enseignants, il fallait passer beaucoup de temps à faire le tri... Donc pendant une dizaine d'années, j'ai tâtonné, j'ai commis à peu près toutes les erreurs majeures sur les différents types d'élèves, du débutant au joueur confirmé. Petit à petit, j'ai fini par avoir les idées plus claires, et à créer mon style de coaching – de façon tout à fait inconsciente – en rassemblant des éléments qui me plaisaient, qui me correspondaient. Je dirais que c'est la partie la plus facile, car le plus difficile c'est d'être bien dans ses baskets pour faire en sorte que les élèves soient à leur tour bien dans leurs baskets.

Par quel biais avez-vous remis les pieds dans le milieu professionnel ?
J'avais un frère qui jouait bien au moment où je passais mon diplôme, donc je ne partais pas avec les mêmes chances que tout le monde. Je l'ai accompagné en tant que second coach, en relais de Jean Lamaison, au début de sa carrière, donc je me suis retrouvé un peu parachuté dans le monde professionnel. Je me souviens de mon premier tournoi de l'European Tour, l'open d'Espagne à Séville en 2008. En voyant autour de moi au practice Lee Westwood, Ian Poulter, que des mecs comme ça, je me suis dit : « Qu'est-ce que je fous là ? Qu'est-ce que je vais dire à Mike ? Comment je vais m'en sortir ? » Mon ego me disait « c'est génial d'être là », et mon honnêteté répondait « je suis loin d'être au niveau »... Alors, comme je n'aime pas être bloqué, j'ai cherché des solutions pour avancer. Aujourd'hui je fais peut-être partie des coachs qui sont un peu « tendance », car j'ai quatorze pros sous contrat, mais ce n'est pas le fruit d'un projet. C'est arrivé un peu comme ça, parce que je n'aime pas travailler en club avec toutes les contraintes que ça suppose, et parce que j'ai pas mal bougé au fil des ans.

Moi, je ne sais rien : je ne suis qu'une boîte à outils, je suis juste là pour révéler le potentiel du joueur.

Où avez-vous donné des leçons ? Et où exercez-vous aujourd'hui ?
J'ai fait Nîmes Campagne, le Paris Country Club où on a monté la Masters Golf Academy, Sept Fontaines en Belgique, Longchamp, le Racing Club de France pendant trois ans jusqu'à l'été dernier, et aujourd'hui je partage mon temps entre le golf du Médoc, Moliets et Ilbarritz. Le Médoc m'accueille gracieusement – et je les en remercie – pour pouvoir entraîner mes joueurs professionnels ; à Moliets avec plusieurs intervenants on monte sur le site de l'ancien centre national d'entraînement un centre de performance, dans l'esprit ce qu'ils ont fait à Terre Blanche ; et c'est à Illbaritz que je fais la plupart de mes stages avec mes élèves amateur. Je n'en ai pas beaucoup, une quinzaine environ, mais ce sont des élèves fidèles, qui sont avec moi depuis pas mal d'années pour certains. Et même si le coaching de pros me prend beaucoup de temps, je garde ces élèves car j'aime toujours travailler avec des amateurs. Et comme je les ai sur des demi-journées ou des journées complètes, quand on se voit on la temps de bien bosser, en plus de passer un bon moment.

Pour en venir aux professionnels que vous entraînez, vous disiez en avoir quatorze sous contrat... Qui sont-ils, et que leur enseignez-vous ?
Je travaille avec Benjamin Hébert, Frédéric Lacroix, Gary Stal depuis peu, Jérôme Lando-Casanova depuis peu, Édouard Dubois, Édouard España, Léonard Bem, Nicolas Platret, Matthew Rion, Victor Trehet, Nelson Da Silva Ramos, Alexandra Bonetti, et enfin Hermès Ferchaud et Aubin Lacaze qui sont de jeunes amateurs. À mon sens, il y a deux ou trois choses qui sont essentielles, et je m'efforce de leur inculquer à tous. D'abord, le respect de l'architecture du club : je l'ai appris de tous les coachs que j'ai rencontrés. Ensuite, la redistribution de l'énergie, à savoir dégager un maximum de puissance en faisant le moins d'efforts possible. Enfin, la maîtrise de la « nine box », c'est-à-dire des neuf trajectoires possibles : la balle qui sort à gauche, celle qui sort au centre et celle qui sort à droite, chacune dans les trois hauteurs basse, moyenne et haute. Comme pour tout le monde, le contrôle de la trajectoire est essentiel. Au-delà de l'aspect technique, je veux que le joueur soit honnête, qu'il travaille pour réussir et non pour faire joli ou juste bien, et qu'il soit déterminé. Tu peux ne pas être pote avec ton joueur, mais il faut que dans la relation de travail il te donne beaucoup, et que toi tu lui donnes beaucoup. Car moi, je ne sais rien, je ne suis qu'une boîte à outils, je suis juste là pour révéler le potentiel.

L'évolution du métier d'entraîneur de golf vous amène-t-elle à intervenir auprès de vos joueurs sur le plan mental ?
Non, je n'ai pas la prétention de dire que j'interviens sur cet aspect. Comme tous les coachs j'ai des bases dans le domaine, mais pas plus. En revanche, je suis très vigilant sur la rigueur, l'honnêteté et le calme de manière générale. Mais le travail sur le mental est un vrai métier, donc je préfère qu'ils le fassent avec de vrais professionnels, comme pour le physique d'ailleurs. Pour prendre une analogie médicale, je suis un généraliste, et je préfère travailler avec des professionnels dans différents secteurs, centraliser les informations de chacun en équipe, et de là permettre au joueur d'atteindre son potentiel.

Je m'impose d'aller jouer de temps en temps avec mes joueurs. Je prends régulièrement des raclées, mais ça me permet de comprendre des choses.

Comment un coach continue-t-il à se former, à progresser ?
Déjà, je me remets parfois dans la peau de l'élève, car je m'impose d'aller jouer de temps en temps avec mes joueurs. Je prends régulièrement des raclées, mais ça me permet de comprendre des choses. Ensuite, vis-à-vis de la formation, j'ai la chance d'avoir les contacts de la plupart des grands coachs du moment, donc je peux facilement l'avis d'un Hugh Parr, Mike Walker, Justin Parsons, Phil Kenyon ou David Orr... Je peux envoyer directement ma question à ces très grands professionnels, qui entraînent les meilleurs golfeurs du monde, donc c'est une grande chance. De nos jours on a plus de facilité à accéder à une information non pas plus juste, mais plus directe. Il y a moins d'intermédiaires entre celui qui la dispense et celui qui la reçoit. Enfin, il y a la proximité avec des joueurs de très haut niveau, qui n'hésitent pas à partager ce qu'ils font avec leurs entraîneurs. Un coach est constamment en train de chercher des réponses, des solutions, parce qu'il a une obligation de résultat envers ses élèves. Le contrat peut s'arrêter parce que le jouer a décidé que son entraîneur n'était pas au niveau, donc ça met une certaine pression qui pousse à s'améliorer constamment. Et c'est à la maison qu'il faut réfléchir, pas devant le joueur !

Quelles sont les satisfactions que vous retirez du travail effectué avec vos joueurs ?
Je n'ai jamais eu de victoire sur le Tour européen avec un joueur, on est passés trois fois de peu à côté l'an dernier avec Benjamin Hébert, mais j'ai eu des succès sur les circuits inférieurs. Gagner est une grande satisfaction, évidemment, mais ce qui me fait vraiment chaud au cœur, c'est de voir un joueur vraiment progresser. Frédéric Lacroix par exemple : on a commencé au RCF dans une relation classique de professeur à élève, on est aujourd'hui sur un mode de fonctionnement coach-joueur, lui ayant muri jusqu'à devenir le patron. Il a les idées claires, il prend des décisions fermes, bref je sens qu'il sait ce qu'il fait et où il veut aller. C'est très valorisant, très gratifiant pour moi. Pareil pour Benjamin Hébert : je suis extrêmement fier de son parcours depuis qu'on a commencé à bosser ensemble à l'open de France 2018, et j'espère qu'il va aller encore plus haut car il en a vraiment le potentiel. Une fois qu'on a commencé à se connaître, à savoir comment se parler et comment travailler efficacement ensemble, les choses ont décollé. Il y a eu une vraie évolution dans son niveau de jeu parce qu'il l'a décidé, en livrant un énorme travail mental avec Meriem Salmi, physique avec Benjamin Añorga et technique avec moi. Il est devenu le patron, tout simplement. Le travail du coach n'est pas d'imposer une vision et une façon de faire à son joueur, c'est d'être suffisamment ferme pour le sortir de sa zone de confort, sans le cramer, afin qu'il progresse et réalise tout son potentiel.

On peut donc vous souhaiter une victoire sur le Tour dès 2020...
La plus grande victoire pour l'instant, ce serait déjà que le circuit reprenne ! Mais ça ne sent pas très bon pour que ça reparte en 2020, et la période génère beaucoup de doutes et de troubles chez les joueurs, c'est évident. Mais pour un coach, c'est presque une aubaine, dans le sens où on n'a jamais au cours de l'année trois ou quatre mois au cours desquels on peut vraiment bosser en profondeur, améliorer les choses, modifier un système pour rendre les joueurs plus forts. La période est très dure et très triste pour beaucoup de gens, pour l'économie, mais pour les golfeurs professionnels c'est le moment de faire évoluer les choses.


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