Pro sur les circuits de 1998 à 2012, Jean-François Lucquin est passé de l'autre côté de la barrière à l'issue d'une carrière auréolée d'une mémorable victoire en Suisse, en 2008, acquise en play-off face à un tout jeune Rory McIlroy. Désormais coach, entre autres, de Julien Guerrier sur le Tour européen, le Drômois de 41 ans s'attaque à un nouveau challenge : celui d'emmener l'équipe de France boys à un nouveau titre européen.

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© Alexis Orloff - ffgolf

Comment avez-vous découvert le golf ?
C'était en octobre 1990, à l'âge de douze ans, sur le petit 9 trous du golf des Chanalets dans la Drôme. Je viens du tennis, j'y ai beaucoup joué quand j'étais enfant, et le mari de ma sœur aînée, qui est prof de tennis, est aussi golfeur. À l'époque, un jour où mon cours à l'école de tennis avait été annulé, il m'avait proposé de l'accompagner au golf. J'aimais bien tous les sports, mais j'étais un peu sceptique quant au golf... J'y suis quand même allé, et j'ai touché la première balle qu'il m'a mise sur le tee, avec un fer 5 ! Ça m'a plu, et de fil en aiguille j'ai complètement arrêté le tennis et je me suis inscrit à l'école de golf. J'ai progressé régulièrement à partir de là : en 1994 j'ai gagné le championnat de France cadets, j'ai été plusieurs fois champion de la ligue Rhône-Alpes, j'ai ensuite été champion de France juniors en 1997, et je suis passé pro à la fin de cette année-là, à dix-huit ans seulement.

Qu'est-ce qui vous a motivé à prendre cette direction si jeune ?
Déjà, je n'étais pas un grand fan de l'école (rires). Je m'y ennuyais un peu, car tout ce que je voulais faire, c'était du sport. On est tous très sportifs dans la famille, donc je baignais dedans depuis tout petit, et à force de vibrer en voyant les sportifs à télé j'ai fini par me dire que ça serait énorme de pouvoir vivre moi aussi de ma passion. Donc j'ai tenté le coup dans le golf. Ma mère m'y a encouragé, et j'ai eu la chance d'être soutenu financièrement par le golf de la Valdaine à Montélimar, où j'étais licencié. Mon beau-frère, celui qui m'avait fait découvrir le golf, m'a caddeyé à mes débuts. Et peu de temps après être passé pro, j'ai rencontré Benoît Ducoulombier, qui m'a accompagné durant la plus grande partie de ma carrière.

En passant pro, sur quel circuit vous retrouvez-vous ?
À l'époque il n'y avait pas d'Alps Tour ou de Pro Golf Tour, donc je me suis retrouvé sur le circuit français. Ma première saison, en 1998, n'a pas été flamboyante, mais l'année suivante j'ai gagné les tournois de Moliets, Gujan-Mestras et l'Omnium national : j'ai fini aux cartes européennes, où malheureusement je n'ai pas attrapé la carte. En 2000 je me suis quand même retrouvé sur le Challenge Tour, où ça a été un carnage... En 2001, c'était un peu mieux, mais pas exceptionnel. Et fin 2001, avec Benoît, on a fait le bilan et on a décidé de vraiment mettre les mains dans le cambouis. On a passé trois mois l'hiver à bosser comme des fous, car je ne tenais pas à m'éterniser sur le Challenge Tour, et pour cela il fallait que j'augmente mon niveau de jeu. Et ça a payé puisqu'en 2002 je gagne au Maroc en début de saison, plus tard je termine troisième au Trophée Lancôme sur le Tour européen et je finis deuxième du ranking du Challenge Tour. J'accède donc au Tour européen à temps plein, que je n'ai pas quitté jusqu'à la fin de ma carrière, même si j'ai dû repasser par les cartes européennes fin 2003.

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Jean-François Lucquin en 2002 © Alexis Orloff - ffgolf

Que gardez-vous de cette décennie passée sur le Tour européen, marquée notamment par votre succès à l'Omega European Masters en 2008 face à Rory McIlroy ?
C'est difficile à dire... Si on m'avait dit, quand j'ai commencé le golf à la Valdaine à l'âge de douze ans, que j'allais passer dix ans sur le Tour, gagner un tournoi et jouer deux U.S. Open (en 2009 et 2010, ndlr), je ne l'aurai pas cru. Donc je garde un super souvenir de toute ma carrière, et je ne suis pas du tout aigri par rapport à la façon dont elle s'est déroulée, et terminée. Je me suis blessé, oui, et j'aurais pu mieux faire, sans doute, mais je suis content de ce que j'ai fait. De là où je viens, je trouve que c'est quand même pas mal !

Suite à une blessure au poignet, vous avez été contraint d'arrêter votre carrière fin 2012. Comment vous est venue l'idée de vous reconvertir dans le coaching ?
Pendant la longue période d'inactivité liée à ma blessure, j'ai beaucoup discuté avec Benoît, qui me disait que ce serait pas mal que je passe mes diplômes. J'en étais déjà persuadé, car je m'étais toujours dit que le jour où j'arrêterai de jouer, j'entraînerai. Je voulais rester collé au haut niveau, et je ne me voyais pas me reconvertir dans un autre domaine que le sport. En 2011 j'ai donc passé mes diplômes pendant que ma blessure me tenait éloigné de la compétition. À cette époque tout s'est enchaîné dans le mauvais sens : blessure, divorce et banqueroute. Ça a été la descente aux enfers, mais j'en suis ressorti plus fort, finalement. J'ai passé mes diplômes, j'ai appris plein de choses, j'ai compris que ma vie ne se limitait pas à ma carrière de joueur, et j'ai rencontré Alexandra avec qui je suis maintenant marié depuis trois ans. Quand j'ai quitté les circuits fin 2012, Benoît m'a pris sous son aile pour l'aider à entraîner les joueurs qu'il avait à l'époque : Victor Dubuisson, Grégory Havret, Mike Lorenzo Vera, Julien Quesne, Matthieu Pavon, Adrien Saddier... J'ai pris sur mon temps libre pour l'accompagner durant un an, un an et demi, et voir comment il fonctionnait, même si j'en avais déjà une idée assez précise après dix ans de Tour européen. J'ai ensuite commencé à entraîner un ou deux jeunes qui ont eu de bons résultats, puis Julien Guerrier il y a maintenant trois ans et demi, qui a réussi à revenir sur le Tour.

Tous les entraîneurs que j'ai eus dans la carrière ont été importants [...], mais la relation que j'ai avec Benoît est clairement un peu à part.

Revenons sur votre rencontre avec Benoît Ducoulombier : dans quelles circonstances s'est-elle faite ?
Étonnamment, ça s'est fait alors que je ne jouais pas au golf, quand j'étais encore enfant. C'était à Saint-Rambert-d'Albon, dans la Drôme, où se tenait un skins game réunissant, si mes souvenirs sont bons, Jean Garaïalde, Géry Watine, Jeff Remésy et Benoît. J'ai trouvé une balle perdue, et je l'ai faite signer par le joueur qui l'avait égarée, qui n'était autre que Benoît ! C'est le premier autographe de golfeur que j'ai eu de toute ma vie... Après cela, je l'ai croisé à nouveau quand j'ai commencé à bien jouer. Benoît était à la fédération à l'époque, il s'occupait du secteur pro, et il était venu me voir lors d'un tournoi à Saint-Donat. Il s'était présenté, il m'avait dit qu'il allait encadrer des groupes de jeunes pros qui seraient soutenus par la fédé, et c'est parti comme ça. Le courant est parfaitement passé dès le début, et aujourd'hui encore on a une relation très particulière, très forte. Tous les entraîneurs que j'ai eus dans la carrière ont été importants – Raphaël Reynaud à la Valdaine avant de passer pro, Jean-Louis Guépy, Richard Gillot avec qui j'ai gagné à Crans-Montana, Benoît Willemart et Olivier Chabaud après ma blessure – mais la relation que j'ai avec Benoît est clairement un peu à part.

Qu'avez-vous appris de vos différents entraîneurs ?
C'est Raphaël qui a posé les bases techniques quand j'étais jeune, puis Benoît a repris le flambeau quand je suis passé pro, et a solidifié mon mouvement. Avec Richard, on était beaucoup dans la mécanique, dans le système Leadbetter, ce qui m'a bien sûr convenu car j'ai gagné en Suisse avec ce système-là. Après ça je suis revenu à une façon de faire plus naturelle, car je me prenais trop le chou avec la mécanique. Là où je félicite mes entraîneurs, c'est que je n'étais pas facile à coacher : j'ai un caractère bien trempé, je pouvais être assez nerveux, sanguin, sur le parcours. Des « branlées », j'en ai pris un paquet, et aujourd'hui les remercie de m'avoir recadré comme ils l'ont fait, car ça me sert dans mon coaching aujourd'hui. Ils m'ont tous apporté des choses que je transmets à mon tour : parfois, j'ai un sourire en coin en donnant à mes élèves des exercices, car ce sont les mêmes que mes coachs me donnaient à l'époque !

Vous êtes aujourd'hui l'entraîneur de l'équipe de France boys : comment en êtes-vous arrivé là ?
L'été dernier, la fédération m'a contacté pour me proposer d'encadrer les boys, puisque Benoît Teilleria et Mathieu Santerre qui s'en occupaient auparavant ont suivi leurs joueurs chez les messieurs. Donc je suis arrivé chez les boys, avec Pierre-Jean Cassagne, et je leur consacre 50 à 60 % de mon temps. Le reste est pris par mes joueurs : Julien Guerrier, Clément Berardo sur le Challenge Tour, quelques joueurs du Pro Golf Tour et quelques bons amateurs, ainsi que des proettes comme Marie Fourquier et Anaëlle Carnet. Je me régale ! C'est fatigant, c'est prenant, c'est stressant, mais je me régale vraiment. Avec les boys, je fais du Jeff Lucquin : on m'a donné carte blanche, et c'est une grande marque de confiance qui me touche énormément. C'est très clair pour tout le staff – Mathieu Santerre qui dirige le pôle, Bastien Melani, Jason Belot, Cyril Gouyon : quand j'entraîne un joueur, je le fais à ma façon. Le fait d'être entraîneur d'une équipe de France me rend super fier. Je n'ai jamais eu la chance d'en faire partie quand j'étais amateur, j'étais dans un petit club qui n'a jamais joué une Gounouilhou, j'étais un peu loin de tout ça. Donc y être aujourd'hui en tant que coach, c'est une belle histoire.

Aujourd'hui le niveau est tellement élevé que si tu ne te mets pas la dose à l'entraînement dès tes années junior, tu n'as aucune chance !

Quel discours tenez-vous à vos joueurs ?
J'ai joué le Tour pendant dix ans, donc je sais exactement ce qu'il faut faire pour être performant, quels secteurs du jeu travailler, etc. Et c'est ça que j'essaie de transmettre aux jeunes du pôle France : qu'ils doivent s'entraîner et penser comme s'ils étaient des joueurs du Tour européen. C'est très important à mon avis, car s'ils sont « cocoonés » pendant qu'ils sont au pôle, il ne faut pas que la réalité du travail à accomplir leur saute à la figure quand ils en sortiront et qu'ils passeront pros. Il ne faut pas que ça soit une surprise pour eux. Donc le fait d'être aussi entraîneur sur le Tour m'aide énormément pour leur faire comprendre la nécessité qu'il y a à mettre les mains dans le cambouis. Aujourd'hui le niveau est tellement élevé que si tu ne te mets pas la dose à l'entraînement dès tes années junior, tu n'as aucune chance ! Quand je suis passé pro, tout le monde se foutait de la préparation physique, et je ne parle même pas du mental. Aujourd'hui, pour taper des drives à 300 m et envoyer des 62 à Abu Dhabi ou à Wentworth, il faut vraiment se lever de bonne heure... On a de la chance au pôle France d'avoir des spécialistes en prépa physique ou mentale, donc on travaille tous ensemble pour faire de nos jeunes des vrais guerriers.

Quelles sont les échéances de cette année 2020 tronquée par la pandémie ?
Les championnats d'Europe boys n'ont heureusement pas été annulés, mais reportés du 21 au 23 octobre en Espagne. Le truc, c'est que le format a changé : quatre joueurs au lieu de six, 18 trous de qualification au lieu de 36. Mais bon, même si ce n'est pas tout à fait la même chose, j'espère qu'ils vont avoir lieu, car ce sera mes premiers. Il y a un titre à défendre en plus, même si ça risque d'être difficile puisqu'on a une équipe toute neuve, à l'exception de Nathan Trey. L'idée, après, c'est de les suivre jusqu'à ce qu'ils passent pros, voire après pourquoi pas. Mais jusqu'au passage pro, c'est important d'être avec eux.

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La poignée de main avec Rory McIlroy à l'issue de l'Omega European Masters 2008 © Andrew Redington / Getty Images Europe - AFP