Après vingt ans de carrière sur les circuits, Benoît Teilleria a troqué la casquette de joueur pour celle d'entraîneur. Que ce soit auprès de Sébastien Gros sur le Tour ou des jeunes de l'équipe de France, dont il est le sélectionneur, il s'efforce de transmettre la philosophie que lui ont inculquée ses maîtres à penser, les légendes espagnoles José María Olazábal et Severiano Ballesteros : le souci de l'efficacité.
Comment avez-vous découvert le golf ?
Mon grand-père a été cadet à Chantaco, donc ce sport faisait déjà partie de la famille. J'ai commencé à jouer avec des copains, à l'âge de neuf ans, et j'ai tout de suite accroché. J'ai progressé, et je suis passé pro à vingt ans, en 1993. J'ai fait partie du team Canal+ qu'avaient monté Bernard Pascassio et Charles Biétry, avec Dominique Larretche comme entraîneur et Fabrice Tarnaud, Jean-Charles Cambon et Patrice Barquez comme autres joueurs. Une belle équipe !
À vos débuts professionnels, sur quel circuit évoluiez-vous ?
À cette époque, le Challenge Tour venait d'être créé, et il y avait beaucoup de tournois en France, cinq ou six de mémoire. J'avais passé les cartes du circuit national pour pouvoir jouer ces épreuves en France. J'étais basé au golf de Mont Griffon, où l'on s'entraînait avec les autres membres du team. Quand j'y repense, c'était les plus beaux jours de ma vie ! J'avais vingt ans, j'adorais le golf et je rentrais dans le monde des pros. Il faut se rappeler qu'à cette époque, Internet n'existait pas encore, et on ne voyait rien des pros, des tournois, à part les neuf derniers trous des Majeurs. On était beaucoup dans l'imagination, le fantasme... Donc être pro et aller sur les tournois, c'était vraiment comme partir à la découverte du monde ! C'était une super période pour le golf : il y avait beaucoup de sponsoring, beaucoup de tournois en France. On jouait les cinq ou six Challenge Tour, mais aussi le PGA France, l'Omnium, le Championnat de France, d'autres tournois du circuit national, des pro-ams, etc.
En 1993, dès votre première saison pro, vous participez au British Open à Sandwich. Comment cela a-t-il été possible ?
Début 1993, Dominique Larretche nous conseille, à Fabrice Tarnaud et moi, de tenter les pré-qualifications de l'open britannique. On ne savait pas que c'était possible ! Donc on s'est inscrits, et on a tous deux passé la pré-qualification. On s'est retrouvés pour la deuxième session de qualification, qui se déroulait quelques jours avant l'open. Et je me qualifie ! Quelques mois plus tôt j'étais encore amateur, je jouais le Grand Prix de Pau ou la Biarritz Cup, et là je me retrouve au Royal St George's au milieu des Norman, Faldo, Ballesteros, Nicklaus, Watson, etc., que des mecs que j'avais en poster dans ma chambre ! Je me souviens d'avoir vu rentrer Jack Nicklaus dans les vestiaires pendant que je laçais mes godasses... C'était incroyable ! Jean Van de Velde était dans le champ, et Thomas Levet était là lui aussi en tant que première réserve. C'est d'ailleurs lui qui m'a pris sous son aile cette semaine-là. C'était vraiment une expérience inoubliable, qui m'avait donné un aperçu du haut niveau. Je jouais bien, mais j'ai pris conscience de ce que je devais mettre en place pour espérer me rapprocher un jour du niveau de ces mecs...
Avec le recul, quel regard portez-vous sur votre carrière de joueur ?
Petit à petit, j'ai gravi les échelons, d'abord en intégrant le Challenge Tour à plein temps. Après quoi j'ai commencé à tenter les cartes européennes, ce qui était moins facile qu'aujourd'hui puisqu'ils ne prenaient que huit ou neufs joueurs par session de pré-qualifications, au lieu d'une vingtaine aujourd'hui. Je les ai ratés quelques années car je n'étais pas prêt, puis en 1998 j'ai terminé dans les 45 premiers du Challenge Tour, ce qui m'a permis de jouer la finale des cartes. J'ai failli passer... L'année suivante, j'ai enfin eu accès au Tour européen en terminant neuvième du Challenge Tour. Après cela, entre 2000 et 2008, j'ai fait un peu le yo-yo entre l'European Tour et le Challenge Tour. Comme beaucoup de joueurs, finalement... La quasi-totalité des joueurs ont un bon fonds de jeu, mais de là à faire quinze ou vingt ans de carrière au plus haut niveau comme Raphaël Jacquelin ou Grégory Havret, c'est une autre musique... Quoi qu'il en soit, cette première partie de vie a été exceptionnelle, car j'ai pu vivre de ma passion.
Quels ont été vos entraîneurs durant votre carrière ?
J'ai donc commencé avec Dominique Larretche ; après je suis allé voir Jean-Louis Schneider, qui avait été pro sur le circuit lui aussi et qui avait un parcours à Bondoufle ; je suis revenu avec Dominique ; et enfin je suis allé avec Patrick Talon à Hossegor.
Est-ce à leur contact que vous est venue la vocation du coaching ?
J'ai toujours aimé transmettre et partager. Déjà, en tournoi, on le faisait entre nous, les joueurs. À l'époque on voyageait seul la plupart du temps, on n'appelait pas son coach entre les tours et on n'envoyait pas de vidéos par smartphone ! Donc on avait tendance à se coacher entre nous, à se regarder, à se donner quelques conseils. J'ai toujours aimé ça. Ensuite, le fait d'avoir fait partie d'un team, celui de Canal+ d'abord et un autre ensuite, qui s'appelait White Ball et avait été monté par Olivier Edmond, m'a convaincu que c'est en étant accompagnés que les joueurs progressaient le plus vite. Plus tu gravis les échelons, plus tu dois être accompagné, car c'est un milieu très dur et compétitif. Aujourd'hui les pros de haut niveau ont tous un encadrement de cinq à dix personnes, entre le coach, le préparateur physique, le préparateur mental, le kiné, l'ostéo, le club-maker et j'en passe. En 2000, ce n'était pas encore ça... C'est pour ça que je me suis dit que c'était le modèle à mettre en place pour faire progresser les pros. Et j'ai eu la chance de rencontrer, lors d'un pro-am à l'île Maurice en 2010, Serge Cordon.
C'est avec lui que vous avez créé le team Cordon. À quoi a ressemblé cette aventure ?
Je lui ai parlé de mon projet, et il m'a dit « bingo » ! On a commencé début 2013 avec quatre joueurs – Sébastien Gros, Damien Perrier, Xavier Poncelet et Christophe Brazillier – et on a récupéré quelques mois plus tard, en août, Mike Lorenzo Vera. Et on a quand même fini avec trois joueurs sur le Tour européen ! À cette époque je ne jouais plus que quelques tournois en France, et j'enseignais un peu au practice de la Corniche à Urrugne que j'avais repris quelques années auparavant. J'avais commencé à changer un peu de vie... Et quand on a monté ce team, j'ai commencé à entraîner Sébastien Gros, et un peu Mike Lorenzo Vera aussi. Les autres avaient leur entraîneur, donc je servais de relais. Avec Mike c'était un peu pareil, j'étais co-entraîneur avec son frère Franck dans cette période où il était vraiment aux fraises. Quant à Sébastien, c'est le premier joueur que j'ai vraiment entraîné personnellement. Je l'avais rencontré à la finale de l'Allianz Golf Tour à Pont-Royal, où j'avais joué le dernier tour avec lui. J'avais été séduit par son jeu et sa personnalité, et j'avais dit à Serge Cordon que ce serait bien de le prendre dans notre team.
Comment vous êtes-vous formé à ce métier d'entraîneur ?
J'avais déjà les diplômes, je les avais eus pendant que je jouais, le premier degré en 1995 et le deuxième en 2000. J'avais pu les passer en accéléré grâce au statut de sportif de haut niveau, j'avais suivi des formations étalées sur une dizaine de semaines à chaque fois. Les diplômes sont une chose, mais je dirais que ce qui a vraiment déterminé ma formation au métier d'entraîneur, c'est d'avoir eu la chance de rencontrer José María Olazábal et Severiano Ballesteros. Je me suis beaucoup entraîné avec eux, surtout avec Olazábal, donc j'ai très vite eu des repères de la façon de faire de ces immenses champions. J'en ai retiré qu'il fallait, avant toute autre chose, privilégier l'efficacité. Ils étaient capables de dissocier totalement l'entraînement technique et le practice : quand ils se pointaient au départ du 1, ils étaient là pour scorer, et ils ne remettaient jamais la technique en question quand ils jouaient. C'est facile à dire sur le papier, mais beaucoup plus dur à mettre en application...
Comment avez-vous rencontré Olazábal ?
J'avais un copain, un Basque espagnol, qui jouait à La Nivelle et qui était pote avec lui. Un jour, je lui ai dit que ça me ferait vraiment plaisir de jouer avec Olazábal. Il a arrangé la rencontre, et je suis allé jouer avec eux un 31 décembre, en 1996. C'était mon idole, et il habite à huit kilomètres de chez moi, juste de l'autre côté de la frontière ! Il a été d'une gentillesse et d'une générosité incroyables, et petit à petit j'ai commencé à m'entraîner régulièrement avec lui, généralement à Hossegor ou à Seignosse. En plus d'être un champion, c'est quelqu'un qui est généreux, c'est-à-dire que sur le parcours à l'entraînement, il n'hésite pas à te donner des conseils. Au début c'était même un peu impressionnant, car il se mettait derrière moi pour me regarder... Et ce dont je parlais juste avant, ce souci de l'efficacité, il me l'a appris par l'exemple, mais sans jamais me le dire avec des mots. Ce qui était frappant, c'est que je ne voyais pas de différence d'intensité entre le mec que j'avais vu gagner le Masters à la télévision et celui qui prenait le départ du 1 à Hossegor ! Dans l'attitude, c'était la même chose. On jouait une seule balle, qu'il neige ou qu'il vente, et il fallait ramener le meilleur score possible avec les moyens du jour, sans remettre en cause la technique. Et pourtant, je l'ai vu en mettre de partout au driving, qui n'était clairement pas son point fort... Même s'il avait de mauvaises sensations, il devait s'en sortir malgré cela pour ramener un bon score. C'est ça, la réalité des tournois : les meilleurs mondiaux ont cette capacité à scorer même lorsqu'il ne sont pas bien. Tiger Woods a fait au-dessus des 80 une fois dans sa vie !
Comment faites-vous passer ce message aux joueurs que vous entraînez ?
Déjà, il faut que le coach soit un homme de terrain, qu'il soit avec son joueur sur le parcours pour prendre les informations et les faire remonter au préparateur physique, au kiné, au technicien, au préparateur mental, etc. Ensuite, la formule que j'ai retiré d'Olazábal et Ballesteros est très simple : il faut se battre sur chaque coup sur le parcours, être un guerrier, avoir un état d'esprit conquérant, et maintenir ça une journée, quatre journées, une saison, toute une carrière. Il n'y a pas de secret, vraiment. Et c'est sûr que tous les deux étaient excellents dans le petit jeu, mais ils étaient plus que moyens au driving. Ça ne les a pas empêchés de gagner je ne sais combien de tournois partout sur la planète. Tout cela, plus tout ce que j'ai appris aux côtés de mes propres coachs qui étaient tous très pointus, a façonné ma vision du coaching. Et pour la transmettre, il faut être capable de s'adapter à chaque joueur, puisque chacun est différent. La seule chose qui soit similaire à tous les champions, c'est la façon de penser. C'est ce que j'essaie d'inculquer aux jeunes que je côtoie par mon rôle de sélectionneur de l'équipe de France.
La recette a plutôt bien fonctionné l'été dernier, lorsque vos Boys ont remporté le titre de champions d'Europe...
Effectivement, et ça a renforcé ma conviction que le partage d'informations, à l'intérieur d'un team ou d'une équipe, est primordial. L'été dernier à Chantilly, chaque joueur et chaque membre du staff a apporté sa pierre à l'édifice.
Y a-t-il des grands principes techniques sur lesquels vous fondez votre enseignement ?
Avec les joueurs que j'entraîne personnellement, tout part d'un premier bilan qui nous permet de savoir ce qu'on peut améliorer. Ensuite, il faut déterminer si le joueur est prêt à aller dans la direction que je lui propose. Je fais bien attention à respecter le temps nécessaire au changement : on prend une ligne de conduite pour améliorer le grip, la posture, l'alignement ou quoi que soit, et on s'y tient, sans pour autant délaisser le jeu. On sait que ça va nous prendre tant de temps à mettre en place, mais on ne fait pas que ça pendant cette période. On ne peut pas se permettre de laisser tomber le jeu. Mais pour ce qui est de la technique pure, je ne crois pas qu'il y ait une seule façon de faire les choses : chaque joueur ayant un corps différent, des préférences motrices différentes, il existe autant de façons de swinguer que de joueurs. J'essaie d'adapter mon discours au fonctionnement et aux besoins de chacun. Aujourd'hui on a accès à tout un tas d'instruments de mesure qui permettent à l'entraîneur de définir des axes de progrès, mais est-ce que c'est ça qui fait du joueur un meilleur golfeur ? La question est ouverte. Mais moi, je suis plutôt dans le côté espagnol, qui se rapproche d'ailleurs du côté américain : être bon sous pression, avoir un bon état d'esprit. Je ne dis pas qu'il ne faut pas améliorer la technique ; il faut juste savoir où mettre le curseur entre ces deux axes.
Quels joueurs entraînez-vous actuellement ?
Avec Sébastien Gros, on a recommencé à travailler ensemble en janvier, mais cette fois-ci on est deux entraîneurs : moi et un Anglais, Hugh Marr. Ça a été une super rencontre : on se connaissait de vue, mais on a passé quatre jours ensemble au Maroc en début d'année. J'ai adoré son approche, justement très axée sur la performance. Par exemple, il met des niveaux de difficultés à ses exercices, avec toujours un premier niveau facile. Le mec, il a six joueurs du Tour, et il les fait commencer par des exercices ultra-simples, tout bêtes, juste pour les mettre en confiance. Alors qu'en France, on a tendance à vouloir mettre le joueur dans le dur dès le début. C'est intéressant comme approche, et je pense que ça va permettre à Sébastien de progresser. Par ailleurs j'entraîne un joueur qui évolue sur l'Alps Tour, Christopher Labadie, ainsi que quatre jeunes golfeurs du pays basque encore amateurs.
Vous êtes également le sélectionneur de l'équipe de France. Racontez-nous cette aventure qui vous a menés au titre européen l'an dernier à Chantilly...
C'est Patrice Amadieu qui m'avait appelé début 2017 pour me demander si je voulais devenir le sélectionneur des Boys. J'avais accepté sans hésiter, car c'est une super mission. J'ai fait trois saisons avec les Boys, et cette année je suis passé chez les Messieurs, pour accompagner la génération championne d'Europe l'an dernier. L'idée, c'est de les guider jusqu'aux championnats du monde 2022 au Golf National. C'est une mission passionnante qui m'a déjà permis de les suivre pendant trois ans sur différentes tournois et les championnats d'Europe, et encore plus cette année. Je suis allé en voir certains aux États-Unis, dans les universités où ils étudient.
Quels ont été les moments forts de votre carrière de coach ou de sélectionneur ?
Paradoxalement, je reste marqué par l'échec des championnats d'Europe 2018 avec les Boys, où on n'a même pas réussi à jouer le haut de tableau. Ça nous a appris à mieux nous connaître, à nous construire et à grandir. C'est de là qu'est partie l'aventure qui nous a menés au titre européen l'année suivante, qui a été un moment de vie extraordinaire. Honnêtement, j'ai touché le graal ! Je crois que le plus important, dans le sport, c'est de profiter à fond des moments qu'on vit avec les autres, les coéquipiers. Avec les autres membres du staff, on avait mis l'accent là-dessus pour les championnats d'Europe à Chantilly. Ce qui est important, leur disait-on, c'est ce que vous êtes en train de vivre : ça va vous construire non seulement dans votre carrière de joueur, mais aussi dans votre vie d'homme. C'était hyper intense ! J'ai un autre moment fort qui me revient en mémoire : lorsque Franck Lorenzo Vera et moi avons accompagné Mike au cartes européennes fin 2013. Lors du quatrième tour, il jouait pour passer le cut, ce qui lui garantissait un droit de jeu sur le Challenge Tour l'année suivante. Mais s'il ratait le cut, il se retrouvait pratiquement au chômage. Et ce jour-là, il commence du 10 par une balle perdue... Finalement, il a réussi à jouer -1, et je me souviendrai toute ma vie de la façon dont il est allé arracher cette carte du Challenge Tour. Il a mis tout son cœur dans cette partie, et quand tu vois où il est arrivé aujourd'hui, c'est beau !
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